LA BATAILLE DES NOUVELLES MOBILITÉS
Loueurs de voitures, constructeurs automobiles et start-up se livrent une compétition acharnée pour tracer leur voie sur les marchés convoités de l’autopartage et des VTC. Par Thierry Beaurepère.
’est le casse-tête des travel managers ! Alors que les déplacements professionnels sont sous surveillance, le “dernier kilomètre”, comprenez le trajet qui précède un voyage en train ou en avion pour rejoindre la gare ou l’aéroport, mais aussi les déplacements urbains, échappent à tout contrôle, ou presque. C’est vrai en France, çà l’est encore plus à l’étranger. Toutes les entreprises rêvent d’intégrer ces dépenses au circuit de réservation en amont ; espèrent des solutions informatiques pour automatiser la gestion de ces dépenses et calculer le coût complet du voyage. Mais le “bricolage” est encore la norme, et risque de le rester pour un certain temps ! D’abord parce que la mobilité urbaine demeure un choix de dernière minute. Difficile pour un voyageur, lors de la réservation de son déplacement, de connaître le mode de cheminement qu’il utilisera. Souvent
faute d’informations (y a-t-il des transports en communs efficaces, quelle est la durée du trajet…) mais aussi parce qu’un voyage d’affaires est, par essence, incertain. Les modifications sont fréquentes et les aléas nombreux, depuis le choix du lieu de départ (entreprise, domicile, hôtel, lieu de rendez-vous…) jusqu’aux conditions de circulation. Autre difficulté : la multitude des opérateurs, dans chaque ville, chaque pays, qui rend une solution universelle illusoire pour encore longtemps. Surtout, le rapport des Français à la voiture change, avec l’émergence de nouvelles formes de mobilité selon les besoins : à la location de voiture pour un voyage professionnel de quelques jours et au taxi pour les déplacements les plus courts, s’ajoutent désormais l’autopartage pour un parcours en ville, le VTC pour rejoindre une gare ou un aéroport, et même la location entre particuliers pour quelques heures. Cette évolution des comportements complique encore un peu plus le suivi des dépenses et oblige les acteurs du marché, notamment les loueurs de voitures pour qui les entreprises représentent 40 à 50 % de l’activité, à innover et à se transformer progressivement en spécialistes de toutes les mobilités. “Les frontières entre la location traditionnelle et l’autopartage existent encore mais elles vont voler en éclats à l’avenir avec la digitalisation de nos métiers. C’est un réel challenge pour les loueurs, avec de nouveaux concurrents, mais aussi des opportunités de développement”, estime Jean-Philippe Doyen, président de Sixt France. Symbole de cette évolution : la “Branche loueurs” du Conseil national des professions de l’automobile a été rebaptisée Métiers de la Mobilité.
UNE CONCURRENCE VIVE
Parmi les loueurs les plus en pointe, Europcar s’est lui aussi rebaptisé, devenant Europcar Mobility Group, pour mettre en avant la diversité de son offre et s’affirmer comme un fournisseur global de solutions de mobilité. Depuis une poignée d’années, l’entreprise a multiplié les acquisitions, comme Scooty (partage de scooters électriques) et surtout Ubeeqo, une solution d’autopartage digitalisée (via une application sur smartphone), avec de fortes ambitions. “Déjà présent à Barcelone, Londres ou Berlin, Ubeeqo est déployé à Paris cet automne, avec une offre diversifiée de 1 100 véhicules électriques, hybrides et thermiques”, précise Robert Ostermann, directeur général France Europcar Mobility Group, qui entend jouer un rôle majeur sur ce marché en devenir, mais qui doit encore faire la preuve de sa rentabilité. C’est cette incertitude, et l’instabilité de la législation, qui a poussé Avis Budget à freiner le développement de sa marque Zipcar dans l’Hexagone, quand elle est déployée dans d’autres métropoles, par exemple à Londres avec 3 000 véhicules partagés. Sixt n’est pas en reste. Après s’être associé à BMW pour mettre en route une solution d’autopartage, le loueur vole désormais avec ses propres roues. Son nouveau service Sixt Share, pour l’heure disponible dans plusieurs villes allemandes, devrait arriver en France d’ici 2020. Il est proposé en complément de la location traditionnelle, sur la nouvelle application déployée par le loueur. On y trouve également une offre de VTC à travers un partenariat avec divers acteurs, dont LeCab en France. Comme le symbole d’un effacement des frontières et le début d’une nouvelle ère pour la location de voiture. Si les loueurs investissent pour proposer des solutions globales mêlant location, autopartage et VTC, capables de séduire les entreprises pour leur simplicité d’utilisation et leur possibilité de
consolider les dépenses, c’est que la concurrence est vive. Les constructeurs auto, jusqu’à présent davantage présents sur le marché de la location longue durée, s’organisent eux aussi pour capter ce marché des nouvelles mobilités. Les chiffres font saliver : l’autopartage devrait générer 4,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde en 2021 selon Boston Consulting Group. Ainsi le groupe PSA Peugeot-Citroën a récemment mis la main sur la start-up Travelcar, qui propose aux voyageurs laissant leur véhicule dans un aéroport de le louer à d’autres voyageurs. Renault a lancé son service d’autopartage en libre-service Renault Mobility et aux États-Unis, General Motors teste Maven, avec des véhicules en autopartage dans une dizaine de villes. Parallèlement, les constructeurs cassent leurs tirelires pour renforcer leur présence dans le monde du VTC. Toyota a fortement investi dans Uber qui, avec son offre Uber for Business (paiement simplifié, gestion centralisée…) a su pousser les
portes des entreprises. Général Motors a injecté 500 millions de dollars dans le concurrent américain Lyft, Volkswagen parie sur l’israélienne Gett/Juno, Renault a pris le contrôle de Marcel et Daimler a racheté le français Chauffeur Privé avant d’investir dans l’européen Bolt (ex-Taxify), qui compte aussi dans son capital Didi Chuxing, le géant chinois du VTC. Ces investissements massifs devraient permettre de développer l’offre au-delà des grandes métropoles où elle est encore cantonnée ; de la consolider et de la structurer, dans chaque pays mais aussi au niveau mondial, afin de la rendre plus lisible et efficiente, notamment auprès des voyageurs d’affaires ; de la légitimer enfin, alors que le modèle social reste décrié et que la rentabilité économique demeure incertaine (Uber, qui n’a jamais fait de bénéfices, a encore perdu 4,7 milliards d’euros au second trimestre 2019 !). Entre constructeurs automobiles, loueurs et start-up, la guerre des mobilités ne fait que commencer. ■