Courrier Cadres

“CERTAINS Y PASSENT ENTRE TROIS ET CINQ HEURES PAR JOUR, C’EST DÉLIRANT”

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“J’AIVUAPPARA­ÎTRE LACASSUREI­LYA CINQ-SIXANS”

S’il y a bien un outil digital et démocratiq­ue pour communique­r en entreprise, c’est l’e-mail. Pourtant, ses côtés pervers sont pointés du doigt : moyen de se déresponsa­biliser, froideur des échanges, volumes trop importants… À nous de se le réappropri­er pour l’utiliser à bon escient. Plus de précisions avec Jean Grimaldi d’Esdra, professeur à l’Edhec Executive Education et auteur de L’Empire du mail*.

POURQUOI AVEZ-VOUS DÉCIDÉ D’ÉCRIRE UN OUVRAGE CONSACRÉ À L’E-MAIL ?

Je ne pensais pas du tout m’intéresser à ce sujet. Mais ces trois dernières années, j’ai fait un certain nombre de séminaires dans de grandes entreprise­s. Et je me suis vite rendu compte que pour les collaborat­eurs les e-mails étaient devenus nocifs. Il s’agissait de cadres intermédia­ires avec des petites équipes de quatre à sept personnes en moyenne. Ils m’expliquaie­nt qu’ils avaient entre 80 et 130 e-mails à gérer par jour et que leur temps de travail explosait. Je leur ai demandé comment ils géraient leur boîte. J’ai réalisé que quel que soit leur âge, il y avait une incompréhe­nsion et une méconnaiss­ance de toutes les règles de traitement automatiqu­e, etc., qui pourraient faciliter leur vie. C’est-à-dire qu’ils avaient perdu la maîtrise de cet outil. Voilà comment est venue mon interrogat­ion. L’e-mail était un outil merveilleu­x pour moi et je me suis aperçu que pour toute une population, il était devenu une pollution.

D’AILLEURS, COMMENT EST-IL DEVENU UN OUTIL UNIVERSEL ?

Pour beaucoup de personnes, l’e-mail simplifiai­t l’écriture. On pouvait très facilement en envoyer à tout le monde en dépassant les clivages hiérarchiq­ues. Je pense que cela a été un facteur puissant. Le deuxième facteur est que l’on peut le consulter partout, tout de suite. Dans un premier temps, il y a eu un âge d’or. On pouvait poser une question et avoir la réponse immédiatem­ent parce que les gens n’étaient pas encore saturés par le nombre de messages.

“UNE-MAILBIEN RÉDIGÉ,ÀBON ESCIENT,PEUT RESTERUNLE­VIER DEMOTIVATI­ON”

COMMENT ET QUAND SES LIMITES ONT-ELLES COMMENCÉ À APPARAÎTRE ?

Ce n’est pas scientifiq­ue car je n’ai pas trouvé d’étude. Mais j’anime des séminaires de formation depuis une vingtaine d’années et j’ai vu apparaître la cassure il y a cinq-six ans. Je pense qu’elle est arrivée pour deux motifs. Tout d’abord l’e-mail est devenu trop important en ce qui concerne le temps de travail. L’universali­té a finalement fait qu’on a atteint une limite. Certaines personnes y passent entre trois et cinq heures par jour, c’est délirant. Le deuxième point est que les modes de travail sont allés vers la déresponsa­bilisation. Les gens se sont rendu compte que l’e-mail était surtout fait pour tracer les responsabi­lités. J’envoie un e-mail, je me suis déchargé du problème. Quand vous êtes en bas de l’échelle, cela veut dire que vous recevez beaucoup d’e-mails pour vous dire de “faire”, plus que pour des raisons de facilité. On multiplie les doubles, les copies pour se protéger. Donc on a perverti un outil de communicat­ion. Le noeud vient de là.

DANS VOTRE LIVRE, VOUS PARLEZ DE LA FAÇON DONT L’E-MAIL A CHANGÉ LA MANIÈRE DE MANAGER ET DE L’IMPORTANCE DU CONTACT PHYSIQUE…

C’est peut-être l’idée à laquelle je tiens le plus dans le livre. Pour connaître les sujets, les personnes, il faut du temps. Dans nos relations aux autres et aux membres de nos équipes, il y a une phase de découverte qui se renouvelle en permanence. Lorsqu’il y a un nouveau problème, la personne vient vous voir, vous tourne un peu autour, peut-être parce qu’elle a fait une erreur ou n’a pas tout compris. Quand vous posez une question par e-mail, la réponse revient de manière rapide, même si elle n’est pas forcément cinglante ni irrespectu­euse. Mais il n’y a plus le temps de la création de la relation. Je pense que c’est un point à maîtriser à nouveau pour demain. Il faut se découvrir et se connaître pour après traiter très vite les choses. Un deuxième point est que le rôle du manager n’est pas simplement d’écrire. J’ai l’impression que cela devient un système de maître d’école qui corrige les copies. Alors que le manage- ment c’est être à côté des gens pour leur indiquer très concrèteme­nt comment faire, dire, traiter un problème. Et pas simplement des réponses très automatiqu­es. Et troisièmem­ent, à l’oral on prend des précaution­s. Alors que l’écrit rapide, électroniq­ue, c’est un peu comme un couperet. Même si, bien sûr, un e-mail bien rédigé, à bon escient, peut rester un levier de motivation.

OUI, D’AILLEURS, L’E-MAIL N’EST PAS MORT, VOUS Y VOYEZ TOUJOURS DES ASPECTS POSITIFS…

C’est là où il faut que nous arrivions à bien maîtriser cet outil d’un point de vue relationne­l. Il y a quand même trois grandes données positives. Premièreme­nt, comme l’on travaille beaucoup à distance et que les organisati­ons sont parfois complexes, l’e-mail facilite la circulatio­n de l’informatio­n. Deuxièmeme­nt, il permet une mise à dispositio­n de tous les documents pour pouvoir travailler, plus besoin de courir, de faire des photocopie­s. Je possède rapidement les outils de compréhens­ion d’un sujet. Et puis troisièmem­ent, et à mon avis c’est le plus important, cela crée une toile. Les personnes destinatai­res de l’e-mail vont interagir, soit toujours par message, par téléphone ou en se voyant. Ce sont des prétextes pour se créer un réseau.

*L’ Empire du mail. Management, contrôle et solitude, Jean Grimaldi d’ Es dr a,Lib ri nova.

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Jean Grimaldi Gri d’Esdra, professeur à l’Edhec.
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