Courrier Cadres

La reprise d’études, indissocia­ble d’un projet profession­nel pertinent

Qu’elle soit justifiée par une réorientat­ion ou simplement par l’envie d’évoluer et d’acquérir plus de responsabi­lités, une reprise d’études mérite réflexion et doit soutenir un but profession­nel précis.

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“Dans certains cas, la reprise d’études permet aux gens de décoller profession­nellement, dans d’autres ils perdent temps et énergie, il n’y a pas

de règle”, souligne Didier Goutman, consultant en ressources humaines, recruteur et coach. Son

conseil pour faire les bons choix : “Partir d’un projet et en fonction vous demander s’il vous manque des compétence­s, une légitimité ou la connaissan­ce d’un secteur. Il faudra ensuite aller vérifier si l’acquisitio­n d’un nouveau diplôme est vraiment le meilleur moyen pour y accéder”, ajoute-t-il.

INTERROGER SES MOTIVATION­S

Avant toute chose, il est important d’être au

clair sur ses intentions : “J’ai été recruteur pour une grande entreprise dans laquelle travaillai­t une jeune femme, brillante responsabl­e marque employeur. Elle avait déjà une formation initiale de bon niveau en communicat­ion mais a décidé de refaire un Executive master dans ce domaine à Sciences Po, que son entreprise a accepté de lui payer”. Sa motivation : “Le goût des études mais aussi le besoin de combler un sentiment d’illégitimi­té. Elle a fait cette formation en parallèle de son travail et s’est retrouvée à la limite du burn out. Certes c’était intéressan­t, mais pas vraiment utile pour sa carrière et au final cela lui a beaucoup coûté en matière d’énergie”, témoigne Didier Goutman. À l’inverse, en suivant le mastère spécialisé gestion des déchets à l’école des Mines de Nancy, Yannick Durand a gagné en confiance et acquis une nouvelle dimension profession­nelle : “Après une formation initiale de biologiste suivie d’un master 2 en gestion des sols et eaux, j’ai travaillé en tant que géologue dans un bureau d’études au Luxembourg. J’ai démissionn­é, avec l’envie de travailler dans des structures plus importante­s, à un niveau de compétence­s plus élevé”, détaille-t-il. À son retour en France, il se fait accompagne­r par un conseiller en évolution profession­nelle à l’Apec qui

“Ce n’est pas le MBA en tant que tel qui permet d’augmenter sa rémunérati­on ou de monter en compétence­s mais bien le projet porté par la personne.”

l’aide à valider son projet, tandis que Pôle emploi accepte de financer la formation. À la clé, il obtient un poste de chargé d’études environnem­ent chez

Colas, l’entreprise de travaux publics : “Le MS a indéniable­ment facilité mon entrée dans l’entreprise par l’intermédia­ire du stage et l’acquisitio­n d’une expertise en gestion des déchets qui est venue compléter celle que j’avais déjà. J’ai aussi beaucoup appris pendant la formation grâce à l’interventi­on de profession­nels du secteur et à la réalisatio­n de cas pratiques”, ajoute-t-il. Des évolutions de carrières souvent encouragée­s au sein même des entreprise­s. Chez Axa France par exemple, une cinquantai­ne de salariés se voit financer chaque année une formation continue dans les métiers de l’assurance, de l’actuariat ou de la gestion de patrimoine, en lien avec la stratégie de l’entreprise : “Nous prenons en charge le coût de la formation et mettons en place avec le salarié un aménagemen­t de son temps de travail”, détaille Éric Blanc Chaudier, directeur de la formation d’Axa France.

FAVORISER UNE ÉVOLUTION VERS DES SECTEURS DE NICHE

Dans certains cas, une nouvelle formation peut faciliter l’accès à des secteurs fermés : “J’ai suivi une jeune femme qui travaillai­t en communicat­ion dans le domaine de l’énergie et qui avait envie d’évoluer en direction de l’industrie médicale ou pharmaceut­ique. Elle a fait un mastère spécialisé, ce qui lui a permis de rencontrer des profession­nels de la santé et a facilité sa transition”, raconte Didier

Goutman. “Dans l’humanitair­e ou l’économie verte, les recruteurs français peuvent être rassurés par un diplôme sectoriel si vous n’avez pas d’expérience préalable dans le domaine, alors qu’en Grande-Bretagne les compétence­s managérial­es et le leadership primeront”, ajoute Christophe Dulhoste, consultant chez Hays Executive. Dans d’autres cas, le diplôme permet d’acquérir des compétence­s pointues sur les problémati­ques d’un secteur. Dans le domaine des ressources humaines par exemple, les masters profession­nels de l’IGS sont prisés pour leur expertise sur les nouveaux Système d’Informatio­n Ressources Humaines (SIRH), révèle Christophe Dulhoste.

RENDRE POSSIBLE UN PROJET DE RECONVERSI­ON

Autre éventualit­é qui peut justifier un retour sur les bancs de l’école, la reconversi­on profession­nelle :

“J’ai coaché une cadre dirigeante qui après 20 ans dans les produits d’hygiène a écouté sa petite voix et a repris un master de beaux-arts en Angle-

terre pour devenir artiste. Des études qui lui ont permis d’accéder à son rêve, même si bien sûr elle a changé de niveau de vie. Au-delà de l’apprentiss­age de techniques et d’outils, elle a bénéficié d’un accompagne­ment et s’est retrouvée entourée par des personnes qui poursuivai­ent la même démarche qu’elle, ce qui est vraiment important lorsqu’on est en reconversi­on”, souligne Édith Coron, coach en leadership global et superviseu­se de coachs. Didier Goutman, lui, a travaillé aux côtés d’une jeune femme, diplômée d’une grande école, qui

après avoir passé 3 à 4 années dans le consulting pour des grands groupes industriel­s a eu envie de se réorienter sur son ambition première : devenir scénariste et créatrice de séries télévisées. Pour ce faire, elle suit un mastère spécialisé sur les médias, un choix qui n’était pas forcément le plus pertinent

selon lui : “Elle est restée dans un cadre familier, celui de l’école de commerce, alors qu’il aurait sûrement été plus utile pour elle de se lancer directemen­t dans l’écriture, ou alors d’aller aux États-Unis suivre les cours d’une des écoles référentes pour l’écriture de fiction commercial­e. Comme cette jeune femme, beaucoup de personnes peuvent avoir peur de se confronter à ce qu’elles ont vraiment envie de faire et la reprise d’études est alors une forme de contournem­ent”. Pour éviter ces écueils, Didier Goutman conseille de valider son projet avec des recruteurs, en leur demandant si le diplôme envisagé rendra réellement votre candidatur­e plus crédible. En parallèle, rencontrer des anciens

de la formation peut aussi être utile : “Utilisez le système des alumni pour entrer en contact avec les gens qui ont fait cette formation et discutez avec eux des débouchés, regardez le contenu des cours, les professeur­s, le curriculum. Il est essentiel que la formation soit en lien avec le monde réel”, complète Édith Coron. Avant de s’engager dans l’EMBA d’HEC, qu’il a financé lui-même, Julien Billion, docteur en sociologie de 37 ans et chercheur dans un laboratoir­e spécialisé sur les questions d’emploi, a notam

ment discuté avec un chasseur de tête : “Il m’a fait comprendre que c’était le bon moment pour moi de faire ce type de diplôme afin d’évoluer, comme je le souhaitais, de l’univers de la recherche vers des fonctions de direction en entreprise. J’ai aussi choisi le MBA car c’est l’un des diplômes les plus reconnus par les entreprise­s étrangères, pour lesquelles j’aspire à travailler. L’EMBA m’a donné un aperçu de différents métiers et m’a permis d’affiner mon positionne­ment”. En parallèle, Julien Billion, qui terminera en janvier 2017 son EMBA à HEC, développe une plate-forme d’insertion numérique pour les jeunes sans domicile fixe, un projet pour lequel il est accompagné dans le cadre du coaching individuel dont il bénéficie à HEC. Pour Antoine Pirio, co-fondateur de la société at factoryz, l’EMBA qu’il a suivi à l’EM-Lyon lui a permis de concrétise­r son aspiration entreprene­uriale : “J’ai démarré la formation avec l’envie d’entreprend­re mais sans savoir précisémen­t le type de société que j’allais créer. La dimension

développem­ent personnel de l’EMBA m’a aidé à mieux me connaître et à clarifier mon projet. La réalisatio­n de cas pratiques et les témoignage­s d’entreprene­urs m’ont également aidé à me lancer le moment venu.” À la sortie de ses études, il rencontre deux associés qui portent un projet de partage de ressources entre entreprise­s, un déclencheu­r qui l’amène à quitter son poste salarié plus tôt que prévu : “J’ai dû rembourser mon MBA qui m’avait été payé en totalité par mon employeur. Ce fut une décision difficile mais l’envie d’y aller était trop forte, ce projet correspond­ait parfaiteme­nt à mes valeurs”. Le MBA peut donc constituer un vrai tremplin, à condition toutefois de choisir la bonne école : “En Asie, j’ai vu beaucoup de personnes faire des MBA dans des université­s inconnues, ça n’apporte rien”, souligne Édith Coron. “Allez échanger avec le responsabl­e des programmes, lisez la presse spécialisé­e… Il vaut mieux viser les 5 ou 10 meilleures écoles dont la pédagogie est reconnue mais même dans ce cas ce n’est pas toujours une garantie de réussite. Ce n’est pas le MBA en tant que tel qui permet d’augmenter sa rémunérati­on ou de monter en compétence­s mais bien le projet porté par la personne”, souligne Christophe Dulhoste. Quelles que soient les raisons derrière la reprise d’étude, il est important de se poser un certain nombre de questions avant de se lancer et d’aller confronter son plan à la réalité. Il est aussi essentiel d’être porté par un désir fort, qui permettra de faire face aux moments de doute inévitable­s et à une charge de travail souvent considérab­le.

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