Courrier Cadres

Business travel : Micromobil­ité, le nouveau défi des entreprise­s

- Par Thierry Beaurepère.

La crise sanitaire accélère la réflexion sur les déplacemen­ts domicile/travail. Spécialist­es des transports et start-up sont en marche pour inventer la mobilité profession­nelle de demain. Elle sera multiple, plus verte et connectée.

Faire du vélo en costume et cravate ? Depuis l’été dernier, la filiale française de la banque américaine Morgan Stanley propose à ses collaborat­eurs de rejoindre leur bureau parisien… à deux roues. Pour l’occasion, elle a fait appel à Tim Sports. La jeune start-up met à dispositio­n des bicyclette­s de fonction aux entreprise­s, associés à des équipement­s et une assurance. Alors demain, le vélo va-t-il remplacer la voiture dans les déplacemen­ts profession­nels, notamment sur le trajet domicile/travail ? Nous en sommes encore loin. 60 % des Français qui habitent à moins de 5 kilomètres de leur lieu de travail utilisent toujours une voiture pour s’y rendre selon une enquête réalisée par la société d’études YouGov France. Certains mettent en cause le manque de sécurité, de confort, ou encore la trop grande distance à parcourir. D’autres disposent d’une voiture de fonction et ne se posent pas vraiment la question.

Mais la réflexion avance. L’enjeu est important : 50 % des émissions de C02 des entreprise­s proviennen­t des "micromobil­ités" domicile-travail et profession­nelles. Lancé en 2020, le "forfait mobilité durable" (FMD) leur permet d’encourager leurs salariés à utiliser des transports plus vertueux, à travers la prise en charge des frais de transports jusqu’à 500 euros par an ; un "ticket restaurant" de la mobilité en quelque sorte, que le collaborat­eur peut utiliser comme il le souhaite pour des transports décarbonés, un co-voiturage ou l’achat d’un vélo… De nombreux experts jugent toutefois la mesure insuffisan­te. Car le FMD est facultatif. Surtout, le montant demeure trop faible en rapport avec les enjeux climatique­s. À ce jour, environ 300 entreprise­s auraient franchi le pas. La loi Climat et Résilience en discussion pourrait rendre ce forfait obligatoir­e à l’avenir, et relever son plafond. Plus inattendue, la crise de la Covid 19, avec le développem­ent du télétravai­l et la distanciat­ion sociale qui pénalise les transports en commun, pourrait avoir pour effet collatéral d’inciter les entreprise­s à repenser plus rapidement ce sujet des micromobil­ités.

Un nouvel écosystème se construit, porté par des spécialist­es des transports ou des start-up innovantes. Ainsi Flexy Moov, un nouveau service lancé en 2019 qui propose une flotte de véhicules partagés, directemen­t implantée sur les parkings des entreprise­s. Vélos, voitures, scooters ou trottinett­es… l’intégralit­é de la flotte est électrique, pour réduire l’empreinte carbone des collaborat­eurs. "Les systèmes de véhicules individual­isés ou de flottes monolithiq­ues s’essoufflen­t : il est nécessaire d’offrir de la flexibilit­é aux utilisateu­rs, en mettant à leur dispositio­n de multiples types de véhicules pour choisir le mode de transport adapté à chaque

déplacemen­t", explique la start-up. De son côté, Skipr se démarque avec une offre trois en un : une carte de paiement (physique ou dématérial­isée) permettant à chaque salarié de payer des offres de mobilité en Europe, une applicatio­n qui conseille sur les itinéraire­s et propose un accès à divers fournisseu­rs (train, bus, métro, voitures ou vélos partagés…) et une plate-forme de gestion permettant à l’entreprise de suivre les dépenses et les émissions de CO2 de ses collaborat­eurs. "La mobilité est un sujet complexe et les RH commencent seulement à la prendre en compte", témoigne Jan de Lobkowicz, directeur du développem­ent de Skipr, qui cible les entreprise­s de plus de 1 000 salariés. La montée en puissance du free-floating (des engins sans station d’attache, géolocalis­ables à partir d’une applicatio­n mobile) participe à cette révolution de la micromobil­ité. Après un déferlemen­t parfois anarchique, la loi d’Orientatio­n des Mobilités a permis aux municipali­tés de faire le ménage, pour un meilleur service. Ainsi Paris a sélectionn­é trois opérateurs de trottinett­es en 2020 (Lime, Dott et Tier), notamment sur des critères éco-responsabl­es, quand 13 entreprise­s bataillaie­nt sur le bitume il y a deux ans.

FREE-FLOATING

L’offre est multiple. Vélos et trottinett­es en libreservi­ce répondent tout particuliè­rement aux besoins de mobilité de quelques kilomètres, notamment pour se rendre au travail. "On constate une utilisatio­n massive le matin et le soir", confirme Aymeric Weyland co-fondateur de la communauté Mobility Makers et de Fluctuo, une start-up spécialisé­e dans le traitement des données de services de mobilité partagée. De leur côté, les scooters (Cityscoot ou Troopy qui proposent des engins de plus de 125 cm3) et les voitures (Share Now, Citiz, Zity, Free2Move) sont adaptés aux déplacemen­ts plus longs, notamment les rendez-vous profession­nels. Selon le baromètre annuel de Fluctuo, et malgré les confinemen­ts, le nombre de véhicules disponible­s (pour l’essentiel des vélos et trottinett­es, quand les voitures ne représente­nt que 12 % de l’offre) a progressé de 5 % en 2020. 80 millions de trajets ont ainsi été effectués en France l’an dernier (dont 77 % en vélo et 2 % en voiture), générant 150 millions d'euros de revenus. "Mais il est parfois difficile d’évaluer la santé du marché tant les décisions prises par les acteurs peuvent renvoyer des signaux contradict­oires", poursuit Aymeric Weyland. Renault a par exemple lancé son service Zity à Paris alors que le groupe Bolloré a abandonné son offre BlueLy (Lyon) et BlueCub (Bordeaux). Dans les vélos, Mobike a disparu au printemps 2020, Bolt s’est lancé à Paris en juin avant d’en repartir en septembre. Alors que Lime (vélos et trottinett­es), en proie à des difficulté­s liées à la pandémie, a fusionné avec Jump (Uber). Les enjeux sont considérab­les. Face aux ambitions d’Uber, Cityscoot (scooters), Tier (trottinett­es et scooters), Voi (trottinett­es) et Bolt (VTC, scooters, vélos) ont réalisé d’importante­s levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d’euros ces derniers mois, avec l’ambition de conquérir de nouvelles villes mais aussi d’élargir leurs offres pour proposer un service global. Dott (trottinett­es) ajoute par exemple des vélos électrique­s fabriqués en Europe à sa palette de services quand Tier se fixe l’objectif de déployer son offre dans une quinzaine de villes françaises et d’accompagne­r les entreprise­s dans leur stratégie de mobilités. Plus globalemen­t, tous les opérateurs développen­t une offre "business" et font désormais des entreprise­s une cible prioritair­e.

Le défi est important. Selon une étude réalisée par la solution Free Now for Business dédiée à la gestion des déplacemen­ts profession­nels, la micromobil­ité demeure encore marginale dans le

business travel. Si 39 % des voyageurs d’affaires français se disent intéressés par l’utilisatio­n de vélos ou de trottinett­es, la majorité des politiques voyages des entreprise­s n’abordent pas le sujet. Et lorsqu’elles le font, c’est le plus souvent pour en interdire l’usage. La faute à un marché jeune et essentiell­ement urbain, qui fait craindre aux entreprise­s que les services ne soient pas toujours fiables et adaptés à leurs salariés. Autre frein : la sécurité des collaborat­eurs, avec des espaces de circulatio­n encore peu sécurisés et des comporteme­nts pas toujours vertueux. Pour autant, 50 % des travels managers affirment que leur entreprise a déjà modifié sa politique de mobilité suite à la pandémie, avec une liste de prestatair­es de transports terrestres préférés, respectant des normes de sécurité et d’hygiène.

OBJECTIF MAAS

Le MaaS (pour Mobility as a service), à savoir une plate-forme qui regroupe différente­s offres (train, voiture, transports en commun, VTC, taxi, vélo, trottinett­e…) faciles à réserver, sera sans doute la solution pour encourager les entreprise­s à intégrer plus largement les micromobil­ités dans leur stratégie. La consolidat­ion s’accélère. De multiples acteurs privés mais aussi des acteurs publics se lancent dans la course pour concevoir l’outil le plus performant, de CityMapper à Transdev en passant par la RATP, qui s’est récemment offert le calculateu­r d’itinéraire­s Mappy. Alléché par les perspectiv­es du marché, Uber a mis la main sur Routematch, une société spécialisé­e dans les solutions logicielle­s dédiées aux transports en commun, et son applicatio­n propose désormais les vélos et trottinett­es de Lime/Jump et les scooters de Cityscoot. De son côté Free Now (propriété de Daimler/ BMW et concurrent européen d’Uber) regroupe des services de VTC et taxis et désormais de micromobil­ités (scooters et trottinett­es) à travers un accord qui vient d’être signé avec Tier. Son offre "business" a déjà séduit 3500 entreprise­s françaises. Alors que Free2Move (marque de Stellantis, né de la fusion des groupes PSA et Fiat Chrysler) combine autopartag­e, location de voitures, réservatio­n de parking et VTC. La SNCF est également dans la course avec son applicatio­n Assistant SNCF. Une nouvelle version intègre les services de vélos et trottinett­es partagés dans 5 villes françaises, en partenaria­t avec Fluctuo. Qu’on se le dise : la micromobil­ité sera LE sujet de 2021 ! ■

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