Cosmopolitan (France)

… les dîners

Je suis toujours contente quand on m’invite à dîner. C’est au moment d’y aller que vient la flemme.

- PAR SOPHIE HÉNAFF

jJ’adore les apéros et les soirées dansantes, tous ces moments d’échange, de joie et de conversati­ons d’environ vingthuit secondes dont sept à se demander si on peut faire répéter vu qu’on écoutait plutôt Aya Nakamura. En soirée, on rigole, on bouge, on passe de l’un à l’autre, on attrape les olives à la main et les chips au cure-dents sans que personne ne dispose d’assez de lumière pour juger de notre élégance. Pratique. Pendant les dîners, en revanche, il faut demeurer stoïque, les coudes pas sur la table mais les mains si, à faire semblant d’aimer le céleri ou le crumble d’agneau et – pire que tout – à deviser gentiment avec les seules personnes placées par hasard à nos côtés. Tout le repas. Un truc généraleme­nt dans les deux heures donc, à côté de quelqu’un que je n’ai pas choisi, sans avoir le droit de bouger sauf pipi ou vaisselle à débarrasse­r (« Reste assise, Sophie, je t’en prie », « Non, non, laisse-moi t’aider, mon voisin en est à sa troisième anecdote sur ses plongées spéléo, j’ai envie de crever »). Car voilà, j’adore la fête, j’adore les gens, j’adore mes amis, mais c’est la captivité qui m’angoisse. Donc si les convives bloqués à côté de ma chaise ne sont pas ma meilleure copine, Jerry Seinfeld ou Mister Tahiti, je traverse un couloir d’ennui intersidér­al au long duquel je ne peux pas boire pour oublier (confisquer la bouteille de blanc-pour-le-poisson au seul usage éthylique est malheureus­ement impoli), ni interrompr­e le flot de paroles en levant un index inspiré, direction le dancefloor : « Attends, j’adore ce titre ! Chopin, je peux pas m’en empêcher, faut que je danse dessus ! »

Comment on part d’un dîner?

Vraie question. En soirée, fastoche : on s’en va quand on en a marre, qu’on est fatiguée ou que notre ex vient d’arriver, on dit au revoir à l’hôte qui a autre chose à faire et on s’éclipse discrèteme­nt. Le dîner, non. Je ne peux pas me lever au milieu du crumble : « Désolée, je me lève tôt demain, j’ai contrôle fiscal. » Je suis obligée de patienter jusqu’au dessert, puis café, puis moment de flottement durant lequel l’hôte se demande comment il va réussir à nous foutre dehors et pendant lequel 90 % des convives cherchent eux aussi à se foutre dehors poliment. Hélas, immanquabl­ement, résiste encore et toujours un bavard incapable de décoder les signaux les plus subtils : « Je te sers une huitième tisane ? Tu descendras les poubelles en partant ? » Résultat, tout le monde reste les fesses sur sa chaise en bois et la soirée dure, dure comme une saison 18 de Grey’s Anatomy où même les acteurs supplient qu’on les achève.

Pire que le dîner des autres: le dîner chez moi

Réciproque et savoir-vivre, brève bouffée d’allégresse, correcteur orthograph­ique : je ne sais pas comment c’est possible, mais j’ai invité des amis jeudi. À 20 heures. Horaire à la con. Maintenant, je me sens obligée de nettoyer ma maison et de composer un menu. Or je sais cuisiner plein de plats, mais pour une raison que j’ignore, ce ne sont pas des mets dignes d’être servis à table. Sur une vraie table, je veux dire. Mes recettes perso sont toujours des mélanges de sauce tomate, oignons, olives dans lesquels j’ajoute du poulet et n’importe quel féculent. Bref, c’est très bon (si) mais ça vous colle un magma en bouse dans l’assiette creuse et ça, aux gens, on n’a pas le droit de proposer. Je me torture donc les méninges pour aboutir invariable­ment à une salade saumon/pommes de terre en entrée, puis saumon/riz en résistance et il s’en faut de peu pour que je ne finisse par tarte saumon-coquillett­es en dessert. Ma cervelle est incapable de varier, ma cervelle voulait aller au restaurant, se faire servir et être dispensée de vaisselle. Ma cervelle veut sortir et soutenir l’économie.

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