Courrier Cadres

HITCHCOCK LE MYTHE D’UN HOMMEOBSÉD­É PAR LE CONTRÔLE

Décédé en 1980, Alfred Hitchcock a marqué durablemen­t l’histoire du cinéma. Il a laissé le souvenir d’un réalisateu­r froid et rigide en tournage, à l’image de certains de ses films. Pourtant, la vérité est ailleurs.

- Par Innocentia Agbe.

Le maître du suspense aimait jouer avec les émotions des spectateur­s. Et peut-être aussi un peu avec la perception que le public avait de lui. Au fur et à mesure de sa carrière, s’est construite l’image d’un homme obsédé par le

contrôle. Quelqu’un qui “prévoyait minutieuse­ment chaque plan de ses films et aimait dire qu’une fois son découpage technique terminé, la réalisatio­n elle-même l’ennuyait”, comme le rapporte Bill Krohn dans son ouvrage “Hitchcock au travail*”. Il aurait aussi été allergique aux surprises et fait “tout ce qui est en son pouvoir pour se protéger des aléas du monde réel, préférant s’enfermer sur les plateaux où ses mondes imaginaire­s pouvaient être transposés directemen­t de son esprit à la pel

licule […]”. Ce sont notamment ces mythes que Bill Krohn déconstrui­t. Une image façonnée par Alfred Hitchcock lui-même mais aussi par ceux qui ont écrit sur lui et exacerbé certains de ses traits. Pour se faire une idée la plus objective possible, l’auteur a notamment décidé de concentrer la majeure partie de ses recherches aux “documents

plutôt qu’aux personnes”. Premier enseigneme­nt, Hitchcock savait être flexible. C’est lui-même qui le dit dans une allocution, Méthodes comparées de

production, prononcée en Angleterre et reproduite dans l’American Cinematogr­apher. Comme le rapporte Bill Krohn : “J’essaie d’avoir pour règle

de réalisatio­n la flexibilit­é”. Ainsi est retranscri­te l’anecdote du tournage du film L’Étau qui a été commencé sans scénario parce que les dates de production avaient été arrêtées alors que le texte rendu par le scénariste ne lui convenait pas. Le réalisateu­r britanniqu­e expliquait qu’avant de se rendre sur le plateau, le tournage d’une scène était déterminé dans son esprit à environ 90 %. Ce qui laisse donc 10 % pour s’adapter. Par exemple aux conditions sur place comme la manière dont est décoré le plateau. Pourtant, il le précisait, il ne s’agissait pas d’approximat­ion : “Tout devrait être fait… non pas approximat­ivement, non pas sans raison. C’est exactement comme la musique… comme la compositio­n […]”

TOUS POUR UN

Un film se construit en équipe. Là encore, il semblerait qu’Hitchcock savait en fait être à l’écoute. Ainsi, Bill Krohn rapporte le témoignage de Robert Burks, l’un des chefs opérateurs d’Hitchcock lorsque ce dernier réalisait des croquis d’une scène en quelques secondes sur le plateau afin qu’elle soit filmée de cette façon particuliè­re. “Mais ce ne sont pas des décrets, si, après discussion, ‘Hitch’ arrive à la conclusion qu’on peut obtenir un meilleur résultat en s’y prenant autrement, il n’hésite pas à réécrire l’action ou le dialogue.” Dans un article

publié par Télérama en octobre 2017 et revenant sur un documentai­re consacré à la fameuse scène de la douche de Psychose, le journalist­e rappelle à quel point elle est “l’aboutissem­ent d’un admirable

travail collectif”. “Hitchcock qui l’envisage comme un film dans le film, fait appel au graphiste Saul Bass pour élaborer un story-board. Le montage de George Tomasini prend quelques libertés avec le déroulé initial et transgress­e les règles classiques de la grammaire cinématogr­aphique”, cite-t-il par exemple. Puis vient le souci extrême du détail. Bill Krohn rappelle qu’Hitchcock était connu en Angleterre comme un réalisateu­r qui portait une attention fanatique aux détails naturalist­es. Ainsi, le cinéaste raconte lui-même que pour

Sueurs Froides dont le héros est un détective

privé à la retraite engagé par un copain pour filer sa femme, “il envoya des collaborat­eurs à San Francisco où se situe l’intrigue, pour qu’ils photograph­ient des appartemen­ts de détectives à la retraite titulaires de diplômes universita­ires, et fit construire le décor de l’appartemen­t du personnage interprété par

James Stewart à partir de ces photos”, rapporte Bill Krohn. Pourtant, cela ne l’a pas empêché d’être ouvert à des tournages en extérieur où il est beaucoup plus difficile de tout contrôler, et ce malgré quelques déconvenue­s. Il savait aussi laisser place à l’improvisat­ion. Même s’il a raconté à François Truffaut ne pas avoir été convaincu la première fois qu’il s’y est adonné. Le cinéaste recommence­ra quand même. Un fait encore un peu éloigné de l’image de l’homme constammen­t rigide. Hitchcok était “par-dessus tout, un expériment­ateur”, tient à rétablir Bill Krohn. Dans un article de Télérama est ainsi rapportée une anecdote que raconte le cinéaste dans l’ouvrage “Ferme les yeux et vois !” publié par Marest Éditeur. Elle montre encore une fois son goût pour l’expériment­ation. “Dans ‘Mon film le plus excitant’, il raconte avec humour les difficulté­s insensées vécues par les comédiens et les technicien­s sur le tournage de “La Corde”, entièremen­t fait, on s’en souvient de plans séquence de dix minutes chacun”. Même si “plus tard il désavouera ce défi technique, vain et légèrement prétentieu­x, dira-t-il.” *“Hitchcocka­utravail”,BillKrohn,Cahiersduc­inéma.

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