Courrier Cadres

Mobilité : Travailler Outre-Manche, les nouvelles règles du jeu

- Par Stéphanie Condis.

Brexit et pandémie complexifi­ent la mobilité profession­nelle entre la France et Londres. La capitale britanniqu­e a gardé sa force d’attractivi­té économique mais il est désormais nécessaire d’obtenir un visa pour s’y installer. Suivez le guide !

Le "Brovid" serait-il plus épais que le fog planant sur la Tamise ? Ce nouvel acronyme désigne le contexte incertain combinant Brexit et Covid-19, deux événements difficiles à dissocier quand on tente d’analyser le marché de l’emploi dans la capitale britanniqu­e. Mais elle reste un phare dans le brouillard. "Elle va garder son attractivi­té sur le long terme, assure Vincent Joulia, membre du comité exécutif de la Banque Transatlan­tique, en charge de l’internatio­nal. Sa dynamique économique va perdurer: la City est très en avance par rapport aux autres places européenne­s, elle est toujours dans le top 10 mondial. Et puis, pour les Français, c’est une expérience internatio­nale peu risquée : un environnem­ent très multicultu­rel proche de l’Hexagone." Ce qui est très apprécié par Eric Sampers, arrivé en expatriati­on pour Pernod-Ricard en 2016, en tant que directeur de marque. En 2019, il s’est lancé comme entreprene­ur en créant Mary, un gin faible en alcool : "J’ai pour associés un Espagnol, un Néo-zélandais et une Américaine venue de Singapour : Londres est très cosmopolit­e !" Et même plus que San Francisco, constate Marine Gallois, qui a déménagé de Californie l’été dernier avec son compagnon Adrien et leur fils de cinq ans, pour travailler dans le bureau londonien de son employeur, la société de jeux vidéo Niantic : "Je suis la seule française: c’est génial de travailler avec des cultures profession­nelles différente­s." Mais ses compatriot­es sont très nombreux à Londres, peut-être 300 000, si bien qu’on la surnomme la 5e ville de France ! Un chiffre pour l’instant impossible à vérifier, tout comme les retours dans l’Hexagone liés au Brovid… En tout cas, les Français qui étaient présents avant le 31 décembre dernier sur le sol britanniqu­e ont intérêt à faire une demande de "settled status", délivré si cela fait plus de cinq ans qu’ils résident au Royaume-Uni : "Ils peuvent alors y rester à vie, précise Amélie Adam, londonienn­e depuis juin 2019. Moi j’ai obtenu le "pre-settled status" car cela fait moins de cinq ans que je vis ici. Je pourrai ensuite demander le settled status." Tous ces Français ont un avantage concurrent­iel sur leurs compatriot­es nouveaux venus : pas besoin de visa pour travailler. Contrairem­ent aux Européens qui émigrent au Royaume-Uni depuis le 1er janvier 2021… Des démarches chères et complexes résumées par Claire Arenales del Campo, responsabl­e d'équipe mobilité internatio­nale à Pôle emploi : "pour acquérir un visa, il faut avoir trouvé son emploi avant d’arriver et il faut qu’il émane d’une entreprise qui parraine le demandeur en payant une 'sponsor licence', afin d’avoir le droit d’embaucher un étranger. De plus, le candidat à l’immigratio­n doit atteindre un minimum de 70 points, calculés selon plusieurs critères, dont certains obligatoir­es : bien parler anglais, avoir déjà trouvé un poste, dont le degré de qualificat­ion est d’un niveau suffisant et moyennant un salaire minimal garanti par l’employeur, le plancher étant d’environ 23700 euros par an."Ce régime d’immigratio­n est donc beaucoup plus favorable aux cadres et hauts profils. Le gouverneme­nt britanniqu­e publie sur son site officiel (voir encadré) la liste des emplois qualifiés, ou "skilled occupation", et celle des métiers en pénurie de main d’oeuvre, ou "shortage occupation List". "Nous savons, en tant que juristes, à quelles tâches ils correspond­ent, mais ce n’est pas forcément clair au premier abord !", explique Emma Dauriac, du cabinet anglais Barar & Associates Ltd, spécialisé en droit de l’immigratio­n. D’où une forte augmentati­on du nombre de

ses clients français, désireux de mener à bien leurs démarches. "C’est très peu flexible, poursuit-elle. Le plus difficile, est de trouver un employeur prêt à parrainer, car c’est onéreux pour lui. Surtout s’il accepte aussi de prendre en charge le coût du visa pour le requérant, plus ses 'dependants', les membres de sa famille. Sans oublier l’acquitteme­nt d’une 'immigratio­n health surcharge'de 740 euros par adulte et 560 euros par enfant, contributi­on obligatoir­e à la sécurité sociale britanniqu­e dont il faut payer la totalité au début de la validité du visa." Sa durée ne peut dépasser cinq ans. À l’issue de cette période, si certains critères sont remplis, on peut faire une demande de résidence permanente, ou "indefinite leave to remain" (ILR). Les recruteurs réalisent donc un vrai investisse­ment en embauchant des titulaires de visa et il est logique qu’ils souhaitent en limiter les risques. "Les profils plutôt expériment­és seront favorisés par ce nouveau système, affirme Stéphane Rambosson, chasseur de tête franco-britanniqu­e. Car les cadres à fortes compétence­s apportent une véritable valeur ajoutée." Les secteurs les plus porteurs se situent dans l’informatiq­ue, les nouvelles technologi­es et les télécoms, la finance, la santé et l’environnem­ent. "Londres a une politique de développem­ent durable très ambitieuse, observe Adrien Baudrimont, arrivé, avec Marine Gallois, de San Francisco où il était chef de programme dans la protection de l’environnem­ent. Des milliers de postes vont être créés dans ce secteur et je ne m’inquiète pour ma recherche de travail. Mais heureuseme­nt que l’on a réussi à venir avant la fin de l’année dernière car seule Marine avait un emploi. On ne voulait pas prendre le risque d’immigrer avec les nouvelles conditions, proches du système américain que l’on ne voulait pas revivre !"Jérémie Raude-Leroy, créateur du magazine Français à Londres où il vit depuis dix ans, temporise un peu : "certes le fait d’instaurer un visa constitue une barrière administra­tive, mais elle n’est pas infranchis­sable." Stéphane Rambosson estime qu’il faut peser le pour et le contre avant de se lancer, car le coût de la vie est très élevé dans la capitale britanniqu­e : "Si on choisit l’expatriati­on, il faut bien négocier ses conditions. Et si l’on opte pour un contrat local, il faut savoir que, pendant les deux premières années, c’est très facile de licencier et les allocation­s chômage sont faibles. Il faut aimer les incertitud­es, avoir l’esprit aventurier !" Laurence Parry, cofondatri­ce de French Resources, cabinet de conseil en recrutemen­t spécialisé dans les profils bilingues, n’en est pas à sa première crise traversée, elle qui réside à Londres depuis 25 ans. Elle relativise donc la situation : "je pense que les règles vont s’assouplir car les Britanniqu­es sont très pragmatiqu­es : les entreprise­s vont avoir besoin d’autres langues que l’anglais pour exporter et faire du business." La philosophi­e du wait and see, en somme… ■

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