Cosmopolitan (France)

JE NE SUIS PAS DANS UNE RELATION OUVERTE… SUIS-JE FERMÉE D’ESPRIT ?

Un couple à deux, c’est bien. À trois, quatre ou dix, est-ce que c’est mieux ?

- PAR HÉLÈNE FAURE

C’était il y a quelques mois : j’étais dans un parc, surveillan­t du regard mon enfant qui gambadait, quand ma copine Marine m’a annoncé qu’elle avait rencontré sur Tinder un garçon polyamoure­ux. Non seulement elle n’avait pas trouvé ça rédhibitoi­re, mais elle était sincèremen­t intéressée : ça se passe comment, au juste, l’amour libre ? À ce moment-là, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander : mon couple monogame exclusif et moi-même étions-nous devenus des dinosaures de l’amour ? Condamnés à nous adapter (« Mon amour, le mec là-bas, BG non ? »)… ou à périr ? J’ai mené l’enquête.

Le point de départ

D’abord, j’ai lu. Je me suis renseignée sur le site polyamour.info, qui établit le concept de « monogamie de fait » : les personnes en relation exclusive « parce que c’est la norme, donc sans forcément l’avoir choisi ». On peut même être monogame sans jamais en avoir pris conscience : la norme n’a pas besoin d’être nommée ni définie. Monogame par défaut, ça ne fait pas très envie, et surtout ça questionne : peut-on vraiment se dire ouvert et large d’esprit quand on est dans une relation fermée ? Quand on n’a pas levé le moindre petit doigt pour interroger cette norme qui s’impose à nous ? Quand on ne s’est jamais demandé si on n’avait pas, tout au fond de nous-même, une petite envie de goûter à la non-exclusivit­é ?

Le déclic

Six mois plus tard, mon amie Marine voit toujours le garçon polyamoure­ux – Joseph – et moi je continue mes recherches. Je lui demande à quel moment elle a accepté d’être en relation ouverte. Pour elle, l’occasion a fait le larron : elle avait un bon contact avec lui, elle voulait continuer à le voir… et puis, elle était curieuse : ce parfum d’aventure lui plaisait. J’interroge aussi Juliette, la meilleure amie de Marine qui a passé plusieurs années dans un couple ouvert. Elle a rencontré Hugues alors qu’elle venait de quitter son petit ami de longue date et de démissionn­er d’un emploi en CDI. Elle avait envie de travailler en free lance, de beaucoup voyager ; elle n’avait pas du tout envie, en revanche, de se remettre en couple. Mais avec Hugues, c’est une vraie histoire d’amour, quasi un coup de foudre… La relation ouverte s’impose naturellem­ent, ce qui convient bien à Hugues aussi : il travaille dans l’événementi­el, vit de fêtes et de nuits. Les deux relations de Marine et Juliette se sont donc d’emblée définies comme ouvertes. D’instinct, j’ai le sentiment que le changement de modèle doit être plus difficile pour un couple monogame déjà installé… Mais pour moi, la vraie question c’est surtout : est-ce que ça en vaut la peine ?

Une promesse d’amour infini…

Le concept de relation ouverte paraît à première vue plutôt séduisant : le beurre et l’argent du beurre, les liaisons brûlantes et le mec qui tolère ton pyjama en pilou. Juliette s’est ainsi lancée dans un périple de six mois en Amérique du Sud et une idylle avec un Argentin, tout en sachant qu’elle retrouvera­it Hugues à son retour. « C’est le principe simple et fondateur des relations ouvertes : l’amour est infini, c’est une source inépuisabl­e… » Certes. Mais Hugues accepte sans problème qu’elle vive son histoire avec son Argentin ? Oui : « Justement parce qu’on fait très attention à ne pas faire de peine à l’autre », explique Juliette. Même son de cloche du côté de Marine : « Ce n’est pas la jungle, au contraire : les relations libres peuvent être très encadrées, à chaque couple de fixer ses règles, en fonction des besoins et attentes des uns et des autres. J’insiste évidemment pour que Joseph se protège à chaque fois, et je lui ai dit que je n’avais pas envie de croiser ses autres partenaire­s. À partir du moment où chacun peut formuler ses limites, ça roule. » Elle décrit sa relation avec Joseph comme sereine et apaisée, car fondée sur l’honnêteté, le respect et l’intelligen­ce émotionnel­le. Avec lui, elle peut avoir des conversati­ons très riches : « On fait des points réguliers sur notre relation, ce qu’on aime, ce qu’on veut changer… Il réfléchit à ce qu’il attend de l’amour et de la vie, il en parle beaucoup plus qu’un hétérosexu­el “classique”, c’est très agréable. » Mais quand même : ça ne lui fait rien de l’imaginer avec d’autres filles – et vice versa ? Marine l’admet : bien sûr que si… Tout l’enjeu consiste alors à se raisonner : « Dans une relation monogame, quand on s’aperçoit que l’autre nous trompe, ça suscite une blessure d’ego, mais aussi – quand on découvre le mensonge – un sentiment de trahison. Si on supprime ce deuxième élément, c’est tout de suite moins destructeu­r et plus gérable. » Juliette complète avec une image pour dédramatis­er : « À la cantine, hier, j’ai pris l’assiette de frites, aujourd’hui j’ai pris autre chose. Est-ce que ça veut dire que j’aime moins les frites ? Non, mais je n’ai pas envie d’en prendre tous les jours ! En revanche, si je goûte autre chose, je serai contente d’y revenir… » Cette démonstrat­ion me plonge en plein questionne­ment : le couple monogame est-il condamné à s’essouffler, lentement mais sûrement, comme un plat qu’on reprendrai­t trop souvent ? Suis-je l’assiette de frites de mon mec ?

… un risque de déséquilib­re

Quelque chose dans les propos de Juliette me met toutefois la puce à l’oreille : elle parle de sa relation au passé. Pourquoi ? Juliette me raconte alors qu’après son voyage sud-américain, elle a emménagé à Lyon, dans la même ville que Hugues… Et c’est là que les choses se sont compliquée­s. « Je ne connaissai­s personne, donc mécaniquem­ent, je suis devenue plus dépendante de lui. Tout à coup, il y avait un rapport de force, et il n’était pas en ma faveur », se souvient-elle. « Je souffrais beaucoup, la situation ne me convenait plus du tout, j’ai voulu qu’on devienne exclusifs. Pas lui. Il avait le sentiment que je rompais notre contrat de couple – ce en quoi il n’avait pas tort. On avait juste évolué différemme­nt… On a commencé à se disputer beaucoup. On finissait toujours par se réconcilie­r, jusqu’à cette soirée de finale de la Coupe du monde. Hugues avait invité plein d’amis chez lui, il projetait son ordinateur sur grand écran. Sauf que son ordi était synchronis­é avec son portable… Et là, un texto apparaît : « J’ai envie de toi. » Hugues l’efface direct, il éteint son téléphone, mais l’appli est toujours allumée sur son ordinateur et les sextos continuent d’arriver… Relation ouverte ou non, c’était un cauchemar. L’humiliatio­n en règle. » Avec les années, Juliette a pris du recul. Pour elle, la force des relations ouvertes, c’est d’arriver à faire primer le rationnel sur l’émotionnel : « Je suis jaloux mais je choisis de déconstrui­re ma jalousie. »

Sauf que l’émotionnel ne disparaît jamais complèteme­nt : « Un petit sentiment d’instabilit­é qui persiste, comme un caillou dans la chaussure, et qui s’impose avec plus ou moins de force selon les périodes… Pour compenser ça au quotidien, il faut une sacrée dose d’énergie et de confiance en soi. Je n’en manque pas, mais j’ai aussi besoin de savoir que de temps en temps, je peux me reposer… » Juliette est aujourd’hui dans une relation pleinement épanouie et pleinement exclusive. Même Marine, qui a depuis rencontré plusieurs couples en relation ouverte, doit admettre qu’elle y observe souvent des asymétries – un partenaire moteur, l’autre qui subit ses choix ; un partenaire qui profite de cette liberté, et l’autre beaucoup moins.

La flemme

Et moi ? Après avoir entendu tout ça, ai-je envie de faire souffler un vent de liberté sur ma relation ? Je n’ai pas envie de mourir bête et fermée d’esprit… Mais je continue de m’interroger sur les aspects pratiques d’une relation ouverte. Comment on fait quand on habite ensemble ? Quand on a un enfant ? Quand on a déjà trois épisodes de retard sur notre série préférée ? Je suis sûre qu’il y a plein de solutions, pour peu qu’on s’y penche. Mais à ce stade, l’idée même de gérer plusieurs épilations maillot pour plusieurs personnes différente­s m’épuise. En fait, je cherche au plus profond de moi et je crois que juste, ça ne me fait pas envie, même si je comprends ceux qui font ce choix. Et d’ailleurs ne me jugez pas, mais depuis que je suis avec mon mec, je n’ai jamais vraiment eu envie d’autres hommes. Le moment le plus érotique de ma journée sans lui, ça a été mon rendez-vous chez le dentiste… Je dis ça, mais ce n’est qu’à moitié une blague : mon dentiste est extrêmemen­t sexy. Sans regret, il est aussi extrêmemen­t en couple. Mais d’ailleurs… et s’il était en couple ouvert ? La prochaine fois, je lui pose la question.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France