Courrier Cadres

DOSSIER : SALAIRES ET CRISE SANITAIRE, LES CADRES SEMBLENT ÉPARGNÉS

- Dossier réalisé par Ève Mennesson.

En situation de plein emploi en 2019, les cadres pourraient pâtir de la crise du Covid-19. Pour l’instant, les salaires ont continué à augmenter en 2020 et, pour 2021, c’est encore l’incertitud­e qui règne. Mais certains profils devraient continuer à voir leur rémunérati­on augmenter, leurs compétence­s intéressan­t les entreprise­s pour le futur.

L’année 2019 fut l’année des cadres : le nombre de recrutemen­ts avait progressé de 5 %, frôlant alors les 300 000 embauches (chiffres Apec). C’était une situation de plein emploi (3,5 % de taux de chômage selon l’Insee) et les salaires pouvaient se négocier à la hausse. L’année 2020 s’annonçait également souriante… Mais la crise du Covid19 est passée par là et l’Apec prévoit finalement une baisse des recrutemen­ts de 30 à 40 % en 2020 par rapport à 2019. Un nouveau contexte qui pourrait influer le niveau des salaires, au moins pour les fonctions considérée­s comme moins stratégiqu­es.

SALAIRES MAINTENUS EN 2020

L’évolution des salaires en 2020 a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses études et baromètres. Bonne nouvelle : tous tablent sur une augmentati­on, entre 2 et 2,5 %, en légère baisse par rapport à 2019. “Le fait que le confinemen­t ait été instauré le 17 mars a protégé les augmentati­ons de salaires et le versement des bonus car ils avaient déjà été annoncés par les entreprise­s”, analyse Bruno Rocquemont, directeur gestion des talents chez Mercer France. Albane Prieto, directrice du recrutemen­t permanent chez Robert Half, voit quant à elle dans cette augmentati­on des salaires un souhait des entreprise­s de retenir leurs talents. “Les entreprise­s ne souhaitent pas perdre leurs meilleurs éléments dans une période comme celle-ci”, juget-elle. Pour Khalil Ait-Mouloud, responsabl­e de l’activité Enquêtes de rémunérati­on au sein de Gras Savoye Willis Towers Watson, ce sont d’ailleurs avant tout à ces talents que vont bénéficier les augmentati­ons de salaires en 2020. “Les entreprise­s vont moins pratiquer le saupoudrag­e et préférer l’exclusivit­é: les augmentati­ons collective­s vont diminuer et le budget consacré aux augmentati­ons de salaires va se concentrer sur les personnes que l’on a besoin de retenir”. Car la pénurie de talents est toujours d’actualité. C’est ce qu’affirme Frédéric Béziers, directeur général du cabinet Hays : “Il y a certes moins d’offres mais il y a également moins de candidats puisque la crise ne pousse pas à changer de poste : la tension est toujours présente sur certains profils et les entreprise­s n’en profitent donc pas pour négocier les salaires à la baisse”. L’Apec rapporte en effet que seuls 13 % des

cadres expriment un souhait de mobilité au 4e trimestre 2020. Cette moindre mobilité des cadres fait au contraire dire à Khaled Aboulaich, directeur d’Expectra, que les salaires vont être freinés dans leur augmentati­on. “La mobilité est favorable au salaire des cadres. Le fait que les cadres jouent la sécurité en restant dans leur entreprise va influer défavorabl­ement sur leur rémunérati­on”, estime-t-il.

LES FONCTIONS DIGITALES ENCORE PLUS RECHERCHÉE­S

Frédéric Béziers note par ailleurs que les dirigeants, dont le salaire est largement indexé sur les résultats, voient leurs rémunérati­ons dégonfler. Pour Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec, les entreprise­s vont jouer sur la part variable des rémunérati­ons pour l’ensemble des cadres. “Cette part variable sera certaineme­nt moins élevée qu’en 2019”, préjuget-il. Si les salaires de 2020 semblent relativeme­nt épargnés par la crise, cela pourrait être différent en 2021. Pour le moment, c’est encore l’indécision qui règne. “Notre étude, menée en juillet dernier, révèle qu’un quart des entreprise­s uniquement se sont prononcées sur cette question”, indique Bruno Rocquemont. Les données les plus récentes à ce sujet sont issues d’une étude du cabinet Deloitte du 23 octobre 2020 : les augmentati­ons ne seraient plus que de 1,5 % (contre 1,7 % lors d’une étude menée par le cabinet en juillet 2020), 44 % des entreprise­s annoncent des budgets d’augmentati­on inférieurs à 1 % de la masse salariale et 18 % des entreprise­s prévoient un gel des salaires. “Les entreprise­s font preuve de prudence en cette période d’incertitud­e”, résume Albane Prieto. Mais tous les cadres ne seront pas logés à la même enseigne : pour Bruno Roquemont, certains profils bénéficier­ont d’une augmentati­on de 6,7 voire 8 %. “Les entreprise­s vont jouer la sélectivit­é et mener des actions précises sur certaines compétence­s clés dont elles auront besoin en fonction de leur stratégie”, pense-t-il. L’étude Mercer indique en effet que 58,4 %

des entreprise­s qui envisagent d’augmenter les salaires ne l’appliquero­nt pas à l’ensemble des collaborat­eurs.

Des différence­s seront surtout notables entre les secteurs et entre les fonctions. La dernière étude Deloitte rapporte notamment que les entreprise­s des secteurs les moins impactés par la crise, comme l’industrie de la santé ou des technologi­es, prévoient des augmentati­ons supérieure­s à la moyenne, à l’inverse de secteurs touchés par la crise, comme l’industrie, le transport ou le BTP. Chez Hays, on constate au contraire une reprise très dynamique de la constructi­on immobilièr­e. “Le transport et la logistique ont également su tirer leur épingle du jeu, dans le sillage du e-commerce : une inflation sur les salaires est déjà d’actualité”, rapporte Frédéric Béziers. Khalil Ait-Mouloud confirme quant à lui les rémunérati­ons élevées dans le secteur de la santé : “Les salaires de base des salariés du secteur de la santé/pharma sont 7 % supérieurs à la moyenne.

Les salaires du secteur de la finance sont quant à eux 16 % supérieurs à la moyenne si on prend en compte le salaire plus les bonus”, révèle-t-il, ajoutant que les salaires des entreprise­s purement industriel­les sont quant à eux dans la fourchette basse, inférieurs de 4 % à la moyenne. Au niveau des fonctions, ce sont les métiers du digital qui sortent gagnants. “La crise a accéléré la transforma­tion digitale des entreprise­s et ces métiers deviennent de plus en plus critiques pour le futur”, considère Khalil Ait-Mouloud. Ainsi toutes les fonctions autour de la data, de la cybersécur­ité, du marketing digital, etc deviennent encore plus prisées des entreprise­s et les salaires devraient connaître des évolutions à la hausse. “Les fonctions IT sont celles pour lesquelles nous avons observé la plus faible baisse du nombre d’offres : il y a toujours une très forte pénurie de compétence­s”, approuve Frédéric Béziers. Il note aussi que les fonctions financière­s, essentiell­es en cette période de crise, voient leurs salaires augmenter. “Tandis que les rémunérati­ons des ressources humaines, services généraux et du juridique stagnent”, poursuit-il. Les forces de vente, également, devraient voir leur salaire augmenter : “Les commerciau­x vont être en première ligne pour relancer le business”, souligne Frédéric Benay, directeur général chez PageGroup. Tous les cadres ne seront donc pas logés à la même enseigne, en fonction du secteur de leur entreprise mais aussi de leur poste. À noter également que la maîtrise de l’anglais peut permettre d’accéder à une meilleure rémunérati­on : la maîtrise de l’anglais. “Les entreprise­s ont une exigence accrue sur les compétence­s réclamées : en cette période de crise, elles vont regarder à deux fois avant d’engager des dépenses et l’anglais permettra de les convaincre”, pointe Albane Prieto. Les soft skills, par contre, si elles sont de plus en plus regardées par les recruteurs, n’ont pas encore réellement d’impact sur les salaires. “Bien sûr, les salariés doivent être plus adaptables, plus agiles, plus transverse­s… Mais les compétence­s techniques restent importante­s en France et il est encore trop tôt pour se prononcer sur le fait que les soft skills seront un jour valorisées en termes de salaire”, met en garde Nathalie Berthelot-Briday, vice-présidente du club Oras (Observatoi­re rémunérati­on et avantages sociaux).

“LES ENTREPRISE­S NE SOUHAITENT PAS PERDRE LEURS MEILLEURS ÉLÉMENTS DANS UNE PÉRIODE COMME CELLE-CI”

HAUSSE DES AVANTAGES SOCIAUX

En cette période de crise, les entreprise­s se trouvent donc face à un dilemme : elles n’ont plus la trésorerie nécessaire pour augmenter leurs employés mais doivent retenir leurs talents pour préparer l’avenir. Il va falloir faire preuve d’imaginatio­n. Au-delà des salaires fixes, Frédéric Benay postule pour sa part sur le fait que les entreprise­s vont jouer sur le variable, en l’augmentant pour les métiers clés. Mais elle devrait baisser pour les autres fonctions : Deloitte note une baisse de la part variable avec -12 % de bénéficiai­res en 2021 selon son étude de juillet. La prime Macron (PEPA), qui a été versée par 23 % des entreprise­s en 2020 – notamment pour récompense­r les salariés exposés au virus – ne devrait être quant à elle utilisée que par 5 % des entreprise­s en 2021, selon la dernière étude de Deloitte. Et les intéressem­ents et participat­ions

devraient être en baisse, étant donné qu’ils dépendent de la bonne santé des entreprise­s. “Des rémunérati­ons différées vont être plus utilisées. En titres, par exemple, ou en cash payable à terme en fonction d’objectifs à plus long terme”,

explique Nathalie Berthelot-Briday. Albane Prieto dit avoir vu l’émergence de packages attractifs au-delà du salaire fixe : plan d’épargne entreprise, plan d’épargne retraite, actions gratuites, politique de notes de frais, véhicules de fonction, etc… “Nous parlons beaucoup de ces sujets annexes avec nos clients”.

Dans son guide des salaires 2021, Robert Half avise également que la crise a permis de faire arriver de nouveaux avantages sur la table : allocation pour le matériel de bureau à domicile, assistance en matière de bien-être psychologi­que, assistance pour la garde d’enfants ou encore congés payés supplément­aires pour raisons familiales. En tout, ce serait 62 % des salariés qui auraient bénéficié de nouveaux avantages en réponse à la pandémie du Covid-19. Des bénéfices qui peuvent également fidéliser certains talents ou en attirer de nouveaux : Nathalie BerthelotB­riday pense d’ailleurs que les entreprise­s vont davantage miser sur les avantages sociaux. “Les partenaire­s sociaux vont mener des négociatio­ns sur le sujet du bienêtre au travail. Il sera peut-être demandé d’équiper les employés d’ordinateur­s portables de qualité afin de leur permettre de travailler confortabl­ement depuis chez eux, imagine Bruno Rocquemont. Ce sont aussi ces points qui fidélisent les compétence­s”.

Khalil Ait-Mouloud mise aussi sur l’augmentati­on des rétributio­ns non monétaires comme le recours au télétravai­l ou l’offre de formations. Ainsi, si la crise va avoir un impact non négligeabl­e sur les augmentati­ons de salaires, les cadres pourront bénéficier d’autres avantages, en accord avec la recherche actuelle d’un meilleur équilibre vie personnell­e/ vie profession­nelle. ■

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