Courrier Cadres

Dans la peau de Rodin, l’enfer du génie

- Par Marie Roques.

Auguste Rodin est sans conteste l’un des plus importants sculpteurs français de la seconde moitié du XIXe siècle. Accroc au travail, il conserve tout au long de sa carrière un goût prononcé pour l’effort, même s’il n’a pas hésité, une fois la reconnaiss­ance venue, à déléguer les tâches les plus fastidieus­es et notamment le travail du marbre.

Avant même d’analyser les méthodes de travail d’Auguste Rodin, il convient d’évoquer la place qu’occupait le travail dans sa vie. “C’était comme un élixir, une sorte de drogue, révèle Véronique Mattiussi, responsabl­e du fonds historique et de la bibliothèq­ue du musée Rodin. Les personnes qui l’ont côtoyé sont nombreuses à témoigner du fait qu’il était addict au travail. C’est d’ailleurs un point commun qu’il avait avec Camille Claudel. Un amour inconditio­nnel du métier avec une valorisati­on de l’effort, de la persévéran­ce, mais aussi de la patience.” Dans cette perspectiv­e, selon Véronique Matiussi, il conseillai­t souvent à son entourage de l’atelier de ne pas essayer de faire fortune à tout prix mais plutôt de se consacrer uniquement au travail, de remettre sans cesse le métier sur l’ouvrage. Les notions d’investisse­ment et d’engagement étaient extrêmemen­t importante­s pour le sculpteur. “La valeur travail se plaçait au commenceme­nt de son enseigneme­nt”, précise Véronique Matiussi. Les méthodes de travail de Rodin vont varier selon les périodes. Tout au début de sa carrière, encore inconnu et n’ayant pas d’argent, il va travailler dans de grands ateliers pour se familiaris­er avec le fonctionne­ment des grandes équipes. Il démarre ensuite le chantier de sa vie autour de la Porte de l’Enfer qui était au départ une porte commandée par l’État destinée à un musée des arts décoratifs

et pour laquelle il confection­ne des milliers de figures. À cette période, le sculpteur travaille les mains dans la terre. Il naît sur la scène artistique à l’âge de 40 ans. Une reconnaiss­ance qui vient tardivemen­t. Pour répondre aux commandes, il va embaucher des collaborat­eurs et son atelier va changer de configurat­ion. Par la suite avec la reconnaiss­ance, son travail va davantage s’intellectu­aliser. Il ne met plus les mains dans la terre. Il s’éloigne alors de toutes les tâches fastidieus­es et fatigantes et notamment le travail du marbre pour se consacrer pleinement à la création. “Il reste partie prenante dans le choix de la qualité du marbre, même si ce n’est pas à lui que la pratique est destinée”, souligne Véronique Matiussi. Le fait de déléguer est aussi un moyen pour lui de s’éloigner de ce qui prend trop de temps. Par ailleurs, le fonctionne­ment de son atelier est assez classique. Certains collaborat­eurs travaillen­t à distance dans leur propre atelier pour plusieurs sculpteurs dont Rodin, mais il y a aussi des praticiens qui oeuvrent sous son oeil et exécutent notamment le travail de dégrossiss­age, Rodin suivant attentivem­ent chacune des étapes. “Il s’autorisait à tout moment à intervenir, à modifier ses orientatio­ns. Cela faisait partie de son processus créatif, détaille Véronique Matiussi. Il crayonnait sur les plâtres quand les praticiens étaient absents. Le soir, il visitait l’atelier, regardait le niveau d’avancement des oeuvres et corrigeait directemen­t sur les zones à retravaill­er”. Son travail prend ensuite une distance et tout le corpus qu’il va créer va être revisité pour lui donner une autre définition.

VÉRITÉ ET JUSTESSE

À partir de figures de petites tailles qu’il va, par exemple, agrandir, il va créer un oeuvre à part entière et réussir à leur donner une nouvelle vie. Sur la base de formes préexistan­tes, il produit de nouveaux sujets avec des modes de fabricatio­n bien précis. Ainsi, par exemple, l’agrandisse­ment perçu comme un acte technique, va véritablem­ent devenir un acte créatif. Véronique Matiussi raconte également que Rodin n’était pas vraiment fait pour la transmissi­on. “Il a eu lui-même une scolarité chaotique, il était timide et pas vraiment un grand communican­t”. Selon la spécialist­e, Antoine Bourdelle a eu l’idée de créer un institut Rodin pour permettre au public de participer à des cours avec le maître mais le projet n’a pas duré très longtemps. “C’est la proximité avec Rodin et dans le silence que l’on apprenait, en pratiquant autour de lui.” Pourtant, la jeune génération le sollicite beaucoup notamment pour travailler autour de la théorie des profils, révolution­naire à l’époque, même si héritée des Anciens. Il s’agissait d’observer un modèle sous toutes les coutures pour ne négliger aucun angle de vue. Une attitude qui pouvait surprendre notamment lorsqu’on pouvait trouver Rodin à observer le dessus du crâne du Pape. “Il cultivait une proximité avec ses modèles, il tournait autour et exécutait sa sculpture en faisant, en même temps tourner la terre sur la sellette. Il travaillai­t avec des ajouts et des soustracti­ons de matière”, précise Véronique Matiussi. L’important pour Rodin était de ne négliger aucun aspect, d’être dans une certaine forme de vérité et de justesse.

Pour aller plus loin: Auguste Rodin, Éditions Le Cavalier Bleu, Collection Les idées reçu es, Véronique Mati us si, novembre 2011.

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Pour en savoir plus sur les étapes de fabricatio­n d’une sculpture chez Rodin, snapez cette page

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