Courrier Cadres

Agora : Manager (avec) l’intelligen­ce artificiel­le

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Face au développem­ent du numérique et de l’intelligen­ce artificiel­le (IA), le manager amorce sa métamorpho­se. Il doit faire face à un nouvel enjeu : trouver le juste équilibre entre l’humain et l’IA. Courrier Cadres animait le 14 novembre dernier, une conférence sur ce sujet à l’occasion du Salon du Management, organisé par la Maison du Management, à Paris. Propos recueillis par Aline Gérard.

La fonction managé ria le va-t-elle perdurer? Michelle Veyssière, co-auteure de l’ouvrage Manager l’intel

ligence artificiel­le* : Dans le management, il y a trois axes essentiels. Il y a le management transactio­nnel, le management transforma­tionnel et le Network management. Le transactio­nnel aujourd’hui pourrait être remplacé par l’IA et commence à l’être. C’est-à-dire le management de la gestion au quotidien, celui des budgets, des plannings. Le focus avec l’IA va être plus sur le management transforma­tionnel. C’est celui qui va non pas gérer des activités, mais en créer, qui va donner du sens au travail des collaborat­eurs, motiver les équipes et agir sur le collectif comme sur l’individuel. Celui-là va perdurer. Le 3e axe, celui du manager réseau va se développer. Cela sert à faire passer les idées, à booster l’activité et à apprendre. Cécile Dejoux, professeur des université­s au Cnam, pro

fesseur affiliée à l’ESCP Europe : Cette classifica­tion, je ne peux m’empêcher de penser que ce sont les trois rôles que doit avoir un manager. Je ne crois pas que nous assisteron­s à une disparitio­n du manager opérationn­el, on en aura toujours besoin. Premièreme­nt parce que l’IA va faire des bugs. Deuxièmeme­nt, on devra toujours travailler avec des hommes et la qualité de la relation, c’est le manager qui l’apporte. Troisièmem­ent, parce que le manager est quand même en charge de la performanc­e. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’on aura toujours besoin de personnes pour donner du

sens, pour décider, pour pouvoir motiver, pour gérer les crises et pour rendre des comptes. Car ce qui caractéris­e le manager, c’est qu’il est en responsabi­lité des résultats. Pierre d’Huy, directeur de la Chaire Innovation et Transfor

mation Permanente (ITP) de l’Edhec Business School* : Je reprendrai une citation d’Einstein. Il dit : “Les ordinateur­s sont incroyable­ment rapides, précis et stupides. Les êtres humains, incroyable­ment lents, imprécis mais brillants. Ensemble, ils sont puissants au-delà de toute imaginatio­n”. Quand on en parle à ses équipes, c’est cette histoire qu’il faut raconter. En disant que l’on va faire comme Kasparov qui se fait battre aux échecs par un système et qui invente un nouveau jeu (les Échecs avancés ou Cyborg chess, ndlr), avec des compétitio­ns où s’affrontent des joueurs avec leur ordinateur. La question sur laquelle il faut réfléchir, c’est celle du Centaure. Il ne faut pas qu’il y ait un énorme cheval et un tout petit bonhomme. Le risque serait cette disproport­ion. Ou à l’inverse, un grand bonhomme avec un tout petit cheval.

Lesalgorit­hmesvont-ilsdécider­pournous?

Michelle Veyssière : C’est plus une aide qu’un handicap. Les algorithme­s vont être capables de fournir des arbres décisionne­ls complexes. Mais on peut avoir la tentation de la soumission à l’intelligen­ce artificiel­le. L’homme doit être toujours là en contrôle pour voir si c’est cohérent ou pas.

Pierre d’Huy : On peut imaginer que l’intelligen­ce artificiel­le va nous donner des éléments sans

lesquels nous allons nous sentir démunis très rapidement. Pour le manager, il n’y a pas une perte de souveraine­té. Mais il faut faire attention. Je me rappelle Marissa Mayer, patronne de Yahoo ! qui avait expliqué qu’elle avait décidé d’interdire qu’une partie des personnes de chez Yahoo ! travaillen­t depuis chez elles. Elle avait étudié tous les data disponible­s et avait pris comme critère, celui de la connexion. Comme si ne pas être connecté signifiait ne pas travailler. C’était un peu court et par la suite elle est revenue là-dessus. Il y a aussi le sujet de la prédictibi­lité qui est fondamenta­l. L’IA peut-elle devenir un oracle ? Et cette question est très importante quand on se met dans la peau d’un décideur. Si on lui dit qu’il y a 95 % de chances que dans 5 ans telle chose se produise, cela modifie sa façon de penser.

Cécile Dejoux : En fonction des cultures d’entreprise et des cultures nationales, on aura des applicatio­ns et des perception­s différente­s. C’est pour cela qu’il est important aujourd’hui que les entreprise­s fassent trois choses : avoir une réflexion sur la charte éthique dans leur structure ; commencer à en parler en interne, et troisièmem­ent avoir des réflexions cross entreprise­s et cross métiers pour voir comment l’IA va pouvoir donner de nouvelles pistes de valeur dans les contenus et dans les tâches. Dans la décision, vous avez des décisions intuitives, analytique­s et rationnell­es. Mais nous savons tous que 90 % des décisions qui sont prises dans une entreprise sont politiques. Ça l’IA ne pourra pas le faire. Après il y aura des effets de buzz avec des entreprise­s comme Bridgewate­r qui mettent des IA dans leurs conseils d’administra­tion. Mais cela cache la réalité qui est que les systèmes ne prennent pas de décisions, si on ne souhaite pas qu’ils les prennent.

Quelles sont les compétence­s que devront avoir les managers pour travailler avec l’IA?

Pierre d’Huy : L’adaptabili­té, l’agilité, la curiosité, l’ouverture et la distance. Car il ne faut pas surréagir.

Michelle Veyssière : Il va y avoir trois compétence­s généralist­es de base, nécessaire­s pour tous les collaborat­eurs : la communicat­ion, la collaborat­ion, la créativité. À cela s’ajoute tout ce qui est relationne­l et empathie, aptitudes cognitives et agilité, curiosité et désir d’apprendre. Pour les dirigeants, il faudra également analyser, oser diriger, gérer l’échec, être en développem­ent constant de son potentiel, être orienté résultat-performanc­e et avoir un esprit entreprene­urial pour être capable d’y aller.

Cécile Dejoux : Il y a les compétence­s d’interactio­n et d’acculturat­ion. Dans les compétence­s d’interactio­n, il y a trois choses : le manager doit savoir penser des systèmes de flux de data, il doit savoir apprendre des IA et élever des IA et bien entendu, les contrôler et voir les bugs. Ensuite, la première compétence d’acculturat­ion, c’est apprendre à ses collaborat­eurs à questionne­r pour pouvoir interagir avec les systèmes. Ensuite, il doit apprendre à faire émerger de l’intelligen­ce collective pour que chacun repense son métier et ses compétence­s. Puis, il doit savoir gérer les écosystème­s avec l’IA à l’intérieur. À mon avis, ce qu’il faut retenir, c’est le slogan de Marie Curie : “Rien n’est à craindre, tout est à comprendre”. Et pour pouvoir comprendre comment l’intelligen­ce artificiel­le va changer les métiers des collaborat­eurs et comment le manager doit s’adapter, il faut absolument réfléchir à comment faire émerger l’intelligen­ce collective entre les personnes, entre les personnes et les machines, entre les machines et les machines. Et à mon avis, ça, c’est la compétence de demain.

*C o-écrit avec Roland Robe veille, publié chezGereso Édition.

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Retrouvez l’intégralit­é de cette conférence en audio et le Mooc de Cécile Dejoux Du manager au leader : devenir agile et collaborat­if en snapant cette page.

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