Courrier Cadres

PLUS D'AUTONOMIE POUR UN MEILLEUR BIEN-ÊTRE

Parmi les avantages mis en avant par les adeptes de l’entreprise libérée figurent de meilleures conditions de travail et donc un bien-être accru pour les employés. Est-ce vraiment la réalité ?

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Rendre autonomes ses collaborat­eurs et créer plus d’engagement reste l’un des objectifs des dirigeants qui misent sur l’entreprise libérée. Car comme le démontre la Dares dans une note conjonctur­elle publiée en décembre dernier, les salariés français voient décliner “[leur] autonomie et [leurs] marges de manoeuvre depuis 1998. [Ils] sont de moins en moins nombreux à choisir eux-mêmes la façon d’atteindre les objectifs fixés et à ne pas avoir

de délais ou à pouvoir les faire varier.” Dans ce cadre, impliquer les équipes dans les décisions de l’entreprise semble être la bonne solution. Sur le papier seulement selon François Geuze, ancien DRH et consultant pour le cabinet E-Consulting RH. Selon lui, lorsqu’une entreprise accroît la responsabi­lité des salariés “cela implique pour eux d’assumer des choix. Dans le cadre de l’entreprise libérée, ces nouvelles tâches sont rarement rémunérées, voire jamais. Ce qui peut entraîner de l’engagement, certes, mais surtout du surengagem­ent”, analyse-t-il. Un constat effectué également par l’enseignant-chercheur à l’Inseec Business School, Damien Richard. “Les entreprise­s libérées poussent à l’engagement et à la responsabi­lisation. Cela nécessite que l’employeur soit constammen­t en veille pour éviter que cela ne se fasse au détriment de la santé des collaborat­eurs”, prévient-il

CRÉER DU LIEN ET DE LA CONFIANCE

Généraleme­nt, les entreprise­s qui se disent libérées mettent la main au porte-monnaie pour offrir un environnem­ent de travail agréable et donc favoriser l’engagement des collaborat­eurs. Locaux rénovés, bureaux fonctionne­ls et partagés, café à volonté… Un moyen de retenir les employés encore plus longtemps sur leur lieu de travail sans que cela soit vécu comme une contrainte. Au risque de créer un engagement excessif des équipes et conduire à l’épuisement profession­nel. Et même si aujourd’hui il est trop tôt pour dire si les entreprise­s libérées favorisent le burn-out,

certains experts estiment qu’il ne faut pas écarter l’hypothèse. “C’est une logique extrêmemen­t productivi­ste, où c’est la notion d’engagement qui va primer pour départager les salariés, assure François Geuze. Ce qui est, en définitive, contreprod­uctif en matière de risques psycho-sociaux.” Pour Alexandre Gérard, président de Chrono Flex, il ne faut toutefois pas confondre les

entreprise­s libérées avec celles “qui font de la rétention. Si vous faites une entreprise plus belle et plus sympa que le domicile du collaborat­eur, il est certain que ce dernier ne se rendra pas compte qu’il travaille et ne comptera plus ses heures. Mais c’est de la manipulati­on, de la rétention et ce n’est pas l’objectif de l’entreprise libérée.” Pour cet adepte des nouvelles formes d’organisati­on, l’une des clés pour que votre démarche réussisse reste de travailler sur la confiance. “Mais cela

prend énormément de temps”, affirme Alexandre Gérard. Un avis partagé par Damien Richard. “La confiance se construit dans les deux sens. Cela nécessite que les dirigeants fassent confiance aux travailleu­rs mais aussi que les travailleu­rs se fient à la direction.” Et c’est là l’un des principaux défis des entreprise­s qui souhaitent libérer leur organisati­on. Car concrèteme­nt, tous les collaborat­eurs ne sont pas capables d’accorder leur confiance, que ce soit à la direction ou aux autres salariés. “Pour les managers, cela demande notamment un vrai courage managérial. Car pour eux, cela implique d’accorder pleine confiance à des salariés qu’ils ont recrutés avec un lien de subordinat­ion”, insiste Damien Richard. D’où la nécessité pour les dirigeants d’investir dans des formations pour que la transforma­tion opère auprès des équipes d’encadremen­t (lire page 26-27). Du côté des collaborat­eurs aussi, tous ne sont pas capables de s’impliquer dans les choix stratégiqu­es de l’entreprise. Ou n’ont seulement pas envie de le faire. “Ne pas prendre de décision peut avoir un côté confortabl­e pour certains profils”, précise Damien Richard. Durant la transforma­tion de son entreprise, Alexandre Gérard a fait le même constat. “Il y a des gens qui préfèreron­t rester dans une posture de ’je fais ce que l’on me dit’. Cela est sûrement dû à l'habitude de l’organisati­on pyramidale qui est ancrée dans les gènes de beaucoup de monde, confie le président de Chrono Flex avant d’ajouter : Mais je crois sincèremen­t que l’entreprise libérée est possible avec tous les profils. À partir du moment où l’on pense que les personnes sont responsabl­es dans leur vie privée pourquoi ne le seraient-elles pas au travail ?”

EFFET DE MODE

Pour certains experts, l’attrait des dirigeants pour l’entreprise libérée est en train de s’estomper au profit d’autres initiative­s. “À mon sens, l’entreprise libérée reste une mode managérial­e née avec l’avènement des réseaux sociaux. On a vu beaucoup de petites et moyennes entreprise­s qui s’en sont servies pour se valoriser et dont on aurait jamais entendu parler sans cela”, assure François Geuze. Le consultant RH assure même que l’entreprise libérée se voit supplantée par une autre mode : l’arrivée du Chief Happiness Officer, comprendre

Responsabl­e du bonheur. “Aujourd’hui on voit s’accumuler un ensemble de choses sur le thème du bonheur au travail qui sont de plus en plus intrusives, affirme François Geuze. Et dont l’objet n’est pas de s’interroger sur la qualité de vie au travail mais sur la manière d’être plus productif grâce à l’engagement.” Un avis partagé par Alexandre

Gérard qui constate “une mode autour du bonheur au travail, ironise-t-il. Or ce n’est pas parce que quelqu’un apportera des croissants tous les matins que vous êtes une entreprise libérée. Pas même une société où il fait bon vivre.”

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