Mutation : De la Défense et des start-up à l’agriculture
Après avoir travaillé pendant 5 ans dans l'univers des grands groupes et des start-up, Cécile Thibaud a changé de voie. L’ancienne cadre de Suez Environnement est désormais maraîchère. Une reconversion inspirante, pour un métier qui fait sens à ses yeux, et qui n’est pas totalement sans rapport avec son ancienne carrière.
Issue d’une famille d’agronomes, Cécile Thibaut a toujours été passionnée par l’écologie. À 17 ans, elle avait déjà un plan : travailler dans la gestion de l’eau potable. “Je me suis inscrite à un double parcours de Sciences et politiques de l’environnement, entre Sciences Po et Paris VI. Pour moi, l'eau était le sujet politique et scientifique du futur”, raconte-t-elle. En 2013, après son Master, Cécile Thibaut est recrutée par Suez Environnement. “Responsable projet innovation”, elle travaille dans le quartier de La Défense, à Paris. “Mon rôle était d'allouer des budgets aux salariés qui voulaient proposer des idées pour traiter l’eau potable. L’idée était de favoriser les innovations issues du terrain, bidouillées par les collaborateurs dans leur coin”, explique-t-elle.
QUÊTE DU SENS ET DE TERRAIN
Pendant trois ans, elle sillonne la France et coordonne des centaines de projets. “J’adorais ce que je faisais. Même si je ne comptais pas mes heures”, relate-t-elle. Mais elle supporte de moins en moins bien sa vie de cadre parisienne. Surtout quand en 2014, elle déménage à Bordeaux avec son conjoint ; tout en continuant de travailler à La Défense. “Ma vie c’était : métro-boulot-malbouffe. J’étais toujours en mouvement. Je me vidais de mon énergie à travailler tard le soir, puis à sortir pour me sociabiliser. En plus du TGV”. En 2015, Cécile Thibaut rejoint l’incubateur Numa. “J’étais responsable de son programme d’accélération des start-up. J’avais postulé par défaut : ce que je souhaitais à l’origine, c’était rester chez Suez, mais comme responsable d’usine. Je cherchais un poste plus opérationnel, près de Bordeaux. Mais les RH n'avaient rien à me proposer.” Chez Numa, elle reste dans le milieu de l’innovation, gère des budgets et part à la rencontre de jeunes entrepreneurs. Mais son envie d’ailleurs demeure. “Je n’arrivais vraiment plus à trouver du sens à mon quotidien. J’avais aussi besoin qu’il soit moins déconnecté des enjeux écologiques”.
En 2017, elle décide de tout plaquer pour se reconvertir. “Je rêvais d'un métier plus stimulant, sur le terrain, au service d’un projet qui a du sens, explique-t-elle. Je me suis posé la question de ce qui me permettrait de répondre à des besoins essentiels, au même titre que la production d’eau potable. Pendant mon cursus, j’avais étudié l’agronomie. Cela m’a conduit vers l’alimentation.” Après une rupture amoureuse, elle décide de prendre la route, et de
s’auto-former au maraîchage. “Les formations au métier d’agriculteur sont longues et très orientées sur la gestion et l’étude des sols. Ce que j’avais déjà étudié. Ce qui me manquait, c’était la pratique. La notion de compagnonnage me plaisait, l’idée d’apprendre sur le tas”, raconte-t-elle. Partie de zéro, elle enchaîne les travaux saisonniers ou bénévoles dans une dizaine de fermes.
Son entourage ne comprend pas tout de suite sa reconversion : “il y avait des interrogations, des inquiétudes. Ce métier reste mal connu. Mais tous ont fini par me soutenir. Mon changement de vie en a même poussé certains à remettre en question leurs propres carrières". De par ses connaissances en agronomie, Cécile Thibaut est conduite à exercer des missions de recherche, à la ferme du Bec-Hellouin, dans l’Eure. Une exploitation spécialiste de la permaculture. “Je voulais être agricultrice, mais pas seulement dans les champs. Je me suis replongée dans mes anciens cours, puis j’ai réalisé une étude sur la viabilité économique des forêts-jardins”. En 2019, elle devient responsable des cultures maraîchères de la Ferme de Desnié, en Belgique. Tout en continuant, pendant le creux hivernal, de rédiger des rapports pour la ferme du Bec-Hellouin.
CONTINUER À INNOVER
Finalement, son métier demeure proche de ses anciennes expériences. “Il est très complet : à la fois opérationnel, avec des tâches manuelles, et entrepreneurial”. Elle encadre les ouvriers agricoles, gère la coopérative, la comptabilité et la vente des légumes. Elle mène aussi des recherches sur la régénération des sols. “L’éventail des possibles est infini. Je suis à la fois patron, cadre et ouvrier. Avec le bonheur d’être indépendante. Et d’apprendre constamment, tout en faisant quelque chose qui a du sens”. Sa reconversion n’a pas été facile : “j’ai démissionné, je suis parti sur les routes, sans certitudes. Mais ce fut une expérience extraordinaire”. Elle reconnaît que son métier peut être difficile :
“vous n’avez pas de vacances en même temps que les autres, vous travaillez jusqu’à 14 heures par jour l'été. Et cela demande de l’engagement physique”. “Mais jamais je ne regretterai d’avoir changé de voie. Et si je devais changer encore de cap un jour, ma reconversion m’a donné confiance en moi. J’ai compris que si je voulais apprendre un autre métier, j'en étais capable”, estime Cécile Thibaut.
“Je ne perçois pas mon travail comme pénible. Je ne renie pas mon passé de cadre, que je trouvais passionnant. Mais ce que je fais aujourd’hui, ce mélange de terrain et d’innovation, l'est tout autant. Changer d’univers demande de l’énergie. Mais faire quelque chose qui vous passionne et qui a du sens n’a pas de prix”, conclut-elle.