Juridique : Salariat déguisé, attention !
Plutôt que d’embaucher, vous préférez faire travailler un micro-entrepreneur. Mais êtes-vous certain que votre prestataire n’est pas en réalité votre salarié ? Cela pourrait vous coûter cher. Le point sur ces relations requalifiées en contrat de travail.
Arbitrer entre prestataire et salarié Facile mais parfois risqué
Recourir aux services d’un prestataire indépendant peut, à première vue, sembler plus facile et moins cher que d’embaucher (pas de charges sociales, notamment). Mais c’est parfois prendre un risque : si jamais ce prestataire revendique la qualité de salarié et qu’il obtient gain de cause, la note peut s’avérer salée ! Redressement de cotisations avec application d’une majoration spécifique, sanctions pénales (amende et emprisonnement), exclusion des marchés publics et perte de certaines aides publiques pour une durée de 5 ans…. La liste des sanctions encourues est longue et doit encourager à prendre, en amont, toutes les précautions nécessaires pour éviter de se trouver dans une situation de travail dissimulé.
Étudier les conditions d’exercice
En principe, une entreprise (donneur d’ordres) peut contracter avec une autre (sous-traitant) sans qu’un contrat de travail “soit constitué” et donc sans se rendre coupable de travail dissimulé. Toutefois, il ne s’agit que d’une présomption : cela signifie que le sous-traitant peut apporter la preuve contraire En cas de litige, pour apprécier l’existence d’une relation de travail, les juges appliquent la méthode dite “du faisceau d’indices”. Ils se déterminent au vu d’un ensemble d’éléments. Les critères pris en compte dépendent des spécificités de l’activité du travailleur intéressé, mais certains reviennent souvent.
Éviter tout lien de subordination
C’est le lien de subordination qui caractérise le contrat de travail et l’assujettissement au régime général de la Sécurité sociale. C’est pourquoi les juges cherchent traditionnellement à déterminer si le travail est effectué sous le contrôle et la direction de la société ou dans le cadre d’un service organisé. Par ailleurs, le fait que le lieu de travail ou les horaires sont imposés et le matériel fourni au travailleur entre également en considération. Les modalités de rémunération sont systématiquement examinées. Attention : L’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination donnée au contrat les unissant, mais des conditions réelles d’exercice de l’activité.
Plate-forme employeur, livreur salarié Un livreur de repas à domicile
Une société utilisait une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plateforme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d’indépendant. Un de ces coursiers, estimant qu’il était en réalité un salarié, avait demandé en justice la requalification de la relation contractuelle avec la plate-forme en contrat de travail.
Pouvoir de sanction et de géolocalisation
Les juges lui ont donné raison. Ils ont estimé que le contrat de travail était bien réel car le livreur était lié à la plate-forme par un lien de subordination (voir ci-avant). Deux éléments ont retenu leur attention :
l’existence d’un système de bonus et de malus, évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur;
un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus. Peu leur ont importé que le coursier soit libre de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler, ou de n’en sélectionner aucune, s’il ne souhaitait pas travailler (cass. soc. 28 novembre 2018, n° 1720079).
Un prestataire de services en réalité salarié Gestion administrative
Une travailleuse indépendante (encore en autoentreprise) effectuait une mission de gestion administrative des dossiers d’une société, encadrée par des contrats de prestations de services successifs. À la fin de leur collaboration, l’intéressée avait saisi les prud’hommes pour demander la requalification de cette relation en contrat de travail.
Courriel, ordinateur et réunions
Au vu de divers éléments, les juges ont constaté qu’il existait un lien de subordination envers la société : notamment, elle disposait d’un courriel et d’un ordinateur de la société, elle participait à des réunions avec des salariés, elle avait travaillé collectivement et percevait un salaire mensuel et enfin, par deux courriels, la société lui avait demandé d’effectuer des tâches. La requalification des contrats de services en contrat de travail était donc inévitable, avec des conséquences non négligeables pour la société, qui a été condamnée à payer 21 600 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé, 7 416 euros d’indemnité de licenciement, 21 600 euros pour rupture abusive et 12 960 euros à titre de rappel de congés payés (cass. soc. 26 septembre 2018, n° 17-15448).
Identifier deux situations à risque Recourir à d’anciens salariés auto-entrepreneurs : prohibé !
L’employeur qui fait travailler dans les mêmes conditions des anciens salariés sous le régime de micro-entrepreneurs risque de se voir accuser de détourner de son objet ce statut pour échapper au paiement des charges sociales. Pour les juges, la “ficelle” est un peu trop grosse. Une société de téléprospection téléphonique en a fait l’expérience, après avoir demandé à ses salariés de quitter la société pour exercer leur activité en tant qu’auto-entrepreneurs exclusivement pour le compte de leur ancien employeur.
Ils avaient conservé les mêmes fonctions assorties des mêmes modalités d’exécution du travail fourni par la société et exerçaient leur activité dans le cadre d’un contrat type, commun à tous, et selon un mode de rémunération identique. Les modalités d’exécution du travail leur étaient imposées par l’entreprise à laquelle ils devaient rendre compte très régulièrement du résultat des démarches téléphoniques effectuées. Dans ces conditions, le lien de subordination révélateur d’un contrat de travail était parfaitement établi (cass. crim. 15 décembre 2015, n° 1485638).
Une activité bénévole pas toujours anodine
Faire appel à des proches à titre bénévole est-il sans risque ? Pas toujours. L’Urssaf n’a rien à redire du coup de main donné par l’entourage, de façon désintéressée. En revanche, les choses se corsent si parents, proches ou amis ont en réalité exercé une activité au sein d’un commerce dans un rapport de subordination Dans une affaire récente, un commerçant, le jour d’une fête du melon, de forte affluence, travaillait avec le renfort de cinq personnes, toutes de son entourage. Un contrôle Urssaf effectué à cette occasion avait débouché sur un redressement de cotisations. Les juges ont validé ce redressement, dans la mesure où les proches en question exerçaient leur activité dans un rapport de subordination (cass. civ., 2e ch., 9 mars 2017, n° 16-10117).