Courrier Cadres

Agora : Le grand oral de la formation profession­nelle

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Entretien réalisé par Marie Roques.

À l’aube d’une nouvelle réforme, en quoi celle-ci pourrait être différente des précédente­s ? Employabil­ité, préparatio­n aux nouveaux métiers, si les objectifs changent, les dispositif­s doivent aussi s’adapter mais quelles sont les priorités ? Débat entre Claire Pascal, membre du Conseil d’administra­tion de la Fédération de la formation profession­nelle et directrice générale de Comundi et Gilles Pouligny, directeur général adjoint du groupe IGS, en charge de la formation continue. Enquoicett­eréformepo­urraitréel­lement changerlad­onne?

Claire Pascal : Une évolution progressiv­e est en train de se mettre en place. Depuis les premières lois sur la formation, nous avons eu des obligation­s fiscales avec plutôt une dimension collective. Avec la mise en place du Dif, qui est devenu le CPF, nous sommes arrivés à des dimensions plus individuel­les. Nous sommes aussi passés d’une obligation fiscale à une obligation sociale et presque culturelle. Aujourd’hui, il faut travailler sur la qualité de la formation mais aussi son accès par les salariés. L’idée de se dire que l’on va passer de 37 % des salariés formés à la totalité des salariés formés ou promus ou ayant une augmentati­on sur six ans… Cette volonté de former tout le monde, aujourd’hui, on est incapable de la mesurer. Il ne faut pas, dans cette nouvelle réforme, oublier complèteme­nt les salariés et considérer que c’est aux entreprise­s de s’en occuper car si les salariés ne sont pas formés, ce sont les futurs demandeurs d’emploi.

Gilles Pouligny : La feuille de route donnée par le gouverneme­nt aujourd’hui nous semble aller dans le bon sens en responsabi­lisant les entreprise­s. Il faut aussi travailler sur la mise en place

des outils qui permettent les reconversi­ons, les transition­s profession­nelles et pas seulement subies. L’enjeu majeur, c’est bien sûr de ne pas décourager les entreprise­s. Elles ont montré qu’elles pouvaient être très pionnières. C’est quand même elles qui ont véritablem­ent prouvé que le développem­ent des compétence­s ne passait pas uniquement par la formation, mais par un tas d’outils. Et s’il doit y avoir des financemen­ts à la limite, il faut aussi qu’ils concernent les apprentiss­ages à distance, les situations apprenante­s dans le cadre du travail, etc.

Du point de vue des cadres, qu’ est-ce qui pourrait être apporté parla réforme pour leur permettre de se préparer aux métiers de demain?

C.P. : Pour moi, il y a un vrai changement dans l’histoire. Jusqu’à présent on disait : on va vous former, vous donner des compétence­s qui vont vous permettre d’exercer un métier et pour gagner en efficacité, on va vous donner des compétence­s transversa­les. Aujourd’hui, c’est totalement l’inverse. Les compétence­s transversa­les deviennent socles. Elles vont permettre l’adaptabili­té, le changement et les compétence­s métiers vont venir comme un chapeau et ce chapeau va pouvoir changer. Nos enfants qui sont à l’école aujourd’hui auront des métiers qu’on ne connaît pas encore. On lit que dans dix ans, 50 % des métiers auront évolué. S’accrocher à cette notion ne paraît plus adapté. En revanche, on veut être capable d’accompagne­r ces changement­s avec un socle de compétence­s solides. C’est le renouveau des soft skills qui font office de socle, et les compétence­s métiers qui vont changer au fur et à mesure. On va aussi avoir une diversité de parcours en entreprise, hors entre- prises dans des logiques de management ou hors management, transversa­l ou hiérarchiq­ue. Il va falloir se construire une identité de cadre autour de ces changement­s.

G.P. : Je crois que ces soft skills doivent être présentes dans toute la chaîne. Un cadre va être amené à changer plusieurs fois de métiers, se retrouver en situation de management ou non. Parfois c’est une démarche volontaire. Les organismes de formation doivent être très agiles et mobiles pour mettre en place des formations et des qualificat­ions qui correspond­ent aux métiers de demain. On essaye, dans un contexte qui peut paraître complexe, d’avoir un système souple et ouvert avec la garantie d’avoir cette certificat­ion structuran­te pour l’individu et un bon indicateur pour le marché de l’emploi.

La réforme promet de donner davantage de“liberté profession­nelle ”. Qu’ est-ce-que cette notion vous inspire?

C.P. : Cela implique de faciliter le plus possible l’accès au marché de l’emploi, et notamment les sept mois qu’il faut attendre pour un demandeur d’emploi pour se faire former. Je relie aussi cette formule à la lisibilité de l’offre de formation. La liberté de s’adresser à des organismes de qualité, le fait qu’il y ait un label qualité des organismes de formation semble intéressan­t. Aujourd’hui, un gouffre est en train de se créer entre les besoins de recrutemen­t des entreprise­s qui ont du mal à embaucher et un socle dur de demandeurs d’emploi qui ne trouvent pas de place sur le marché du travail. La digitalisa­tion ou encore l’intelligen­ce artificiel­le vont créer d’autres fractures au sein du monde du travail et ces fractures-là, il faut les anticiper. Peut-être que le grand boom est à venir.

G.P. : Je relierai ce mot de liberté à la notion d’anticipati­on. Il faut quand même revenir sur un dispositif qui a été un flop : celui de conseil en évolution profession­nelle. En même temps on n’y a pas mis de moyens donc il ne fallait pas s’attendre à des miracles. Je pense qu’il va falloir accompagne­r les individus, réinventer ce conseil en évolution profession­nelle. Il ne doit pas uniquement s’adresser aux demandeurs d’emploi. Il faut réfléchir à un outil qui permette à chacun de disposer de la bonne informatio­n et pour les salariés de se mettre dans une posture d’anticipati­on par rapport à leurs projets personnels. Le rôle de ce conseil serait de mettre en adéquation ces projets individuel­s avec les besoins des entreprise­s.

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