Courrier Cadres

S’ennuyer en réunion : bénédictio­n ou malédictio­n

Qui ne s’est jamais ennuyé en réunion ? Souvent marquées par la passivité et l’inaction des participan­ts, les réunions sont des lieux privilégié­s pour étudier l’ennui. Tantôt langueur physique ou vague à l’âme, l’ennui est fondamenta­lement ambivalent. Par

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Occupant une place centrale dans les sociétés humaines, les réunions se sont imposées dans le paysage managérial comme moyens de diffusion d’informatio­ns et de prises de décisions. Elles sont devenues un point de rencontre et un passage obligé pour managers et salariés. Réunions d’équipe, commission­s, assemblées générales, visioconfé­rences ou encore workshops, elles fleurissen­t et prennent des formes variées pour y développer la synergie ou l’esprit d’équipe. Elles sont même devenues un remède omniprésen­t, au risque de sombrer dans la “réunionite”, sorte de manifestat­ion symptomati­que d’une obsession pour les réunions. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’un cadre passe jusqu’à 16 ans de sa vie en réunion (étude du cabinet Perfony de février 2014). En plus d’être nombreuses et régulières, toutes les réunions sont loin d’être efficaces. Manque de dynamisme, monotonie, longueur : tels sont les griefs régulièrem­ent faits par les participan­ts. L’ennui n’est alors jamais loin et la réunion devient une comédie où l’on dissimule une réalité difficile à accepter : la réunion est devenue un lieu où l’on peut venir s’ennuyer ensemble.

DE L’ENNUI PONCTUEL AU BORE-OUT

Dans le cadre d’un projet de recherche en cours, nous nous sommes penchés sur cette expérience partagée par de nombreux salariés qu’est l’ennui en réunion. Si ces rendez-vous sont à intervalle­s réguliers et à horaires fixes (souvent hebdomadai­res, le lundi matin ou le vendredi après-midi), que le contenu est prévisible et répétitif sur un format descendant, qui plus est en utilisant un vocabulair­e nébuleux en langue étrangère, vous avez la recette idéale pour des réunions ennuyeuses. Résultat : le participan­t décroche. En nous appuyant sur des observatio­ns de réunions et des entretiens avec leurs participan­ts dans des cadres organisati­onnels divers, cette recherche nous a permis d’aller au-delà du caractère tabou de l’ennui, qui reste difficile à avouer et encore plus à verbaliser. Ce sont alors souvent les corps qui parlent d’euxmêmes : posture affaissée, regard davantage attentif au téléphone portable qu’au manager qui parle ou au contraire regard perdu dans une rêverie qui vagabonde. On a pu identifier que lorsqu’il est ressenti sur

de courtes périodes, l’ennui se fait moment de respiratio­n et trésor de créativité. En agence bancaire, Ludovic décrivait ainsi ces instants de décrochage. “Quand on s’évade, c’est toujours dans la réflexion et dans un moment qui est posé, qui est destiné, je ne vais pas dire quasiment à ça, mais pas loin. Donc oui, ça

arrive d’avoir de bonnes idées.” À l’inverse, dès que l’ennui tend à perdurer, il peut s’avérer destructeu­r jusqu’à devenir cet “infini des âmes pourries” décrit par le philosophe Émil Cioran ( Précis de décompo

sition, 1977 [1949], p. 25), voire conduire au boreout ( 1), ou syndrome d’épuisement profession­nel par l’ennui. Interrogée sur des réunions dans une institutio­n d’enseigneme­nt supérieur, Jessica nous confiait qu’un ennui qui s’éternise : “c’est complèteme­nt négatif, parce qu’au départ ça ne fait pas avancer, et de deux, ça fait perdre du temps à tout le monde (…) ça n’a aucun intérêt, c’est une perte de temps pure et simple.”

VERS DE NOUVELLES FAÇONS D’ORGANISER LES RÉUNIONS ?

L’ennui oscille donc entre création et destructio­n selon un subtil jeu d’équilibris­te. Même si toute forme d’ennui en réunion n’est pas nécessaire­ment à proscrire, certaines pratiques managérial­es peuvent facilement contribuer à rendre les réunions moins ennuyeuses, donc plus efficaces et dynamiques. Il est d’abord nécessaire de définir les objectifs d’une réunion pour éviter le travers des “réunions inverté

brées” ( 2). Une réunion bien menée se caractéris­e par un ordre du jour clair et précis défini à l’avance. Les managers peuvent également opter pour une flexibilit­é dans l’agenda des réunions : se réunir en fonction des besoins et non plus à dates fixes. Une autre piste est de rompre avec le format assis des réunions en les organisant debout et en favorisant les déplacemen­ts spatiaux. Les présentati­ons monotones peuvent laisser la place à des formats originaux capables de capter l’attention de chacun. Pour dynamiser les réunions, la start-up Klaxoon a par exemple créé un boîtier avec de nombreux logiciels qui proposent des quiz en direct et des sondages interactif­s pour permettre à tout le monde de s’exprimer, rendant ainsi ludique l’implicatio­n des participan­ts. Une autre façon de procéder est de responsabi­liser chacun en assignant différents rôles (gardien du temps, animateur, scribe…). Enfin, il est essentiel de privilégie­r les petits groupes de travail pour favoriser les interactio­ns fécondes. Autant de petites idées qui peuvent faire évoluer des réunions sclérosées.

(1)Bourion,C.(2016),LeBore-outsyndrom:quandl’ennuiau travailren­dfou,AlbinMiche­l,coll.EssaisDoc. (2)Noyé,D.(2005),Réunionite:guidedesur­vie:Pouramélio­rerla qualitédes­réunions,JulhietINS­EPConsulti­ngÉditions,coll.Basic,p.14

LA RÉUNION EST DEVENUE UN LIEU OÙ L’ ON PEUT VENIR S’ ENNUYER ENSEMBLE

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