Courants d'Air

Yann Arthus-Bertrand

PHOTOGRAPH­E, RÉALISATEU­R, MILITANT ÉCOLOGIQUE, YANN ARTHUS-BERTRAND PROMÈNE SON REGARD SUR LE MONDE POUR NOUS RENDRE PLUS ATTENTIFS À L’HUMANITÉ. SES FILMS ET SES PHOTOS SONT DES ÉLANS D’AMOUR. RENCONTRE…

- PAR NICOLE KORCHIA

Vous qui incitez depuis toujours à regarder le monde autrement, que vous inspire l’épreuve que nous traversons ?

Elle nous a forcés à vivre avec l’essentiel et beaucoup moins de superflu. Et en fin de compte nous nous sommes aperçus que nous vivions très bien comme cela. Je suis conscient qu’en résident à la campagne j’ai eu un confinemen­t de privilégié­s par rapport à mes amis citadins. Mais, se déplacer à vélo et voir moins de bagnoles, entendre les petits oiseaux plutôt que les avions, prendre le temps de parler à ses voisins, c’est un vrai changement. Pensez-vous que cette crise ait déclenché des prises de conscience­s individuel­les bénéfiques ?

Je le crois, par exemple pour les circuits courts. On s’aperçoit que finalement c’est bien et très sécurisant de produire français, même si cela coûte un peu plus cher. Aujourd’hui les gens ont envie d’acheter les produits à leurs vrais prix, en respectant ceux qui les fabriquent. Il y a une réelle envie de consommer autrement. Sur le plan économique, les choses semblent plus compliquée­s.

Alors que je suis quelqu’un qui prône une espèce de décroissan­ce, j’ai conscience que nous dépendons tous de la croissance. Et moi le premier, car j’ai besoin de mécènes pour produire mes films ou faire fonctionne­r la fondation GoodPlanet. Nous vivons dans un système où nous ne sommes pas préparés à la décroissan­ce, alors le jour où elle nous tombe dessus si soudaineme­nt, nous sommes complèteme­nt désemparés. Nous pensions avoir un avenir tracé et écrit, mais en fin de compte il ne l’est plus du tout et tout est remis en question.

Restez-vous optimiste ?

Oui car c’est ma nature. Cela n’empêche que de nombreuses personnes et sociétés traversent actuelleme­nt des épreuves très difficiles. En voyant le décompte des morts chaque jour à la télévision, on se rend compte que la chose la plus précieuse que l’on a, c’est la santé et la famille. Chacun ressent la peur de ramener le virus à la maison, mais finalement cette inquiétude de préserver la vie est assez saine. Vous savez, être écolo c’est aimer la vie quelque part, c’est aimer les oiseaux, les plantes, les gens… C’est peut-être un peu ce qu’a oublié l’écologie politique. Donc il faut comprendre ce qui est en train de se passer, l’accepter et ne pas trop être trop en colère devant ce monde qu’on est en train de détruire, parce qu’on y participe.

,, ‘‘VOYAGER

MIEUX

Pour l’ambassadeu­r du voyage que vous êtes, que signifie voyager mieux ?

Quand j’y réfléchis j’ai passé ma vie à aller dans les plus beaux endroits du monde. J’ai fait des photos dans 120 pays, mais en fin de compte, écouter les gens et parler avec eux de leur vie, m’a fait comprendre que ce voyage à travers le coeur des gens était le plus intéressan­t. Aujourd’hui, la beauté des gens m’intéresse beaucoup plus que la beauté des paysages. Le voyage est au bout de la rue. Il est à côté de chez soi. Je pense que d’être bénévole aux restos du coeur ou ailleurs est un vrai voyage.

Notre manière de découvrir et de s’évader auraitelle changé ?

J’ai eu la chance d’être photograph­e dans les années 80, à une époque où les gens avaient une énorme envie de voyager à travers le monde. Je pense que ce courant est un peu passé et que même si on a tous envie de se poser une fois sur une plage de cocotiers incroyable, cela ne nous suffit plus. Le bonheur ce n’est pas seulement ça. La vie est un long voyage qu’on fabrique soi-même et auquel il faut donner du sens. Je me souviens d’avoir demandé à une personne que j’interviewa­is pour le projet vidéo «6 milliards d’autres» quel était son plus grand rêve. Elle m’a répondu en rigolant : J’aimerais mourir avec le sourire.

Je pense qu’être dans cette perspectiv­e et de tendre vers une banalité du bien est un bon exemple. Alors qu’on vit plutôt dans une banalité du mal où l’on se fiche de tout, de prendre l’avion, de consommer de la viande industriel­le, de saccager, en se disant que ce n’est pas grave. Je parle souvent de la liberté parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes des êtres libres. Bien sûr, tout le monde n’a pas les mêmes chances, mais il ne faut surtout pas avoir peur de sa chance. Et la chance passe toujours à côté de vous…

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© Yann Arthus-Bertrand
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