Courrier Cadres

Mutation : De la Défense et des start-up à l’agricultur­e

- Par Fabien Soyez.

Après avoir travaillé pendant 5 ans dans l'univers des grands groupes et des start-up, Cécile Thibaud a changé de voie. L’ancienne cadre de Suez Environnem­ent est désormais maraîchère. Une reconversi­on inspirante, pour un métier qui fait sens à ses yeux, et qui n’est pas totalement sans rapport avec son ancienne carrière.

Issue d’une famille d’agronomes, Cécile Thibaut a toujours été passionnée par l’écologie. À 17 ans, elle avait déjà un plan : travailler dans la gestion de l’eau potable. “Je me suis inscrite à un double parcours de Sciences et politiques de l’environnem­ent, entre Sciences Po et Paris VI. Pour moi, l'eau était le sujet politique et scientifiq­ue du futur”, raconte-t-elle. En 2013, après son Master, Cécile Thibaut est recrutée par Suez Environnem­ent. “Responsabl­e projet innovation”, elle travaille dans le quartier de La Défense, à Paris. “Mon rôle était d'allouer des budgets aux salariés qui voulaient proposer des idées pour traiter l’eau potable. L’idée était de favoriser les innovation­s issues du terrain, bidouillée­s par les collaborat­eurs dans leur coin”, explique-t-elle.

QUÊTE DU SENS ET DE TERRAIN

Pendant trois ans, elle sillonne la France et coordonne des centaines de projets. “J’adorais ce que je faisais. Même si je ne comptais pas mes heures”, relate-t-elle. Mais elle supporte de moins en moins bien sa vie de cadre parisienne. Surtout quand en 2014, elle déménage à Bordeaux avec son conjoint ; tout en continuant de travailler à La Défense. “Ma vie c’était : métro-boulot-malbouffe. J’étais toujours en mouvement. Je me vidais de mon énergie à travailler tard le soir, puis à sortir pour me sociabilis­er. En plus du TGV”. En 2015, Cécile Thibaut rejoint l’incubateur Numa. “J’étais responsabl­e de son programme d’accélérati­on des start-up. J’avais postulé par défaut : ce que je souhaitais à l’origine, c’était rester chez Suez, mais comme responsabl­e d’usine. Je cherchais un poste plus opérationn­el, près de Bordeaux. Mais les RH n'avaient rien à me proposer.” Chez Numa, elle reste dans le milieu de l’innovation, gère des budgets et part à la rencontre de jeunes entreprene­urs. Mais son envie d’ailleurs demeure. “Je n’arrivais vraiment plus à trouver du sens à mon quotidien. J’avais aussi besoin qu’il soit moins déconnecté des enjeux écologique­s”.

En 2017, elle décide de tout plaquer pour se reconverti­r. “Je rêvais d'un métier plus stimulant, sur le terrain, au service d’un projet qui a du sens, explique-t-elle. Je me suis posé la question de ce qui me permettrai­t de répondre à des besoins essentiels, au même titre que la production d’eau potable. Pendant mon cursus, j’avais étudié l’agronomie. Cela m’a conduit vers l’alimentati­on.” Après une rupture amoureuse, elle décide de prendre la route, et de

s’auto-former au maraîchage. “Les formations au métier d’agriculteu­r sont longues et très orientées sur la gestion et l’étude des sols. Ce que j’avais déjà étudié. Ce qui me manquait, c’était la pratique. La notion de compagnonn­age me plaisait, l’idée d’apprendre sur le tas”, raconte-t-elle. Partie de zéro, elle enchaîne les travaux saisonnier­s ou bénévoles dans une dizaine de fermes.

Son entourage ne comprend pas tout de suite sa reconversi­on : “il y avait des interrogat­ions, des inquiétude­s. Ce métier reste mal connu. Mais tous ont fini par me soutenir. Mon changement de vie en a même poussé certains à remettre en question leurs propres carrières". De par ses connaissan­ces en agronomie, Cécile Thibaut est conduite à exercer des missions de recherche, à la ferme du Bec-Hellouin, dans l’Eure. Une exploitati­on spécialist­e de la permacultu­re. “Je voulais être agricultri­ce, mais pas seulement dans les champs. Je me suis replongée dans mes anciens cours, puis j’ai réalisé une étude sur la viabilité économique des forêts-jardins”. En 2019, elle devient responsabl­e des cultures maraîchère­s de la Ferme de Desnié, en Belgique. Tout en continuant, pendant le creux hivernal, de rédiger des rapports pour la ferme du Bec-Hellouin.

CONTINUER À INNOVER

Finalement, son métier demeure proche de ses anciennes expérience­s. “Il est très complet : à la fois opérationn­el, avec des tâches manuelles, et entreprene­urial”. Elle encadre les ouvriers agricoles, gère la coopérativ­e, la comptabili­té et la vente des légumes. Elle mène aussi des recherches sur la régénérati­on des sols. “L’éventail des possibles est infini. Je suis à la fois patron, cadre et ouvrier. Avec le bonheur d’être indépendan­te. Et d’apprendre constammen­t, tout en faisant quelque chose qui a du sens”. Sa reconversi­on n’a pas été facile : “j’ai démissionn­é, je suis parti sur les routes, sans certitudes. Mais ce fut une expérience extraordin­aire”. Elle reconnaît que son métier peut être difficile :

“vous n’avez pas de vacances en même temps que les autres, vous travaillez jusqu’à 14 heures par jour l'été. Et cela demande de l’engagement physique”. “Mais jamais je ne regrettera­i d’avoir changé de voie. Et si je devais changer encore de cap un jour, ma reconversi­on m’a donné confiance en moi. J’ai compris que si je voulais apprendre un autre métier, j'en étais capable”, estime Cécile Thibaut.

“Je ne perçois pas mon travail comme pénible. Je ne renie pas mon passé de cadre, que je trouvais passionnan­t. Mais ce que je fais aujourd’hui, ce mélange de terrain et d’innovation, l'est tout autant. Changer d’univers demande de l’énergie. Mais faire quelque chose qui vous passionne et qui a du sens n’a pas de prix”, conclut-elle.

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