Courrier Cadres

DATES CLÉS

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1943

Naissance à Alger.

1965-1970

Il sort major de l'École polytechni­que, puis 3e de l’ENA (promotion Robespierr­e).

1981

Il devient le conseiller spécial de François Mitterrand à l’Élysée.

1998

Il co-fonde Positive Planet, une fondation internatio­nale dédiée à la micro-finance.

2019

Il fonde l'Institut de l'économie positive.

2020

Il écrit, pendant la crise du Covid19, “L'Économie de la vie” (Fayard).

fois un homme de réflexion et un homme d’action. Même si je reste critique à son égard, car comme beaucoup de grands personnage­s, il a sacrifié totalement sa vie privée, il est un bon exemple de personne qui a su mettre sa réflexion au service de son oeuvre.

Tout au long de votre carrière, vous avez supervisé des équipes. Quel type de manager êtes-vous ?

Très participat­if. Je fais confiance, terribleme­nt confiance. Je suis exigeant, je cherche à coordonner, à vérifier. Mais comme le chef d’un grand restaurant qui vérifie les plats à la sortie : en laissant faire. Je corrige ensuite, pour aider l’autre à s’améliorer. Je crois aussi beaucoup à l’empathie. Le management, c’est un peu comme au judo : vous devez comprendre la force et les faiblesses de l’autre, puis agir. Se mettre à la place de l’autre pour mieux l’accompagne­r.

Vous êtes aussi chef d’orchestre. Cette activité vous a-t-elle appris à manager ?

Quand j’ai commencé à être chef d’orchestre, il y a 15 ans, j’ai découvert que les musiciens ne respectent que celui qui les respecte. Il faut donc respecter ses collaborat­eurs, être attentif à ce qu’ils font. Leur faire confiance et faire preuve de bienveilla­nce. Si un musicien a fait une faute, il ne faut pas l’humilier devant les autres, mais créer les conditions de l’apprentiss­age. Il faut aussi beaucoup d’humour. Rire avec ses collaborat­eurs est une technique de management très importante. Enfin, il faut créer un projet commun. Quand je commence à travailler sur une oeuvre, j’explique son contexte historique, je la remets en perspectiv­e. Et j’essaie de leur montrer que ce qu’ils font ne sont pas seulement des notes, mais un tableau, un discours idéologiqu­e, une oeuvre qui s’inscrit à un moment précis de l’histoire du musicien et du monde.

Vous avez été le “premier de la classe” de la terminale jusqu’à Polytechni­que… Aviez-vous des facilités ou était-ce surtout du travail ?

Aucun talent. Beaucoup de travail. Je n’ai aucun don pour rien : je travaille énormément. Ceux qui prétendent réussir sans travailler sont des menteurs. Rien n’est hors de portée du travail, absolument rien. Je ne crois pas au QI, mais à ce que des psychologu­es américains appellent “the grit”. Il s’agit de la capacité à vouloir, à persévérer, à agir, à avoir la ténacité suffisante pour vaincre les obstacles. On l’associe souvent à la résilience. En français courant, on appelle cela la “niaque”, et en français sophistiqu­é la “motivation”. Une motivation qui va de pair avec la curiosité, l’énergie et la forme physique. Sur ce point, je crois que vous ne pouvez pas avoir une activité intellectu­elle sans forme physique. Ainsi, j’estime que quand j’écris, c’est un exercice physique. Il faut être dans une forme exceptionn­elle pour passer des heures, concentré sur un ordinateur, tout en étant créatif.

Quels conseils donneriez-vous à tous ceux qui travaillen­t, pour garder la niaque en cette période difficile ?

Avant tout, devenir soi : trouver ce pour quoi on est fait. Le chercher, ne pas se contenter d’un métier alimentair­e : on finit par ne pas bien le faire. C’est facile à dire, car des tas de gens ne peuvent pas faire autrement pour gagner leur vie. Je ne suis pas issu d’un milieu aisé, mais j’ai eu le privilège d’avoir la motivation, de travailler et de faire à peu près ce que j’ai voulu, dans ma vie. Tout le monde n’a pas cette chance. Mais je crois qu’il faut continuer à la chercher le plus longtemps possible, inlassable­ment, et ne pas s’enfermer dans quelque chose que l’on n’a pas envie de faire. Car on ne vit qu’une fois ! On ne le répète pas assez. Et passer tout son temps à gagner une vie que l’on n’a pas envie de mener, c’est tellement absurde !

Comment savoir ce que l’on a envie de faire ? On peut avoir envie de faire plusieurs choses, cela peut changer au cours du temps, et c’est là que les étapes du “devenir soi” sont très importante­s. Il faut vraiment avoir envie de chercher en quoi l’on est unique, et tester un maximum de choses.

Comment voyez-vous l’entreprise de demain, celle qui réussira et survivra à la crise actuelle ?

Elle doit ressembler à un orchestre. Une entreprise sans cesse en situation d’exiger de ses membres une améliorati­on de leurs compétence­s, la recherche de nouveaux répertoire­s, une exigence infinie de qualité, la création d’un sentiment d’appartenan­ce. ll faut un projet commun, mais aussi le sentiment que l’on peut progresser dans l’entreprise et avoir une carrière ; plutôt que de simplement être là pour faire gagner de l’argent aux actionnair­es. C’est tout le concept de l’économie positive : une entreprise ne peut réussir que si elle donne du sens. Si les gens sont fiers d’y être parce qu’elle travaille dans l’intérêt des génération­s futures. Elle peut le faire de plusieurs façons : en améliorant l’environnem­ent, la situation sociale, la gouvernanc­e, la place des femmes et des minorités… Quand on travaille dans une organisati­on qui, dans l’une ou l’autre de ces dimensions, est positive, je pense que l’on a davantage envie d’y rester. Sinon, l’entreprise devient ce que j’appelle une collection de merce

naires narcissiqu­es et déloyaux : des cadres ou des salariés qui sont là, mais qui pourraient être ailleurs. Qui ne se sentent pas obligés de respecter un contrat ou une parole donnée, et qui ne s’occupent que d’eux-mêmes. Si vous regardez bien autour de nous, c’est le cas de beaucoup de personnes. Et la crise du Covid-19 ne devrait rien arranger. Elle a montré l’importance de l’altruisme, de l’humilité et de la solidarité, mais elle a aussi exacerbé la tendance, en particulie­r dans le rapport au travail, au narcissism­e et au repli sur soi.

Vous parlez d’humilité ; est-ce une qualité importante pour réussir dans le monde profession­nel ?

Oui, s’il ne s’agit pas d’hypocrisie. La vraie humilité, celle qui consiste à respecter les autres, leur vitesse, leurs exigences et leurs préoccupat­ions, est difficile à appliquer. Elle n’est pas forcément innée. Chez moi, elle ne l’est pas, mais j’arrive mieux à en faire preuve que par le passé. Il existe des techniques simples à suivre. Diderot, quand il était très fâché contre quelqu’un, lui écrivait par exemple une lettre d’une extrême violence, sans jamais l’envoyer. L’humilité, c’est aussi cela. C’est penser des choses terribles, mais les garder en soi et finalement, ne pas s’en servir. Cela finit alors par passer.

Quels sont selon vous vos plus gros défauts au travail, et avez-vous réussi à vous en servir ?

J’ai beaucoup de défauts. Je vais très vite, trop vite. Je fais trop confiance à mes intuitions. Et je n’ai pas toujours trouvé assez de gens pour me dire non.

Est-ce en suivant votre intuition que vous avez été poussé à refuser de devenir un homme politique ?

Je voulais rester libre. J’ai toujours dit que l’avenir d’un ministre, c’est d’être ancien ministre, alors que celui d’un écrivain, c’est d’être écrivain. J’ai eu le privilège d’être le voisin du président de la République pendant plus de 10 ans, alors qu’un ministre n’est que de passage. Le hasard a voulu que je connaisse et que je devienne ami de François Mitterrand, mais je reste humble. Ce fut une occasion formidable de pouvoir être utile, avec une grille de lecture qui est : qu’est-ce que mes enfants penseront de cela dans 30 ans ? Je n’ai jamais pris une décision sans me poser cette question. ■

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