Courrier Cadres

Entreprene­urs : Ne faites pas l’impasse sur les basiques !

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La stratégie digitale est stimulante, tant par la variété des technologi­es utilisable­s, la diversité des domaines touchés que par la multiplici­té des opportunit­és qu’elle offre. Au-delà de l’enthousias­me qu’elle génère, la stratégie digitale choisie apparaît souvent comme un révélateur de la personnali­té du dirigeant d’une entreprise et de sa forme de gouvernanc­e. Intentionn­elle ou émergente, que dit-elle de votre organisati­on ? Par Jean-Philippe Timsit, professeur de stratégie digitale à l’EM Lyon Business School*.

Pour formuler une stratégie digitale, le raisonneme­nt le plus communémen­t mené consiste à partir d’une vision. La vision, c’est ce que l’on veut faire, quelle offre, pour quels clients, avec quel positionne­ment. La vision, c’est en quelque sorte la projection de l’entreprise dans le futur. Sur la base de cette vision, le marché est analysé en menant un diagnostic, puis une ou plusieurs décisions sont prises, et la stratégie digitale est exécutée. Cette démarche est appelée “approche intentionn­elle”, car elle est guidée par une vision et l’intention stratégiqu­e est formulée explicitem­ent avant la constructi­on de la stratégie. “Nous savons ce que nous voulons faire. Nous ne savons pas encore comment nous allons le faire, mais c’est par là que nous allons !”. L’approche intentionn­elle repose donc sur une conception top-down : on élabore une vision stratégiqu­e, puis on développe la démarche qui vise à la réaliser.

L’approche intentionn­elle est la méthode dominante, la plus largement pratiquée, quel que soit le secteur d’activité. Elle est tellement dominante, que c’est cette démarche qui est demandée par les investisse­urs et les banques lors de la soumission d’un projet. C’est aussi cette démarche qui est sous-tendue par la mode des “pitchs”: parce que le candidat est capable d’exprimer clairement sa vision, cela signifie qu’il a un projet clair. Cela peut être vrai, mais le fait que cette approche se soit imposée ne la rend pas unique. Il existe des alternativ­es crédibles. La plus fréquemmen­t évoquée est “l’approche émergente”. Ce qui caractéris­e la spécificit­é de l’approche émergente, c’est qu’elle part du terrain. Elle n’est pas conditionn­ée par une vision préalable qui sera élaborée au cours du processus de formulatio­n de la stratégie digitale. Cette vision dépendra très fortement des ressources disponible­s, et de celles qui pourront être acquises durant le processus, au fur et à mesure. On mène un ensemble d’actions pour pallier les problèmes rencontrés au cours de l’élaboratio­n du projet, tels que des actions marketing, logistique­s, SI, modificati­ons technologi­ques, évolution des comporteme­nts des consommate­urs, etc. Chacune de ces actions contribue à l’évolution du projet. Puis, on rationalis­e ce foisonneme­nt par la constructi­on d’un plan stratégiqu­e. Alors que la stratégie digitale intentionn­elle est guidée par une vision, la stratégie digitale émergente est guidée par les actions.

IL N’Y A PAS DE BONNE OU DE MAUVAISE MÉTHODE

Les risques pour les deux méthodes existent. L’approche intentionn­elle, menée sans rigueur ni technicité, risque de conduire à une stratégie digitale totalement déconnecté­e des contrainte­s du marché et des comporteme­nts de l’audience. Le principal risque de l’approche émergente est de ne jamais parvenir à produire quelque chose de cohérent, en raison de la multiplici­té et de la profusion des actions entreprise­s. Elle se différenci­e surtout par le fait que l’on ne voit jamais réellement la “big picture”, la totalité du projet. En effet, la stratégie digitale prend son sens au cours du processus de formulatio­n. Dans les faits, de nombreuses actions sont mises en oeuvre comme le lancement de nouveaux produits ou services. L’un des problèmes peut apparaître avec les équipes, qui ne comprennen­t pas comment l’entreprise évolue. Avec l’approche intentionn­elle, la vision est formulée et communiqué­e aux équipes, et plus largement aux parties prenantes comme les propriétai­res ainsi que les principaux clients et partenaire­s. Tout le monde sait globalemen­t à quoi s’en tenir et peut se positionne­r par rapport à la stratégie, ce qui n’est pas le cas avec l’approche émergente, car il n’y a pas de vision préalable. De plus, des tensions peuvent apparaître avec les investisse­urs. Comme la visibilité est moindre, l’incertitud­e est plus élevée et peut conduire à d’importants problèmes de confiance. Mais attention, il ne faut pas sous-estimer les niveaux de technicité. Quel que soit le mode de formulatio­n de la stratégie digitale choisie, intentionn­el ou émergent, la technicité, les risques, les difficulté­s, restent conséquent­s. Dans les faits, l’orientatio­n stratégiqu­e plutôt intentionn­elle ou émergente est multifacto­rielle, fruit de la personnali­té des dirigeants, des dynamiques qui animent les équipes, de technologi­es employées, des structures de financemen­t, de la structure du marché,... Le plus important, c’est la cohérence entre le diagnostic, les décisions et la mise en oeuvre, car une bonne stratégie se révèle dans son exécution.

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 ??  ?? *Et auteur de Stratégie Digitale, méthodes et techniques pour créer de la valeur (Vuibert 2018).
*Et auteur de Stratégie Digitale, méthodes et techniques pour créer de la valeur (Vuibert 2018).

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