Sophie Cluzel : “Il y a encore un plafond de verre à déconstruire”
Sophie Cluzel, Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, revient avec nous sur les étapes qui ont marqué sa vie professionnelle, ses combats et ses secrets pour un management réussi. Rencontre. Votre vie professionnelle a toujours été extrêmement riche. Vous avez en effet travaillé aussi bien dans le privé que dans le public et dans l’associatif. Avezvous repéré des différences en matière de management ?
Sur un comparatif de méthodes de management, j’évoquerais d’abord celles que j’ai pu identifier aux USA. A l’époque où j’y ai débuté ma carrière professionnelle, il était primordial pour l’exécutif d’une entreprise de nouer une relation forte de confiance avec les jeunes recrutés, avant tout pour leurs compétences. A mon sens, le différentiel majeur entre le secteur privé et celui de l’associatif, réside peut-être dans une culture différente du résultat. Et c’est normal. Sur les bancs de KEDGE, j’ai acquis des connaissances managériales que j’ai aussi déployées dans mes engagements associatifs en tant que présidente. De même au gouvernement, la culture du résultat irrigue ma démarche. Par exemple, feuilles de route et indicateurs d’avancée des exécutions, outils de suivi et de mesure font partie de ma méthode politique. Cette méthode nourrit notamment mon action. Et comme je suis directement rattachée au Premier ministre, je peux ainsi transcrire cette approche dans l’ensemble des politiques publiques sur les enjeux et objectifs pour atteindre une société pleinement inclusive. Ce travail de fond en interministériel permet une cohésion forte de l’ensemble du gouvernement autour du handicap. Dans un contexte de déploiement d’une multiplicité de mesures et de dispositifs complémentaires, la méthode de l’évaluation est primordiale : pour bien progresser, il est nécessaire d’évaluer.
On dit parfois qu’il existe un management féminin et un management masculin. Quel est votre point de vue sur cette question ?
Question complexe, difficile de résumer la réponse en quelques lignes. Somme toute, je remarque très souvent chez les manageures un pragmatisme qui se traduit à travers une vision d’entreprise où les résultats doivent impacter de façon positive le quotidien des personnes. Les manageures ont la réalité chevillée au corps. Je perçois aussi chez les femmes une grande capacité d’écoute. Peut-être que cela s’apparente un peu à un cliché, mais c’est pourtant ce que je ressens encore après presque 40 ans de carrière professionnelle. Au gouvernement, je participe pleinement à la parité des cabinets ministériels, je peux vous l’affirmer avec une pointe d’humour ! Mon cabinet est à 80 % composée de femmes. Mais d’une façon générale, le dialogue et la mise en oeuvre sont fluides et simples avec l’intégralité de mon équipe. Car c’est la personnalité et les compétences de chaque personne qui est primordial au sein d’un collectif.
Quels sont les challenges auxquels les femmes sont particulièrement confrontées ?
Le combat contre le sexisme ainsi que toutes les violences et discriminations envers les femmes reste toujours, hélas, d’actualité. Par exemple, et les études le démontrent les unes après les autres, à carrière équivalente, la progression salariale n’est pas la même. Nous avons encore un plafond de verre à déconstruire, c’est certain. Pour autant, je constate une prise en compte croissante de ces enjeux à tous
les échelons de l’entreprise. Il faut le souligner. Aujourd’hui, c’est surtout et avant tout l’envie qui doit guider les choix professionnels de chacune. Néanmoins, je sais combien le parcours peut aussi se révéler complexe. Je veux l’affirmer à toutes : aucun champ professionnel ne vous est interdit, foncez.
Les femmes ont bien souvent et encore aujourd’hui, une deuxième vie à la maison. Comment s’organiser et manager aussi sa vie personnelle ?
Là aussi, le constat n’a pas suffisamment évolué. La double journée des femmes n’appartient pas au passé, je ne peux que le déplorer. Avec la crise sanitaire, le télétravail a confirmé cette situation. A présent, le partage des tâches familiales commence à être mieux réparti. N’en reste pas moins pour les mères qu’avec l’arrivée d’un enfant la charge domestique se concentre encore plus sur elles. Préserver
l’équilibre familial doit rester une boussole, une organisation professionnelle bien conçue intègre ce paramètre non négociable.
Quel rôle votre formation au sein de KEDGE a-t-elle joué dans la construction de votre carrière ? Et plus généralement dans votre parcours militant ?
L’un des nombreux atouts de l’école réside dans la multiplicité de stages en entreprises qui sont proposés aux étudiants. Source certaine d’enrichissements, j’y ai croisé également d’autres jeunes comme moi désireux d’apprendre à partager et à travailler ensemble.
L’engagement est-il, selon vous, indispensable pour avoir du leadership et être un bon manager ?
Oui, l’engagement est indispensable, en l’incarnant avec ses valeurs propres. La notion de mission est aussi fortement ancrée au coeur de l’engagement. La finalité est de construire ensemble une société pleinement inclusive, un objectif pour lequel je sais que nous pouvons déployer collectivement une grande ambition pour l’atteindre. Manager, c’est vouloir embarquer ses équipes dans un projet au bénéfice de tous. C’est la métaphore du chef d’orchestre et de l’organisation de la multiplicité de talents auxquels il donne une direction. Cette exigence dans la mise en musique, il doit avant tout se l’appliquer à lui-même, l’exemplarité participant là encore de l’engagement. Un autre incontournable, c’est le partage par l’ensemble de l’équipe des échecs comme des réussites. Fédérer un collectif s’inscrit dans la démarche de tout dirigeant qui accorde de l’attention à la diversité des compétences, quelles que soient les différences, qui font la richesse de l’entreprise. En tant que leader, il faut garder le cap, le réaffirmer haut et fort, garder ses valeurs intactes et les incarner pour être légitime.
Quel type de manager êtes-vous ?
J’accorde une grande importance à l’engagement pour une cause commune : contribuer à faire progresser notre société me définit plutôt bien. Que cette fibre liée à l’engagement résonne chez mes collaborateurs participe de tout pré-requis à notre vie de cabinet ministériel. La convergence de valeurs sociétales participe de ma méthode. Nous oeuvrons au quotidien à la construction d’une société inclusive, c’est une grande responsabilité qui implique au quotidien une mobilisation individuelle forte et une exigence collective dans le déploiement de nos politiques publiques. Et dans ce cadre, bonne humeur, diplomatie et écoute active sont les principes directeurs d’une dynamique d’équipe. J’en suis convaincue. ■