Vie de bureau : Faut-il enterrer le brainstorming ?
Plus de soixante-dix ans d’existence dont soixante sous le feu des critiques des chercheurs ! Et pourtant, le brainstorming est toujours utilisé en entreprise. Galvaudée, la méthode d’idéation lorsqu’elle est repensée et bien employée se révèle malgré tout un outil dans l’air du temps.
On a tout dit ou presque sur le brainstorming : que 10 participants génèreraient plus d’idées dans leur coin qu’ensemble ; qu’il ne s’adapterait pas à tous les secteurs d’activité ; favoriserait les extravertis et briderait les introvertis ; pâtirait du phénomène des passagers clandestins ; mais aussi serait perçu comme une dépense à perte d’énergie et de temps. Si ces travers sont réels, la faute revient-elle réellement au brainstorming ou à ceux qui l’emploient ? Sur le papier, le concept est séduisant : réunir un petit groupe de personnes pour faire jaillir un maximum d’idées, sans critiques, sans barrières et en rebondissant sur celles des autres sans imposer sa vision. Dans la pratique pourtant, il est souvent au mieux infructueux au pire mal vécu et source de désillusions.
PRISE D’ASSAUT
Le problème, en France en tout cas, est renforcé par un malentendu. Une simple erreur de mots qui conduit à une approche biaisée dès le départ.
La traduction en tempête de cerveaux, voire en remue-méninges, est très loin de la notion d’assaut que le terme recouvre à l’origine. Loin d’une météo immaîtrisable ou d’une agitation, nous sommes en réalité dans un registre militaire, en somme dans une méthode structurée. Et non dans un joyeux désordre. Le brainstorming est parfois employé à mauvais escient mais il est aussi mal maîtrisé. “C’est très technique, cela demande une bonne pré
paration et du travail en amont”, commente Pierre d’Huy, titulaire de la chaire Innovation et directeur des programmes internationaux Edhec Executive Education. Pour lui, cela doit donner lieu à une répétition, le leader teste ainsi l’exercice avec 3 ou 4 personnes, lance les sujets, observe s’il se retrouve bloqué et cherche des moyens de relance. Surtout, contrairement à ce qui se pratique fréquemment, il s’agit d’opérer en amont une véritable sélection. “C’est un gros boulot de convoquer les bonnes personnes, avec un maximum de diversité, reconnaît
Pierre d’Huy. Il s’agit de faire un casting d’un groupe qui ensemble a une mécanique d’intelligence collective surdimensionnée par rapport à la moyenne. Cela ne fonctionne pas quand vous les faites toujours avec les mêmes personnes, la même équipe, par service, dans la même salle de réunion”. Ceux qui restent de côté comprendront que l’on
pourra faire appel à leur expertise dans d’autres phases du processus : entretiens par exemple ou conception de prototypes. Les journées marathon sont également à proscrire. Pour Pierre d’Huy, mieux vaut organiser un brainstorming d’une heure top chrono et faire revenir les participants la semaine suivante. Une vision que partage Nicolas Dugay, coauteur de l’ouvrage Optimisez
vos réunions et directeur général de Booster Academy, conseil et formation : “C’est la loi des rendements décroissants. Sur un même sujet, vous pouvez passer 3 heures ou 30 minutes. Dans ces 30 minutes, vous aurez obtenu 92 % des 3 heures. Aujourd’hui, dans les entreprises, tout le monde cherche du temps.”
JEUX POLITIQUES
Mais le principal défaut de l’exercice, réside surtout dans l’après. “Il faut s’engager et faire un feed-back, conseille Nicolas Dugay. Il s’agit de dire ce que l’on fait, ce que l’on a abandonné. Car on peut très bien tout abandonner.” Mais au-delà de cette question, une plus politique se pose, puisque le jugement se fait en différé. D’une part, les idées qui paraissaient bonnes à chaud peuvent finalement perdre en pertinence au fil des heures au profit d’autres suggestions. De plus, par amateurisme, certains se retrouvent débordés par ces idées qu’ils ne peuvent pas mettre en oeuvre faute de moyens, ou de personnes acceptant la charge de travail supplémentaire. Chez d’autres, cette illusion de démocratie est même un outil de manipulation, sous la forme : “On vous a laissé vous exprimer, maintenant taisez-vous !” Pierre d’Huy insiste sur l’importance de donner en préambule les 4 à 5 critères sur lesquels résidera la sélection. On a souvent reproché au brainstorming de ne pas être adapté à tous les secteurs, de vouloir appliquer ce qui fonctionne dans la communication (le concept ayant été inventé par Alex Osborn, le O de l’agence de pub BBDO) à des domaines qui n’ont rien à voir. En réalité, le problème réside surtout dans ce que vous cherchez à obtenir. “Les Wicked problems, les méchants problèmes, le brainstorming ne peut pas les résoudre. Mais en tant que professionnel de l’innovation, c’est une technique dont j’ai absolument besoin. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Et il ne faut pas confondre l’innovation et la créativité. Le brainstorming est un outil de créativité. Comme le brainwriting. Ce n’est pas le brainstorming ou rien !” Si d’autres méthodes existent aujourd’hui, offrant un panel large, le brainstorming perdure aussi parce qu’il comporte intrinsèquement de nombreuses vertus. Et certaines entreprises qui rechignent à l’employer, le font justement à cause de celles-ci, comme le remarque Nicolas Dugay : “Beaucoup ne veulent pas trop libérer la parole. Il y a une sorte d’injonction paradoxale entre le management libéré et la multiplication des processus pro ou des contrôles. Il y a le rêve et après il y a la frousse !” À l’heure de l’entreprise libérée, où les salariés demandent à ce qu’on les implique dans le processus d’innovation, la méthode se retrouve paradoxalement tout à la fois démodée, lorsqu’elle est abordée comme dans les années 60, et incontournable. D’une manière générale, le brainstorming a été libératoire, comme le remarque Pierre d’Huy. Il a ancré l’idée que “quand on veut faire de l’innovation, on ne demande pas nécessairement aux gens d’être à la R&D, à la stratégie ou au marketing. La question étant : sommes-nous les auteurs de l’histoire de notre entreprise ?”
ILYALERÊVE ETAPRÈSILYALA FROUSSE