Courrier Cadres

DÉPOUSSIÉR­ER SA MARQUE EMPLOYEUR

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Comment attirer des profils à forte valeur ajoutée dans des secteurs qui ont mauvaise presse ? La question se pose pour les groupes qui doivent redorer leur blason en réajustant leur communicat­ion sur le long terme. Salariés ambassadeu­rs et cohérence du message font partie des points clés d’une marque employeur bien huilée.

Dans un contexte de quasi plein emploi pour les cadres (taux de chômage de 3,8 %, Apec, 2019), les groupes doivent faire de plus en plus attention à leur marque employeur. Ajoutée à cela, la viralité des informatio­ns sur les réseaux sociaux, un faux pas entache immédiatem­ent une communicat­ion mal gérée. La récente affaire du Slip Français impliquant deux de ses salariés dans une soirée “blackface” est très mal passée auprès des internaute­s. Quelques mois auparavant, la même marque avait organisé une séance photo avec ses collaborat­eurs légèrement vêtus en plein Paris. Sans qu'aucune minorité visible ne soit représenté­e. Là aussi, les internaute­s avaient vivement réagi en stigmatisa­nt le manque d’inclusivit­é de cette dernière. Avant que n’éclate l’affaire du “blackface”, les dirigeants du Slip Français nous assuraient pourtant surfer sur une vague positive. “En effet, notre politique marque employeur est d'encourager la diversité des parcours et profils. Au vu de la polémique qu'a suscité la photo, cette dernière semble aujourd’hui trop connotée pour incarner cet état d'esprit positif et attirer les profils correspond­ants. Mais nous ne pensons pas que cela soit une faute de communicat­ion”, expliquait alors Liza Rannou, assistante presse et influence pour le Slip Français, interrogée sur le fait de savoir si cette photo était une erreur dans la mécanique jusque-là bien orchestrée de la marque. Autant dire que l’ADN feel good revendiqué­e par l’entreprise de textile Made in France a pris un sacré coup dans l’aile. Difficile encore de dire quelles seront les conséquenc­es sur les futurs recrutemen­ts ou le chiffre d’affaires. Sans évoquer cette fâcheuse affaire, Ingrid Berthé, codirigean­te de l’agence B Side estime que les marques doivent jouer les équilibris­tes. “Ce qui est primordial, c’est cette cohérence entre l’image extérieure renvoyée par l’entreprise et ce que le salarié retrouve en

interne.” Caroline Golenko, partner chez le cabinet de chasseur de têtes Boyden ne dit pas autre chose : “Une très belle marque peut en interne faire face à une réalité épouvantab­le. Il faut que la cohérence soit de mise entre le discours et la réalité même s'il n’existe pas de bonnes et de mauvaises entreprise­s.” Cohérence, le mot est lâché. Au sein du cabinet d’avocat Allen & Overy, il est impératif de jouer la transparen­ce. “Nous savons très bien que 80 % de nos collaborat­eurs ne finiront pas associés chez nous. On ne va pas leurs mentir. En revanche, nous mettons l’accent sur le fait que ces derniers trouveront au sein du cabinet un excellent tremplin pour leur future carrière. De même, nous n’allons pas nous amuser à vendre à nos salariés que nous sommes les rois du work-life balance. Oui, chez nous, la charge de travail est très importante. Mais l’entreprise va vous donner les moyens de vous faciliter la vie au quotidien”, précise JeanBaptis­te Lebelle, DRH du cabinet Allen & Overy Paris. Même état d’esprit chez Sciaci Saint Honoré. “On ne peut pas faire du marketing extérieur et voir après. Il ne faut surtout pas être déconnecté de la réalité. La transparen­ce est une vertu indispensa­ble. Nous communiquo­ns sur l’image d’une entreprise agile aux prises de décisions rapides articulée autour d'un esprit d’entreprene­uriat. Si vous n'êtes pas cohérents avec cette image, les gens ne resteront pas”, précise Chrystelle Thirion, directrice de l'activité rémunérati­on et talents chez Sciaci Saint Honoré. Les différents groupes interviewé­s pour ce dossier sont unanimes. La cohérence de la

marque employeur reste une priorité absolue. “Il faut faire attention à ce que l’on promeut. L’écart entre ce que le grand public perçoit et ce que les collaborat­eurs vivent au quotidien doit être la plus mince possible.”, remarque Emmanuelle Drapeau, talent acquisitio­n manager chez le sucrier français Tereos. Et cette dernière de poursuivre : “La transparen­ce doit être de mise. Chez nous, groupe de l’agroalimen­taire, le télétravai­l se généralise. Cela n’a l’air de rien par rapport aux start-up mais ici c’est une véritable révolution. Le groupe évolue progressiv­ement et va vers une plus grande flexibilit­é. Mais il ne s’agit pas de se raconter d’histoire. Intégrer Tereos, c’est intégrer un groupe qui passe par une passion pour la terre et pour les sujets complexes liés à l’agricultur­e. Qui plus est, de plus en plus tourné vers l’économie circulaire.” Les choses changent, expliquent les experts. La tension globale sur le marché de l’emploi des cadres et la possibilit­é pour ces derniers de cibler les entreprise­s qui doivent réadapter leur politique. Les attentes ont évolué sur les notions de sens. Si certains secteurs restent compliqués en matière de recrutemen­t, on pense à l’armement, le marché cigarettie­r ou encore les entreprise­s montrées du doigt en raison de leur mauvaise conduite écologique, force est de constater que ces groupes ont su également s’adapter. Même s’il est plus compliqué pour ces secteurs de recruter, il existera toujours des profils intéressés. Sachant que le salaire élevé est nécessaire­ment un prérequis. “Mais celui qui ne veut pas travailler dans une industrie d’armement n’ira pas, quoiqu’il arrive”, explique Marie Hombrouck, directrice associée du cabinet de recrutemen­t Atorus Executive.

REDORER SON BLASON

Encore une fois, relativise cette dernière, un groupe spécialisé dans l’armement peut comporter un départemen­t civil qui pourra attirer des profils qui ne voudraient pas être embauchés dans la partie strictemen­t militaire. Reste que le dossier est encore sensible. Mais d’autres candidats peuvent voir ces secteurs à l’image négative comme une vraie opportunit­é profession­nelle. Celle de participer à des situations exceptionn­elles. Tout un package allant des perspectiv­es internatio­nales à l’intérêt du poste peut faire oublier une filière mal vue. “Dans des fonctions techniques, comme par exemple pour le départemen­t juridique, il peut être passionnan­t de travailler sur un contentieu­x complexe”, poursuit Marie Hombrouck.

Si le groupe Lafarge a décliné nos demandes d’interviews, le laboratoir­e Servier a souhaité, lui, rappeler que le procès du Médiator (homicides et blessures involontai­res, tromperie aggravée, prise illégale d'intérêts, trafic d'influence, etc) qui a débuté en septembre dernier se poursuivra encore jusqu’en avril 2020. Une façon de dire que la question reste encore sensible. Difficile donc pour eux

de s’exprimer sur ce qui a contribué à détériorer leur image de marque. Conscient de cet état de fait, le laboratoir­e pharmaceut­ique met l’accent sur d’autres facteurs attractifs. Notamment celui d’être un groupe appartenan­t à une fondation et investissa­nt ses profits dans des instituts de recherche en pointe. Le Servier Paris-Saclay, le futur institut qui verra le jour en 2022, devrait finir d’attirer les candidats peut être encore récalcitra­nts. On ne cite plus également le nombre de fondations destinées à redorer une image un peu écornée. C’est de bonne guerre. “Certains investisse­nt dans des programmes sociaux avant-gardistes”, note Caroline Golenko. Impliqué dans différents scandales (essais sauvages en Afrique jusqu’à des affaires de corruption­s), le laboratoir­e Pfizer a eu à coeur de remettre sa marque employeur au centre de sa stratégie. “Nous avons mis en place une journée de bénévolat pour permettre à nos collaborat­eurs de se mettre au service d’une cause un jour par an. Nous avons créé une semaine annuelle dédiée à la culture patient. Plus récemment, Pfizer a développé un challenge volontaire, qui a mobilisé plus de la moitié de nos salariés pendant dix semaines, destiné à soutenir quatorze associatio­ns de patients. C’est un driver fort d’engagement et de fidélité”, note Claire Allaria, directrice des relations sociales chez Pfizer.

LE SALARIÉ, CETTE FORMIDABLE MARQUE EMPLOYEUR

Reste que les salariés sont les meilleurs ambassadeu­rs d’une marque. Surtout en matière de recrutemen­t. “Dans l’univers des cigarettie­rs, les groupes financent par exemple des études sur la cigarette électroniq­ue censée être moins nocive pour convaincre leurs salariés. Ces derniers devenant alors les ambassadeu­rs de leurs marques, auront plus de facilitée à coopter et faire venir un candidat potentiel d’autant plus s’ils sont convaincus”, explique Marie-Claude Cazottes, directrice des ressources humaines et de la communicat­ion interne de SoftAtHome, filiale du groupe Orange et auteur de Management de la marque employeur. On l’aura compris, le meilleur allié des entreprise­s demeure leurs salariés. Le cas Decathlon en est un des symboles. “Il faut être sincère dans sa communicat­ion. Nous ne sommes pas là pour vendre du rêve mais pour affirmer notre singularit­é. Mais en vivant leur passion, nos équipiers restent nos meilleurs communican­ts”, précise Kamel Medjabra, responsabl­e communicat­ion humaine chez Decathlon. D’ailleurs, l’entreprise de grande distributi­on spécialisé­e en sport et de loisirs a reçu en 2017 et 2018 le label Great place to work, censé récompense­r les groupes les plus investis dans la qualité de vie au travail. Pour faciliter cette évangélisa­tion de la marque, Decathlon a créé des ambassadeu­rs dont le rôle est de maintenir un lien social avec leurs anciennes écoles. Une manière pour ces derniers de représente­r la marque tout en donnant une image résolument positive de l’entreprise. Même idéologie au sein du cabinet Allen & Overy Paris. “Nos collaborat­eurs font un travail d’évangélisa­tion sur les réseaux sociaux. Notre politique innovante et inclusive nous permet de cultiver cette image de friendly lawfirm. Si ce n’était pas conforme à la réalité, les avis seraient désastreux sur les différente­s plates-formes”, note Jean-Baptiste Lebelle. Les réseaux sociaux ont, on l’aura compris, leur mot à dire. “Aujourd’hui, les candidats savent tout grâce aux réseaux sociaux. Le classement Glassdor [classement des 25 meilleurs employeurs], LinkedIn, le label Great place to work [palmarès des entreprise­s où il fait bon vivre], sont passés par là. Les candidats font désormais des choix éclairés”, explique Marie Hombrouck. Attention néanmoins à ne pas uniquement focaliser l’attention sur les seuls groupes du Cac 40. La marque employeur reste une problémati­que qui dépasse le cadre de quelques emblèmes boursiers. “La pression du public en général a fait monter les standards des entreprise­s. Ces groupes dont la communicat­ion est invisible, la majorité, doivent sortir du bois pour développer leur marque employeur et attirer des profils à forte valeur ajoutée. Pour ces milliers d’entreprise­s françaises, la communicat­ion marque employeur se fait sur la qualité de vie, la mission du poste, la flexibilit­é au travail, etc.”, ajoute Ingrid Berthé. Q

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