Cosmopolitan (France)

ET SI LE MEILLEUR MOYEN DE RENCONTRER L’AMOUR, C’ÉTAIT DE LE FAIRE ?

- Par Faustine Croquison

En cette ère où les rencontres amoureuses sont souvent dictées par les algorithme­s et les applicatio­ns, où les tests pour repérer les pervers narcissiqu­es ou soigner sa dépendance affective pullulent, est-ce que nous ne serions pas en train de perdre quelque chose d’essentiel : le langage de l’amour. Le vrai, celui qui ne s’explique pas mais qui se ressent à travers le corps. Et si on arrêtait un peu de se demander si « c’est le bon » avant de plonger ?

Se rencontrer d’une autre manière

Un souvenir me revient en tête. Je suis dans un bar, en face d’un mec que je viens de rencontrer, et je ne peux pas dire un mot. J’avale mon verre de vin d’une traite et je regarde mes pieds en bégayant. Il me fait trop d’effet, je n’arriverai jamais à lui parler. Lui, en face, il est pareil, il sourit bêtement. Je tripote mes cheveux nerveuseme­nt depuis une heure, il fait des blagues gênantes en marmonnant. Et là, il se passe un truc. On se regarde. On sent que c’est électrique, on ne se connaît pas, on ne s’est jamais adressé la parole avant ce soir, et pourtant, c’est là. Ce n’est pas palpable, c’est dans l’air. Il s’approche de moi, on ne peut plus faire demi-tour, on se lance. Il ne m’a pas encore embrassée mais je sais déjà que je suis au bon endroit. Tout devient évident. Je n’ai plus peur, je ne doute plus, j’y vais. Je sens ses mains sur moi et je le guide. Je me laisse aller et ensemble, on s’abandonne.

Ce qu’on veut au fond, c’est de la connexion, de l’authentici­té, de la sincérité

Tout ça, est-ce que finalement on n’y aurait pas plutôt accès quand on se donne nos corps, nos odeurs, nos gestes, au lieu de se raconter nos vies et nos projets ? Ce qui nous a connectés en premier, c’est le désir physique, et ça n’a pas moins de valeur qu’une rencontre pendant laquelle on parle pendant des heures. Que se passe-t-il si je lui demande son âge ou son métier après avoir senti ses lèvres sur moi ? Et s’il m’annonce qu’il bosse dans la finance, qu’il vit encore chez sa mère et que pardessus le marché, il est Capricorne (c’est pour l’exemple hein, on adore les Capricorne), alors que je viens de passer la plus belle nuit de ma vie et que je meurs d’envie de le sentir encore contre moi ? Le plaisir qu’il me donne, est-ce que ça ne pourrait pas suffire pour dire « on s’est rencontrés » ?

Sauf que passer à la casserole dès le premier rencard, ça a mauvaise presse

Déjà, cette expression, « passer à la casserole », ça ne met pas en valeur. Tout de suite, on associe le sexe au vulgaire, au grivois, voire à quelque chose de dangereux. Ben oui, finir comme un bout de viande qui va se faire manger, c’est littéralem­ent ce que ça veut dire, et ce n’est pas ce qu’on se souhaite. Pour préparer cet article, j’ai tapé sur Google « coucher le premier soir, bonne ou mauvaise idée ? ». Le premier résultat est sans appel : « Coucher le premier soir est rédhibitoi­re pour une relation à long terme. » Voilà, comme ça, on est au courant. Alors, pour préserver les apparences, pour ne pas compromett­re nos chances, on se retient, on joue le jeu de la bienséance, et là commence le cirque des faux-semblants. Je passe plus de temps à me demander s’il va remplir mes critères, et moi à faire bien attention à présenter mes meilleurs atouts, plutôt qu’à sentir s’il me plaît vraiment.

Tout ce truc autour du « jamais le premier soir », ça nous coupe de notre intuition

On va commencer par sortir notre petite liste, checker que l’autre coche bien toutes les cases, et s’il passe le test, allez

hop ! Rendez-vous dans la chambre. Ça marche aussi dans l’autre sens : combien de fois on a puni l’autre en disant « pas ce soir », simplement pour vérifier qu’il tenait vraiment à nous, pas juste à nos fesses ? Combien de fois on s’est demandé s’il nous aimait sincèremen­t ou s’il voulait juste coucher avec nous ? Pour vérifier ça, on joue un rôle, on essaie de lui montrer qu’on n’est pas QUE ça. On oublie que « ça », c’est aussi nous, au même titre que notre tête bien faite, nos ambitions, le choix de nos vêtements, nos goûts musicaux… Ça, le corps, et surtout ce qu’il dégage, ce qu’il envoie à l’autre, en dit tout autant sur nous que le reste. Notre corps, si on l’écoute, nous donne toutes les réponses. Il nous dit s’il a envie d’apprendre à découvrir l’autre. Il nous le fait ressentir dans le ventre, dans la peau qui frissonne, dans notre envie de le sentir près de nous. Et cette sensation, elle ne vient pas parce qu’on a partagé notre CV ou qu’on s’est raconté notre dernier voyage.

Est-ce que j’ai assez confiance en lui pour le laisser accéder à moi ?

Savoir si on a envie de se laisser toucher par quelqu’un, on le sait tout de suite. D’ailleurs, lorsqu’on entre dans une pièce, on n’a pas besoin de parler aux gens pour être à l’aise ou sous pression. Quand on décrit quelqu’un en disant « je ne le sens pas » ou « il est très touchant »… ça parle bien du corps, non ? Je repense à Damien, une ancienne relation. Il était pêcheur sur des chalutiers en Normandie, et moi, j’entamais mon master en école de commerce à Paris. Choc des cultures… Mais alors, quand j’étais près de lui, ça vibrait fort. On avait des amis communs, on se croisait en soirée. Une chose en entraînant une autre, on s’est embrassés. À partir de là, ma seule préoccupat­ion a été de me trouver près de lui. La première fois qu’on a fait l’amour, j’ai compris que je l’aimais. Dès qu’on sortait de la chambre, je remettais tout en question. « Non mais ça va pas le faire, on n’a rien à se dire », « Et franchemen­t, t’as vu son look ?! » En attendant, ça a duré six mois. Six mois d’amour, six mois d’intensité, six mois à me sentir moi-même et en confiance. Ça n’aurait tout simplement pas existé si on n’avait pas commencé par se rencontrer dans l’intimité, si on n’avait pas laissé nos corps se découvrir avant d’entamer une conversati­on. Il n’aurait rien coché sur ma liste, je l’aurais éliminé direct, et je serais passée à côté d’une rencontre magique.

Cette phrase, elle est de Franck Lopvet, philosophe. Il nous explique que la rencontre, la vraie, se produit lorsqu’on n’essaie plus de convaincre l’autre ou de l’analyser, lorsqu’on se montre tel que l’on est. En général, cela se passe dans le « non-verbal », dans l’énergie qu’on renvoie. Cette analyse a tout changé pour moi. J’ai arrêté de freiner mes désirs, j’ai appris à écouter un peu plus ce que je ressentais, sans tout décortique­r. J’ai surtout cessé de culpabilis­er d’avoir été « trop vite » ou au contraire, d’en avoir planté quelques-uns parce que je ne les « sentais pas ». J’ai récemment revu un grand classique : La Maman et la Putain, de Jean Eustache. C’est fou comme on nous apprend qu’il faut être soit l’une, soit l’autre. Comme si on ne pouvait pas à la fois prendre soin de l’autre, construire quelque chose de solide à deux, et en même temps avoir des envies et des désirs charnels, se fier à eux et se laisser happer. Ce film nous dit ça, il nous dit qu’on peut être les deux, amoureuse et désirable. Il nous dit que l’amour ne s’invente pas, il se fait.

« On attend de se rencontrer pour se donner à l’autre, alors qu’il faut se donner à l’autre pour se rencontrer »

Je sais que je ne joue pas de jeu dans cet endroit-là, je sais ce qui est juste pour moi

On m’a souvent dit que je devrais prendre mon temps, d’arrêter de tout donner dès le début. Et « tout donner », ça signifie mon corps. Mais pour moi, l’attente est contre-intuitive. J’ai un corps qui parle fort, qui me dit des choses et que j’écoute. Et dans mes rencontres amoureuses, il me dit qu’il sait mieux que ma tête. Parce que ma tête, malheureus­ement, n’est pas toujours très sympa. Elle murmure « t’es pas assez ceci, t’es trop cela », « pourquoi t’as mis cette robe, ça te boudine », « mais t’as aucune repartie, pourquoi t’as dit ça ? »… Bref, elle transpire l’insécurité et le manque de confiance, alors que mon corps vit les choses, il les ressent et il me renvoie le message. Vouloir plaire à l’autre, le séduire doit s’inscrire dans une démarche mutuelle : « Tu me plais, je te veux » et pas « je suis disponible, regarde comme je suis géniale, choisismoi ». J’ai compris que rencontrer quelqu’un pouvait aussi se faire par le corps, et que cela était tout aussi beau. Parce que quand on ne joue pas, on est beaux. On est puissants, dans toute notre vulnérabil­ité.

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