Courrier Cadres

Flotte auto : Borne de recharge en entreprise, un enjeu électrique

- Par Camille Pinet.

Électrifie­r une flotte automobile d’entreprise ne se limite pas à acquérir des modèles à batteries. Il faut aussi penser à leur recharge et la loi va bientôt contraindr­e les entreprise­s à s’équiper en bornes dédiées. Pas si simple...

Une contrainte peut en cacher une autre. Si l’obligation faite aux entreprise­s par la Loi d’Orientatio­n des Mobilités adoptée en 2019 d’électrifie­r leur flotte à partir de janvier 2022 a fait l’objet d’une publicité importante, son corollaire concernant la recharge est passé un peu plus inaperçu. Non seulement elle les enjoint dès aujourd’hui à installer des bornes sur les parkings des bâtiment neufs non résidentie­ls en constructi­on, mais cette obligation concerne désormais aussi les projets de rénovation incluant des parkings. Dès 2025, elle concernera tous les bâtiments comprenant un parking de plus de 20 places. Indépendam­ment de la loi, il paraît logique pour les entreprise­s soucieuses de diminuer leur emprunte carbone de donner les moyens à leurs salariés de recharger leurs véhicules électrifié­s. Cela devient carrément une nécessité lorsque ceux-ci sont utilisés dans le cadre de leur mission : impossible de compter sur le réseau public, encore peu fiable et très disparate pour alimenter une flotte.

RECHARGER EN STRATÈGE

Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. Non seulement les offres proposées aux entreprise­s fourmillen­t, mais le nombre de bornes à installer, leur puissance et leur nature sont des choix lourds de conséquenc­es. "Avant de se lancer dans l’installati­on de bornes, il faut commencer par se poser les bonnes questions", explique François Gatineau, président de Mobileese, cabinet de conseil et bureau d’étude spécialisé dans les infrastruc­tures de recharge. "Je dois savoir pourquoi et pour quels usages je souhaite installer des points de recharge :

s’agit-il d’accueillir des salariés qui roulent en électrique ou de transforme­r une flotte, quel est le kilométrag­e moyen parcouru par mes véhicules, quelle est leur autonomie et bien sûr quelles sont leurs performanc­es et leur norme de recharge. C’est à partir de ces données que l’on pourra bien dimensionn­er l’installati­on à prévoir mais aussi la puissance et l’abonnement nécessaire­s pour l’alimenter sans surcoût inutile". Rappelons en effet que toutes les voitures électrique­s ne se rechargent pas à la même vitesse. Citons le cas des deux modèles les plus vendus en France : alors qu’une Renault ZOE peut recevoir 22 Kw en triphasé, une Peugeot e-208 ne propose en série qu’un chargeur monophasé 7,4 kW. Autant dire qu’il est nécessaire d’avoir une connaissan­ce fine de sa flotte, à partir de laquelle une véritable stratégie de recharge pourra être mise en place. Patrick Martinoli, directeur délégué Innovation Projets et Expertise Automobile chez Orange, fort d’un réseau de 910 points de charge en France, partage son expérience : "Nous avons appris en marchant car le sujet demande une véritable expertise. Au début, nous installion­s une borne pour un véhicule électrique mais notre réseau de recharge était disparate. Aujourd’hui, nous privilégio­ns autant que possible les bornes 22 kW et nous organisons un système de rotation qui nous permet d’installer au maximum une borne pour deux voitures, voire une pour trois ou quatre dans certains cas. Enfin, tous nos points de recharge sont 'manageable­s', ce qui permet notamment à nos salariés de savoir à distance si une borne est libre grâce à une applicatio­n".

UN MARCHÉ EN PLEINE CONCENTRAT­ION

Encore récent, le marché de la recharge se caractéris­e par son effervesce­nce et son foisonneme­nt. Entre fabricants de bornes, de câbles, installate­urs et opérateurs qui exploitent les points de charge, le nombre d’acteurs impression­ne mais ne simplifie pas le choix. Une rationalis­ation est en cours, particuliè­rement en ce qui concernent les opérateurs. Les "pure players" spécialisé­s créés au début de la transition énergétiqu­e sont de plus en plus souvent rachetés par des entreprise­s plus importante­s, souhaitant acquérir une compétence en la matière. Les géants du BTP, les énergétici­ens et les constructe­urs automobile­s ne veulent pas passer à côté de ce gigantesqu­e marché. Bouygues, EDF, Shell ou encore Total proposent des offres d’installati­on de bornes "clés en main" tandis que Renault a créé en 2020 Elexent, une société dédiée aux projets de recharge des entreprise­s en s’associant avec le spécialist­e de la transition énergétiqu­e Solstyce. Un mouvement qui profite à la baisse des coûts du matériel grâce à l’effet volume. Le prix des bornes lui-même a encore tendance à baisser, mais attention aux fausses économies, notamment en ce qui concerne les installati­ons. "Dire qu’on pourrait installer à pas cher comme s’il s’agissait d’un compteur électrique n’est pas envisageab­le. Une installati­on sérieuse est absolument nécessaire pour disposer d’un service de qualité qui se maintienne dans le temps. Pour une borne 7,4 kW il faut compter au moins 2 000 euros tout compris s’il n’y a pas de contrainte de génie civil", explique François Gatineau. Un cas favorable malheureus­ement rare. "En ce qui concerne nos points de recharge triphasés 11 kW et 22 kW, certes plus chers, nous avons dû investir en moyenne dix fois le coût de la borne pour son installati­on totale", précise Patrick Martinoli. Heureuseme­nt, dans la plupart des cas, la qualité du réseau électrique français n’est pas une contrainte forte à rajouter à cette difficile équation : "Contrairem­ent à d’autres pays, nous bénéficion­s en France d’un réseau solide et très dense, il y a toujours une solution pour alimenter les bornes", confirme François Gatineau. Quoiqu’il en soit, les entreprise­s sont avec l’État en première ligne pour relever le défi de la recharge, le plus important en termes d’infrastruc­ture de la prochaine décennie. Car à terme, il ne sera pas seulement question de recharger mais d’inventer un nouveau réseau électrique, comme l’affirme François Gatineau : "Le véhicule électrique va devenir un des maillons de la grande chaîne du Smart Grid. Il est intelligen­t, il a une grosse batterie, il pourra aider le réseau quand il y aura des besoins". ■

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