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Dans la peau d’Ennio Morricone : Entre rigueur et expériment­ation

ENTRE RIGUEUR ET EXPÉRIMENT­ATION

- Par Ève Mennesson.

Décédé le 6 juillet 2020, Ennio Morricone laisse derrière lui de nombreux fans éplorés et une quantité d’oeuvres musicales, dont une grande partie composée pour le cinéma. Une oeuvre prolifique que le Maestro a pu produire grâce à sa grande capacité de travail, sa rigueur et son sens de l’expériment­ation.

Avec plus de 400 compositio­ns pour le cinéma et plus de 100 oeuvres classiques, Ennio Morricone est sans aucun doute un génie. Même s’il disait ne pas croire à la notion de génie, mais à la force du travail : "J’ai toujours trouvé le mot 'génie' suspect, ça me rappelle d’ailleurs une phrase d’Edison, je crois : 'Le génie, c’est 1 % d’inspiratio­n et 99 % de transpirat­ion'. Transpirer, travailler dur !", a-t-il déclaré à Alessandro de Rossa dans le livre d’entretiens Ennio Morricone – Ma musique, ma vie (éditions Séguier). Le ton est donné : Ennio Morricone était un bourreau du travail. Il se levait tous les jours à 4 heures précises pour pouvoir se

mettre au travail à 8h30 après avoir lu le journal et pratiqué quelques exercices physiques. Il restait enfermé dans son bureau jusqu’au déjeuner puis rebelote jusqu’au dîner. "Ennio Morricone disait ne jamais ressentir la fatigue en travaillan­t. Il était tellement passionné qu’il y consacrait ses journées. Et même ses nuits : il avait toujours du papier blanc et du papier à musique sur sa table de nuit pour pouvoir y noter une idée", raconte Philippe Grégoire, qui a écrit Ennio Morricone ou le poison d’une oeuvre (éditions Marie B) en collaborat­ion avec Olivier Keravel. À cette grande capacité de travail s’ajoutait une grande rigueur, sans doute héritée de sa formation au sein du Conservato­ire Sainte-Cécile de Rome. Cette formation d’excellence, alliée à son goût naturel pour les activités cérébrales (Ennio Morricone aurait rêvé de devenir médecin ou joueur d’échec profession­nel), lui a également conféré un goût très prononcé pour la théorie musicale. Il la mettait en oeuvre à travers ses compositio­ns classiques et l’insérait parfois dans ses oeuvres pour le cinéma. "Cette dimension théorique n’était pas toujours intéressan­te mais fonctionna­it aussi parfois très bien, comme pour le film La légende du pianiste sur l’océan de Giuseppe Tornatore", précise Jean-Christophe Manuceau, auteur de l’ouvrage Ennio Morricone – Entre émotion et raison (éditions Camion Blanc). Dans le livre d’entretiens avec Alessandro de Rossa, Ennio Morricone parle de "respecter le public et l’informer – parfois à son insu – qu’il existe autre chose audelà de ce qu’il a l’habitude d’entendre". Même si Le Maestro aurait préféré vivre de ses compositio­ns classiques (qu’il nomme la "musique absolue"), la musique "appliquée" bénéficiai­t de son exigence de qualité et de son obsession pour l’expériment­ation. "Si l’écriture est guidée par l’habitude, on s’éloigne de la recherche, de la découverte et de la nouveauté. On se répète, on va vers trop de sécurité", avait-il raconté à Alessandro de Rossa.

CAMÉLÉON DE LA MUSIQUE

Le Maestro innovait sans cesse, cherchant des timbres nouveaux à travers des instrument­s peu utilisés, la voix humaine qu’il n’a cessé d’explorer et même des sons du quotidien comme une boîte de conserve qui tombe ou des cris d’animaux… Il a également été l’un des précurseur­s dans l’utilisatio­n du synthétise­ur. "Ennio Morricone était un expériment­ateur, il ne voulait pas être enfermé dans une formule. C’était un caméléon de la musique", analyse Jean-Christophe Manuceau. Pour Philippe Grégoire, il est important de noter qu’il a su garder sa personnali­té dans chacune des musiques qu’il composait. "Composer des musiques de films apportait beaucoup de contrainte­s. Malgré cela, Ennio Morricone se ménageait des espaces de liberté pour créer la musique à laquelle il croyait", affirme-t-il. Il voulait s’adapter aux désirs du réalisateu­r sans pour autant oublier ses propres exigences. Un numéro d’équilibris­te que Le Maestro lui-même qualifiait de difficile mais qui donnait le meilleur de lui-même lorsque la relation avec le réalisateu­r était empreinte d’un respect mutuel. Ennio Morricone détestait ne pas être guidé par le réalisateu­r. "Le réalisateu­r est le maître d’oeuvre pour lequel je travaille et, en général, les discussion­s pendant le processus de création me stimulent, car elles m’offrent d’autres points de vue et m’obligent à chercher des solutions nouvelles", avait-il avoué à Alessandro De Rosa. Il exécrait surtout qu’on lui demande de faire comme tel ou tel compositeu­r ou qu’on se montre trop intrusif. Ce qu’il préférait : être intégré le plus en amont possible du projet, avant même que le film soit tourné. C’est ainsi que ses oeuvres les plus magnifique­s ont pu voir le jour. ■

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