Mobilité : Travailler Outre-Manche, les nouvelles règles du jeu
Brexit et pandémie complexifient la mobilité professionnelle entre la France et Londres. La capitale britannique a gardé sa force d’attractivité économique mais il est désormais nécessaire d’obtenir un visa pour s’y installer. Suivez le guide !
Le "Brovid" serait-il plus épais que le fog planant sur la Tamise ? Ce nouvel acronyme désigne le contexte incertain combinant Brexit et Covid-19, deux événements difficiles à dissocier quand on tente d’analyser le marché de l’emploi dans la capitale britannique. Mais elle reste un phare dans le brouillard. "Elle va garder son attractivité sur le long terme, assure Vincent Joulia, membre du comité exécutif de la Banque Transatlantique, en charge de l’international. Sa dynamique économique va perdurer: la City est très en avance par rapport aux autres places européennes, elle est toujours dans le top 10 mondial. Et puis, pour les Français, c’est une expérience internationale peu risquée : un environnement très multiculturel proche de l’Hexagone." Ce qui est très apprécié par Eric Sampers, arrivé en expatriation pour Pernod-Ricard en 2016, en tant que directeur de marque. En 2019, il s’est lancé comme entrepreneur en créant Mary, un gin faible en alcool : "J’ai pour associés un Espagnol, un Néo-zélandais et une Américaine venue de Singapour : Londres est très cosmopolite !" Et même plus que San Francisco, constate Marine Gallois, qui a déménagé de Californie l’été dernier avec son compagnon Adrien et leur fils de cinq ans, pour travailler dans le bureau londonien de son employeur, la société de jeux vidéo Niantic : "Je suis la seule française: c’est génial de travailler avec des cultures professionnelles différentes." Mais ses compatriotes sont très nombreux à Londres, peut-être 300 000, si bien qu’on la surnomme la 5e ville de France ! Un chiffre pour l’instant impossible à vérifier, tout comme les retours dans l’Hexagone liés au Brovid… En tout cas, les Français qui étaient présents avant le 31 décembre dernier sur le sol britannique ont intérêt à faire une demande de "settled status", délivré si cela fait plus de cinq ans qu’ils résident au Royaume-Uni : "Ils peuvent alors y rester à vie, précise Amélie Adam, londonienne depuis juin 2019. Moi j’ai obtenu le "pre-settled status" car cela fait moins de cinq ans que je vis ici. Je pourrai ensuite demander le settled status." Tous ces Français ont un avantage concurrentiel sur leurs compatriotes nouveaux venus : pas besoin de visa pour travailler. Contrairement aux Européens qui émigrent au Royaume-Uni depuis le 1er janvier 2021… Des démarches chères et complexes résumées par Claire Arenales del Campo, responsable d'équipe mobilité internationale à Pôle emploi : "pour acquérir un visa, il faut avoir trouvé son emploi avant d’arriver et il faut qu’il émane d’une entreprise qui parraine le demandeur en payant une 'sponsor licence', afin d’avoir le droit d’embaucher un étranger. De plus, le candidat à l’immigration doit atteindre un minimum de 70 points, calculés selon plusieurs critères, dont certains obligatoires : bien parler anglais, avoir déjà trouvé un poste, dont le degré de qualification est d’un niveau suffisant et moyennant un salaire minimal garanti par l’employeur, le plancher étant d’environ 23700 euros par an."Ce régime d’immigration est donc beaucoup plus favorable aux cadres et hauts profils. Le gouvernement britannique publie sur son site officiel (voir encadré) la liste des emplois qualifiés, ou "skilled occupation", et celle des métiers en pénurie de main d’oeuvre, ou "shortage occupation List". "Nous savons, en tant que juristes, à quelles tâches ils correspondent, mais ce n’est pas forcément clair au premier abord !", explique Emma Dauriac, du cabinet anglais Barar & Associates Ltd, spécialisé en droit de l’immigration. D’où une forte augmentation du nombre de
ses clients français, désireux de mener à bien leurs démarches. "C’est très peu flexible, poursuit-elle. Le plus difficile, est de trouver un employeur prêt à parrainer, car c’est onéreux pour lui. Surtout s’il accepte aussi de prendre en charge le coût du visa pour le requérant, plus ses 'dependants', les membres de sa famille. Sans oublier l’acquittement d’une 'immigration health surcharge'de 740 euros par adulte et 560 euros par enfant, contribution obligatoire à la sécurité sociale britannique dont il faut payer la totalité au début de la validité du visa." Sa durée ne peut dépasser cinq ans. À l’issue de cette période, si certains critères sont remplis, on peut faire une demande de résidence permanente, ou "indefinite leave to remain" (ILR). Les recruteurs réalisent donc un vrai investissement en embauchant des titulaires de visa et il est logique qu’ils souhaitent en limiter les risques. "Les profils plutôt expérimentés seront favorisés par ce nouveau système, affirme Stéphane Rambosson, chasseur de tête franco-britannique. Car les cadres à fortes compétences apportent une véritable valeur ajoutée." Les secteurs les plus porteurs se situent dans l’informatique, les nouvelles technologies et les télécoms, la finance, la santé et l’environnement. "Londres a une politique de développement durable très ambitieuse, observe Adrien Baudrimont, arrivé, avec Marine Gallois, de San Francisco où il était chef de programme dans la protection de l’environnement. Des milliers de postes vont être créés dans ce secteur et je ne m’inquiète pour ma recherche de travail. Mais heureusement que l’on a réussi à venir avant la fin de l’année dernière car seule Marine avait un emploi. On ne voulait pas prendre le risque d’immigrer avec les nouvelles conditions, proches du système américain que l’on ne voulait pas revivre !"Jérémie Raude-Leroy, créateur du magazine Français à Londres où il vit depuis dix ans, temporise un peu : "certes le fait d’instaurer un visa constitue une barrière administrative, mais elle n’est pas infranchissable." Stéphane Rambosson estime qu’il faut peser le pour et le contre avant de se lancer, car le coût de la vie est très élevé dans la capitale britannique : "Si on choisit l’expatriation, il faut bien négocier ses conditions. Et si l’on opte pour un contrat local, il faut savoir que, pendant les deux premières années, c’est très facile de licencier et les allocations chômage sont faibles. Il faut aimer les incertitudes, avoir l’esprit aventurier !" Laurence Parry, cofondatrice de French Resources, cabinet de conseil en recrutement spécialisé dans les profils bilingues, n’en est pas à sa première crise traversée, elle qui réside à Londres depuis 25 ans. Elle relativise donc la situation : "je pense que les règles vont s’assouplir car les Britanniques sont très pragmatiques : les entreprises vont avoir besoin d’autres langues que l’anglais pour exporter et faire du business." La philosophie du wait and see, en somme… ■