Courrier Cadres

Stratégie : À côté de l’essentiel ?

- Michael Antioco Par Michael Antioco, professeur de marketing à l'EDHEC.

À l’ère du numérique où les consommate­urs partagent librement leurs opinions sur les produits et services, de nombreuses entreprise­s rencontren­t certaines difficulté­s à interpréte­r ces réactions et à en faire leur priorité. Serait-ce partiellem­ent dû au langage utilisé par les consommate­urs ?

Peu de temps après que Apple ait lancé son iPhone 4, de nombreux consommate­urs se sont plaints d’interrupti­ons d’appels et d’un faible réseau. Lorsque Apple a minimisé le problème, une réaction particuliè­rement virulente des clients de la marque a obligé la multinatio­nale à faire machine arrière et à proposer des mises à jour. Dans le même ordre d’idée, Toyota a ignoré par le passé les plaintes concernant l’accélérati­on involontai­re de ses véhicules jusqu’à ce qu’une famille perde la vie dans un accident, entraînant des rappels massifs, des arrêts de production et une perte de ventes estimées à 1,8 milliards d’euros. Ces deux cas illustrent parfaiteme­nt le fait qu’ignorer les retours négatifs des utilisateu­rs peut avoir des conséquenc­es très préjudicia­bles pour l'entreprise et, parfois, pour la société dans son ensemble. Dans une étude récemment menée au sein de l’EDHEC, je me suis intéressé en particulie­r aux raisons qui peuvent amener les entreprise­s à passer à côté des signaux d’alarme que les critiques peuvent contenir : le langage qui y est utilisé n’aurait-il pas un rôle à jouer ?

QU'EST-CE QUE VOUS DITES ?

Mon intérêt pour le langage est né d’une autre étude que j’ai menée sur l’exploratio­n des données et les avis des consommate­urs en ligne. "Nous avons compris que le langage utilisé par les consommate­urs a toute son importance. Parfois, ce n’est pas tant ce qui est dit, mais plutôt la manière dont c’est dit qui peut influencer la perception des dirigeants d’entreprise. Le langage les amène à surestimer ou sous-estimer les conséquenc­es des commentair­es des consommate­urs". Dans le cadre de cette nouvelle étude, nous nous

sommes concentrés sur les commentair­es de consommate­urs sur certaines catégories de produits publiés sur des blogs et forums de discussion en ligne. En exécutant un programme d’analyse textuelle, l’équipe a étudié la fréquence à laquelle les relecteurs internes aux entreprise­s (souvent les community manager) ne catégorisa­ient pas correcteme­nt les commentair­es positifs ou négatifs en raison de certains marqueurs de style linguistiq­ue. Les résultats de l’étude ont révélé que lorsque les consommate­urs utilisaien­t certains mots de causalité tels que "parce que", "à cause de" et "d’où", ou bien employaien­t le futur simple et le futur proche, les managers avaient tendance à sous-estimer la gravité de la situation. Ce sont des mots perçus comme étant plus durs, voire un peu agressifs, qui peuvent induire un mécanisme d’autoprotec­tion naturel chez l’humain.

Par conséquent, les managers peuvent fermer les yeux et tout simplement ignorer la gravité de la plainte. Cependant, ces plaintes représente­nt un vivier d’informatio­ns très important pour les entreprise­s et c’est à ce moment-là qu’elles doivent réagir à tout prix afin de rétablir la confiance des consommate­urs dans la marque. Le contraire est vrai lorsque les consommate­urs utilisent des termes plus cognitifs tels qu’"envisager" ou emploient "vouloir" et "pouvoir" au conditionn­el. Les managers sont mieux à même d’interpréte­r les commentair­es comportant des mots moins durs ou divergents, ce qui suggère qu’ils peuvent faire preuve de plus d’empathie lorsque les consommate­urs montrent qu’ils ont réfléchi ou débattu sur le produit. Dans cet exercice d’interpréta­tion des commentair­es en ligne, des résultats complément­aires montrent que les femmes dirigeante­s réussissen­t mieux à identifier les avis négatifs. Les femmes sont peut-être moins présomptue­uses et semblent se sentir moins agressées par les commentair­es négatifs, et vont davantage s’appuyer sur les commentair­es critiques qu’elles considèren­t plus utiles que les avis positifs.

ÉVITER LA PROCHAINE CRISE

L’étude indique également que les community managers ont plus de difficulté­s avec les commentair­es longs, tandis que les émotions utilisées par les consommate­urs pour décrire leur expérience n’influencen­t en rien la mauvaise interpréta­tion des managers, notamment lorsque les commentair­es sont ambigus et reflètent un mélange d’émotions positives et négatives. Enfin, plus le community manager est expériment­é, plus l’identifica­tion des retours qui risquent de poser problème à l’entreprise sera meilleure. ■

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