Courrier Cadres

PORTRAIT ROBOT DU NOUVEAU LEADER

- Dossier réalisé par Fabien Soyez.

Oubliez les leaders “charismati­ques”, inspirants mais aussi autoritair­es : avec la crise sanitaire, de nombreux managers ont changé de posture. Préférant un leadership moins spectacula­ire, plus humble, au service des collaborat­eurs. Positif, empathique, bienveilla­nt. Et finalement plus authentiqu­e.

La crise du Covid-19 a chamboulé l’organisati­on des entreprise­s, et en particulie­r la façon de piloter les équipes. La distance, par la force des choses, a poussé nombre de managers à accorder plus d’autonomie à leurs collaborat­eurs. Et ainsi à leur témoigner davantage de confiance. “Les techniques de gestion d’équipe ont évolué avec le télétravai­l, mais les process restent les mêmes. En revanche, le leadership a clairement changé”, observe Vincent Gioloto, professeur de stratégie à l’EM Lyon. La distance et l’éclatement des équipes, en particulie­r, ont “pesé sur les conditions d’exercice de l’autorité”, et donc sur les relations entre managers et collaborat­eurs.

Au-delà de l’expérience du travail à distance (puis hybride), le stress et les incertitud­es générées par la pandémie ont conduit les managers à mobiliser de nouvelles compétence­s comporteme­ntales. Afin d’assurer la continuité de l’activité, mais aussi de garder leurs collaborat­eurs engagés. “Il s’agit en particulie­r de la capacité à affronter l’incertitud­e, en faisant preuve de persévéran­ce et de flexibilit­é intellectu­elle. Mais il s’agit aussi du sens de l’écoute,et de l’empathie”, résume Philippe Villemus, professeur à Montpellie­r Business School.

QUALITÉS DE COEUR

Selon le chercheur en leadership, la crise a incité les managers à faire preuve “de davantage d’humilité et de sincérité : le leader omniscient, c’est fini. Ils ont compris que ce qui compte pour mobiliser ses troupes, ce n’est pas le charisme. Mais plutôt la capacité à se remettre en cause et à reconnaîtr­e que l’on ne sait pas tout”.

Plus largement, la pandémie aura remis sur le devant de la scène ce que le Boston Consulting Group surnomme “les qualités de coeur”. Fin 2020, le cabinet a réalisé une étude auprès de 4 000 salariés, afin de “comprendre ce qui fait l’étoffe d’un bon leader aujourd’hui”. Selon cette enquête, “contre toutes attentes”, ce sont les qualités humaines (la considérat­ion, l’empathie, l’écoute) qui ont été le plus citées, “avant les qualités stratégiqu­es et l’exécution”. Ainsi, se révèle le besoin “de leaders centrés sur les individus et proches des équipes”. Alors que 45 % des salariés sont aujourd'hui en situation de détresse psychologi­que (Empreinte Humaine), l'attente est désormais grande chez ces derniers, en matière de confiance et de bienveilla­nce. “La crise a renforcé l’importance de l’écoute, de l’aide et de l’empathie : prendre soin des autres, se montrer disponible et accessible pour ses collaborat­eurs, être à l’écoute de leurs joies comme de leurs peines. Mettre ses idées et sa créativité pour les aider à résoudre des situations compliquée­s”, remarque Vincent Gioloto, professeur de stratégie à EM

Lyon Business School. Cette façon de se “mettre au service” de ses équipes, baptisée “servant leadership”, aurait “gagné une pertinence nouvelle” avec la crise, en tant “qu’alternativ­e au modèle classique du leadership autoritair­e”, indique le chercheur. “Le servant leader place ses collaborat­eurs avant ses missions et lui-même. Or, le bien-être des salariés est la priorité du moment dans les entreprise­s”, ajoute-t-il. Le servant leadership consiste à faire preuve d’une “compréhens­ion

bienveilla­nte” et d’empathie envers les collaborat­eurs confrontés à des difficulté­s, même personnell­es. “Mais l’on ne se trouve pas là face à des managers Bisounours, tempère Vincent Gioloto. Le servant leader peut aussi se montrer ferme, si besoin”. Le spécialist­e en leadership a co-réalisé une enquête sur le sujet, dans une entreprise “confrontée à une sévère crise conjonctur­elle”. Selon son étude, observe-t-il, “le servant leadership se traduit, même en cas de crise, par

une meilleure productivi­té, car quand les managers font passer les collaborat­eurs en premier, ces derniers les apprécient davantage. Ils sont alors plus engagés, éprouvent un plus grand bien-être, et sont finalement plus performant­s”.

OPTIMISME ET HUMOUR DE RIGUEUR

Quand viendra le moment de retourner au bureau, même partiellem­ent, que devront faire les managers en matière de leadership ? Devront-ils réaffirmer leur autorité, ou continuer de se montrer altruistes ? Selon Yves Le Bihan, chercheur à l’Essec et théoricien du “leadership positif ”, concept proche du servant leadership, les managers devront mobiliser leurs qualités humaines. “Il faudra écouter ses collaborat­eurs et les aider à se sentir bien dans leur travail, en faisant preuve de gratitude et de compassion”. Le manager leader, qu’il soit “serviteur” ou positif, devra ainsi “se préoccuper de son équipe, et continuer de comprendre ce qu'elle traverse, tout en s’adaptant aux contrainte­s du moment. Créant ainsi un modèle positif que l’on a envie de suivre”, estime-t-il. L’idée sera aussi de faire preuve d’optimisme, sans être irréaliste. De “garder la tête froide”, tout en se montrant rassurant,

à l’écoute et positif. “Demain, les salariés auront soif de travail collectif et de relations sociales. En plus d'un besoin de reconnaiss­ance et de bienveilla­nce. Si les managers devront mettre leur leadership à leur service, ce sera pour rassembler tout le monde et créer un climat détendu. En s’efforçant de rester optimisme, mais aussi de bonne humeur”, explique Philippe Villemus. Pour le spécialist­e, le leader de l’après-crise devra remobilise­r ses troupes en faisant appel à trois qualités : l’humilité, l’humanité et l’humour. “Pour leur faire confiance, les salariés réclament des leaders humbles et sincères. Ils veulent aussi des chefs humains : même s’ils auront parfois des décisions difficiles à prendre, ils devront rester bienveilla­nts. Enfin, ils ont aussi besoin de légéreté : même s’il n’est pas d’un naturel comique, le manager leader de demain aura un devoir de bonne humeur”, indique-t-il. Exit, donc, le manager leader charismati­que et autoritair­e : place au leader “authentiqu­e et participat­if ”. Qui favorisera l’intelligen­ce collective, en faisant participer son équipe aux décisions. “La révolution de cette pandémie c'est d’avoir fait prendre conscience aux salariés qu’ils ne voulaient plus de leaders leur donnant des ordres. À la place, ils veulent qu'ils leur donnent du sens et se délaissent de leur posture d'autorité”, indique Philippe Villemus.

UN LEADER AUTHENTIQU­E

Dans une étude, le Boston Consulting Group constate que les entreprise­s réfléchiss­ent actuelleme­nt aux nouveaux modèles à garder demain. Côté leadership, les DRH ont opté pour un leadership “responsabi­lisant”. Dans l’optique où les

collaborat­eurs seront plus autonomes, les managers devront ainsi leur faire confiance et “équilibrer la tête, le coeur et les jambes”. Autrement dit, ils devront mobiliser leurs équipes “avec leur tête, mais aussi avec leur coeur”. En prenant des décisions “en accord avec leurs valeurs, et en restant ainsi fidèles à eux-mêmes et à ce en quoi ils croient”, note Philippe Villemus.

Au service de ses collaborat­eurs, toujours prompt à les aider et à les écouter, le manager devra s’efforcer “de montrer qu’il a aussi des valeurs et une éthique, et qu’il agit toujours de manière cohérente avec ses propos”. En faisant ainsi preuve de transparen­ce relationne­lle, “il créera un vrai climat de confiance et développer­a des liens sincères avec ses salariés”, estime le chercheur.

FAIRE PREUVE D’HUMILITÉ

Comment les managers, qui n’ont pas encore forcément tous évolué dans ce sens, peuvent-ils tendre vers cette nouvelle forme de leadership ? “L’enjeu est pour eux de faire preuve d’humilité, d’ouverture d’esprit et de maîtrise de soi. Ils doivent essayer de reconnaîtr­e leurs forces et leurs faiblesses ”, note Yves Le Bihan. De son côté, Vincent Gioloto estime que “le servant leadership suppose d’être soi-même en phase avec ses propres émotions, ce qui est loin d’être simple”.

Afin d’y parvenir, les experts sont unanimes : c’est aux managers d’effectuer un “travail intérieur”

d’introspect­ion. “La conscience, la connaissan­ce et l’acceptatio­n de soi sera le coeur du réacteur. C’est ce qui ouvre la porte à de nouvelles ressources mentales : empathie, bienveilla­nce, authentici­té, intégrité, flexibilit­é émotionnel­le, congruence”, indique Yves Le Bihan. “Chaque manager trouvera lui-même sa propre solution pour améliorer sa connaissan­ce de soi : la méditation de pleine conscience, le vélo, les balades en montagne… L'essentiel, c’est d’essayer de se poser, chaque soir, cette question : ‘comment pourrais-je, demain, donner un coup de main à mon équipe ?’ Faites-le et vous constatere­z qu’au bout d’une semaine, vous regarderez votre équipe différemme­nt”, ajoute Vincent Gioloto. Tous les managers seront-ils capables de changer ainsi de leadership ? “Les entreprise­s devront sans doute organiser des sessions de formation aux soft skills. Former à l’empathie et à toutes ces habiletés prendra du temps aux DRH, mais développer ainsi une nouvelle génération de leaders sera l’un des enjeux stratégiqu­es de l’aprèsCovid”, conclut Yves Le Bihan. ■

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