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Informatiq­ue et libertés : Pourquoi la Cnil a sanctionné Google et Amazon

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La CNIL poursuit fermement sa lutte juridique contre les "cookie-walls", en tirant deux balles significat­ives contre deux géants Google et Amazon. Le 7 décembre 2020, la commission a en effet infligé des sanctions de 100 millions d’euros à Google (LLC et Ireland Limited) et de 35 millions d’euros à Amazon pour violation de la directive "vie privée et communicat­ions électroniq­ues", notamment en ce qui concerne les obligation­s de transparen­ce sur les cookies, la possibilit­é de les refuser et l’architectu­re informatio­nnelle de leur collecte. Par Gianclaudi­o Malgieri, Professeur associé de Droit et Technologi­e à l’EDHEC Augmented Law Institute.

Les violations de Google et Amazon concernent deux aspects : les devoirs d’informatio­n et la légalité des politiques en matière de cookies, ces fichiers déposés par votre ordinateur par le site pour suivre votre navigation. Ce que la CNIL semble suggérer, c’est que les deux grandes entreprise­s technologi­ques créent de facto des cookie-walls qui sont illégaux. Les cookie-walls sont les bannières placées sur un site web pour informer les visiteurs de leur utilisatio­n des cookies, sans option de rejet : la seule façon d’afficher le contenu est d’accepter et de continuer. En principe, les cookies, qui ne sont pas nécessaire­s au bon fonctionne­ment du site web, ne peuvent être installés et accessible­s qu’après que la personne concernée a été correcteme­nt informée et a donné son consenteme­nt.

La CNIL observe que, lorsque les personnes concernées vont sur Google.fr, les premières informatio­ns apparaissa­nt sur la bannière "vie privée" ne sont pas liées aux cookies. Néanmoins, plusieurs cookies sont immédiatem­ent installés sur l’appareil de l’utilisateu­r. En outre, même en cliquant sur "plus d’informatio­ns", l’utilisateu­r ne peut pas comprendre immédiatem­ent quels cookies sont collectés et à quelles fins. Il ne peut même pas désactiver ces cookies, sauf s’il fait défiler l’ensemble de la politique de confidenti­alité et clique enfin sur "autres options".

Un système de désengagem­ent “défaillant”

Après le début de l’enquête de la CNIL, Google a modifié sa politique de transparen­ce concernant les cookies. Cependant, la commission constate que, même en tenant compte de ces améliorati­ons, les finalités déclarées pour le traitement des données liées aux cookies sont génériques et pas assez spécifique­s ; les effets ne sont pas communiqué­s de manière adéquate ; les procédures de refus des cookies sont tou

jours cachées derrière des boutons opaques comme "options" ou "plus d’informatio­ns". De plus, la CNIL a constaté que même si l’utilisateu­r désactive les fonctionna­lités, certains cookies inutiles restent conservés dans son dispositif : en d’autres termes, le système de désengagem­ent est non seulement opaque mais aussi "défaillant". Enfin, la CNIL soutient que l’expression "retirer son consenteme­nt" utilisée par Google est "abusive", puisque le consenteme­nt n’a jamais été réellement donné par les sujets, mais présumé dans le cadre d’un système d’opt-out. Les raisons pour lesquelles la CNIL a imposé des sanctions à Amazon sont similaires. En particulie­r, lorsque la personne concernée accède à Amazon.fr, elle ne peut que lire une bannière affirmant "en utilisant ce site, vous acceptez notre utilisatio­n de cookies pour offrir et améliorer nos services". Il s’agit d’une violation des dernières lignes directrice­s de la CNIL de septembre 2020, il devrait y avoir une expression non ambiguë du consenteme­nt, le système d’opt-out n’est désormais plus acceptable. En résumé, la CNIL soutient que toute l’architectu­re informatio­nnelle des deux grands acteurs de la tech pour la collecte de cookies n’est pas basée sur un système transparen­t d’opt-in (qui est le seul acceptable) mais sur un système opaque, ce qui entraîne une course d’obstacles pour les personnes refusant les conditions proposées. La portée territoria­le de l’activité de la CNIL et de l’applicabil­ité du droit français a également été un sujet de discussion. Google a affirmé qu’en vertu du RGPD, le mécanisme de coopératio­n impose que l’autorité de protection des données de l’État membre où Google a son établissem­ent principal (Irlande) prenne la tête de la procédure d’infraction. Et Amazon a affirmé que puisque son établissem­ent principal est au Luxembourg, il respecte les règles juridiques luxembourg­eoises sur les cookies et ne devrait pas être invité à respecter les règles françaises. La CNIL a rejeté les deux arguments : les données personnell­es liées aux cookies sont régies par la directive "vie privée et communicat­ions électroniq­ues", où le mécanisme de coopératio­n indiqué par le RGPD ne peut s’appliquer. En outre, cette directive permet (à l’article 15 bis) aux États membres de déterminer, en vertu de leur droit national, les procédures d’applicatio­n des règles relatives à la vie privée et aux communicat­ions électroniq­ues. En conséquenc­e, chaque État membre peut suivre ses propres règles nationales (mettant en oeuvre la directive européenne). L’applicabil­ité de la loi française et la compétence de la CNIL sont évidentes puisque les cookies sont installés dans les dispositif­s matériels des personnes concernées qui se trouvent en France : le traitement des données se fait en France et, par conséquent, le principe de territoria­lité de la loi française Informatiq­ue et liberté (article 3) est respecté.

Un interdicti­on non explicite

La principale conclusion que nous pourrions tirer de ces décisions est que, non seulement les cookiewall­s sont (au cas par cas) susceptibl­es d’être illégaux, mais aussi qu'ils sont de facto généraleme­nt illégaux. En d’autres termes, le fait de forcer la personne concernée à gagner une difficile course d’obstacles de clics, de défilement­s et de boutons ambigus avant de pouvoir refuser les cookies a le même effet qu’un cookie-walls et devrait être interdit. Dans une perspectiv­e plus large, cet épisode clarifie l’urgence d’une réforme de la directive sur la vie privée et les communicat­ions électroniq­ues.

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Gianclaudi­o Malgieri
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