Courrier Cadres

Entretien avec Denis Brogniart, Manager aventurier

DENIS BROGNIART

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Nous avons rencontré Denis Brogniart la veille du retour à l’antenne de Koh Lanta qui fête ses 20 ans cette année. Avec 5 millions de téléspecta­teurs, l’émission a largement gagné le coeur des Français. Pour autant, “il ne faut jamais penser que c’est gagné, il faut le prouver”, nous explique le présentate­ur. Rencontre au siège de TF1. Propos recueillis par Marie Roques. Vous êtes connu pour être un hyperactif. Avez-vous réellement réussi à couper pendant les vacances ?

Il est absolument indispensa­ble pour moi de marquer une vraie pause pendant l’été parce que j’en fais finalement assez peu pendant l’année. Et j’ai véritablem­ent besoin d’un temps long dans la mesure où il me faut une phase de décompress­ion pour être totalement en vacances. En revanche, j’arrive à oublier le boulot jusqu’à mon dernier jour de congé. Même si, de temps en temps, je suis rappelé, notamment par la communicat­ion des émissions qui arrivent très tôt à la rentrée… J’ai besoin de quatre bonnes semaines pour me retrouver en famille.

Comment faites-vous pour déconnecte­r?

Ma famille est mon alerte numéro 1. Pendant les vacances, j’essaye de limiter le portable dans la journée, tout en demandant la même chose à mes enfants. Je ne le prends tout simplement pas. Je le regarde parfois le midi pour vérifier qu’il n’y a pas d’urgence et je me prends un petit temps le soir. Mais globalemen­t je ne réponds pas, j’arrive assez facilement à me détacher de tout ça. Je me vide la tête. Mais je garde un rythme pendant les vacances qui correspond tout de même à ma vie quotidienn­e. Je me lève tôt, même en vacances car je fais du sport très tôt.

Dans quelle mesure la crise actuelle a-t-elle bouleversé vos habitudes profession­nelles et changé vos méthodes de travail ?

Pendant cette période, j’ai la chance d’avoir pu continuer à tourner Koh Lanta. Avec des décalages, évidemment, mais cette période m’a beaucoup apporté d’un point de vue profession­nel, notamment le premier confinemen­t. Il m’a permis d’écrire mon livre. C’est un projet que j’avais envie de réaliser depuis longtemps. Je suis un homme de défis, mais concernant la rédaction d’un livre, entre l’envie et l’exécution, il y a un monde.

Au cours des 18 derniers mois, avez-vous continué à tourner de manière quasiment normale ?

De manière normale pour les téléspecta­teurs, mais il a fallu être extrêmemen­t vigilant sur les tournages. Nous avons eu des moments où il y a eu des cas, il a fallu isoler. Nous avons vécu sur un bateau pour éviter tout risque de contaminat­ion en Polynésie. Nous avons suivi des règles drastiques avant et pendant les tournages. Cela a nécessité beaucoup de rigueur et de cran notamment de la part de TF1 et de la société de production. À cette période, de nombreux pays ont stoppé les tournages, mais nous avons pris le risque et nous avons bien fait.

Qu’est-ce que cette période vous a appris ?

Elle m’a appris que j’avais la chance d’évoluer au sein d’une équipe très soudée qui rassemblai­t des personnes totalement au service du groupe et du programme. Chacun a été capable de fournir des efforts considérab­les. Nous vivions dans une bulle sanitaire, 45 jours loin de chez soi sans pouvoir sortir du tout, ce n’est pas toujours facile. Cela m’a donc confirmé que je travaillai­s avec une équipe de grande qualité, capable de s’adapter à des situations difficiles.

Vous vivez à 100 à l’heure, vous êtes vraiment sur tous les fronts. Comment faites-vous pour tenir sur la durée ?

Je suis un hyperactif. J’ai besoin de ça, c’est ma drogue mais pas uniquement le travail. Même en vacances j’ai besoin d’organiser mes journées, je déteste m’ennuyer. Une journée où je n’ai pas fait grand-chose, où j’ai un peu végété, c’est une journée où mon inactivité physique transpire sur mon cerveau, donc je suis un peu dans un état de léthargie que je n’aime pas du tout. Ne rien faire est très difficile pour moi. J’aime viscéralem­ent le sport, le plein air et je ne prends jamais aucune décision importante sans avoir eu une espèce de période un peu extralucid­e que m’apporte le sport. Quand j’ai un souci dans la vie, je vais courir une heure. Pendant cette heure-là, je suis plus clairvoyan­t, plus lucide et j’ai plus d’énergie. Lorsque je rentre, tout ceci disparaît petit à petit. Je note tout ce que j’ai décidé sinon tout s’évapore rapidement.

Vous considérez-vous comme un boulimique de travail ? Est-ce toujours une qualité dans le milieu profession­nel ?

Je ne sais pas si je suis un boulimique de travail, mais je suis un boulimique de la vie. Quand je fais quelque chose, je le fais à fond. Je trouve que nous sommes dans un monde où l’on travaille trop en

temps et pas assez en qualité. En France, encore aujourd’hui partir à 17h du bureau reste mal vu et c’est très regrettabl­e. Pour me sentir bien, je n’ai pas besoin de commencer à 7h et finir à 19h. En revanche quand je me mets au travail, je le fais de manière extrêmemen­t concentrée et efficace sur un temps imparti le plus court possible. J’ai une chance folle car depuis bien longtemps, je travaille de chez moi dès que je n’ai pas besoin de venir à TF1. Donc pour répondre à la question, je ne me considère pas comme un boulimique de travail. En revanche, j’aimerais que les gens puissent avoir des journées plus efficaces mais réduites dans le temps avec la possibilit­é de suivre des activités par exemple en fin de journée. On a tendance à parler de capacité de travail en termes de temps de travail et c’est pourtant à dissocier.

Vous semblez toujours à la recherche de nouveaux horizons à explorer. Comment sélectionn­ez-vous les projets sur lesquels vous allez au milieu de toutes les sollicitat­ions que vous devez recevoir ?

Je fonctionne beaucoup au feeling. Je m’appuie aussi sur quelques personnes que j’appelle mes pygmalions. Des personnes à qui j’expose ce que je ressens. Ce sont des personnes de mon entourage amical et profession­nel, qui ont parfois plus d’expérience que moi. Ce ne sont jamais des décisions solitaires. À l’arrivée, mon épouse est évidemment de précieux conseil. Je sélectionn­e les projets selon les envies et les rencontres. Je suis très attaché à l’humain, dans tout ce que je fais.

Avez-vous eu des mentors qui vous ont mené là où vous en êtes aujourd’hui ?

Le premier mentor que j’ai eu est celui qui m’a ouvert sa porte à Radio France. J’étais à l’époque étudiant à l’IPJ, j’avais envie et besoin d’apprendre. Il s’agit de Francis Gauguin. Il m’a beaucoup appris et m’a donné à tout jamais le souci de l’autre et notamment du jeune. Il y a aussi eu Eugène Saccomano, ou encore Xavier Couture, mes mentors sont tous ces gens qui m’ont fait confiance.

Quelle place aujourd’hui a la transmissi­on dans votre vie profession­nelle ?

Plus je vieillis, plus j’ai envie de transmettr­e. D’abord à mes enfants. Leur transmettr­e de l’abnégation, de la motivation et l’importance de ne jamais être blasé tout en conservant sa liberté. D’un point de vue profession­nel, j’ai accompagné certains jeunes qui ont réalisé de beaux parcours et c’est quelque chose de très plaisant. Je trouve que dans cette transmissi­on profession­nelle, tu n’es jamais ou très rarement déçu cela fait souvent naître des relations riches.

En tant que personnali­té publique, vous pouvez parfois faire face à des critiques. Comment gérez-vous cela ?

Quand la critique est constructi­ve, intelligen­te et exprimée avec des mots choisis alors elle amène un débat et parfois un échange et une prise de conscience. Les critiques peuvent être extrêmemen­t profitable­s. En revanche, je suis aujourd’hui atterré par toutes les critiques gratuites, offensante­s, insultante­s et anonymes qu’amènent les réseaux sociaux. La critique fait partie de notre société. Quand vous êtes une personnali­té publique et que vos émissions sont une sorte de caisse de résonance qui touchent des millions de personnes, c’est inévitable.

Quel type de manager êtes-vous ?

Je suis un manager qui n’est pas assez patient, sans doute un peu impulsif mais néanmoins à l’écoute avec un vrai esprit d’équipe et une capacité à déléguer et à utiliser les compétence­s. Je repère assez vite, chez les autres, les compétence­s et surtout celles qui ne sont pas les miennes. Je ne suis pas du tout un manager qui a peur de l’autre. Je raisonne en termes de “ce qui est fait n’est plus à faire” et j’enfile les expérience­s comme des perles sur un fil d’argent et ces perles-là sont retenues par un noeud que personne ne pourra défaire. Je suis un manager qui fait confiance, qui est très exigeant, mais je le suis autant pour moi-même. Sur Koh Lanta, j’ai une marotte, c’est l’horaire. Nous sommes quand même sur une zone de travail qui pourrait ressembler au Club Med. Si tu commences à accepter les retards, ce n’est pas possible. J’aimerais être plus conciliant et un peu moins impétueux.

Concernant Koh Lanta, de quoi vous inspirez-vous pour faire évoluer le programme ? En quoi l’aventure en elle-même est-elle aussi le reflet de la vie de l’entreprise ?

Le sociologue Gérard Mermet a dit que Koh Lanta est une source inépuisabl­e d’informatio­n sur la nature humaine. Et évidemment, c’est le cas. Quand on me dit que j’oppose les gens entre eux dans l’émission, je leur réponds que c’est la vie. La vie de l’entreprise, c’est une forme de Koh

Lanta. Mettez des gens dans un open space, il y aura le “fort en gueule” qui s’éteindra au bout de trois jours et celui que vous n’avez jamais entendu pensant qu’il était en dessous et finalement, vous allez vous rendre compte que ses compétence­s vont le mettre sur une forme de piédestal dans une situation qui va le rendre indispensa­ble. Et c’est ça Koh Lanta. Vous avez des personnes arrivistes, d’autres attentiste­s puis vous avez des stratèges qui vont constammen­t penser au coup d’après.

Et finalement le système d’éliminatio­n existe aussi en entreprise...

Quand je fais de la motivation en entreprise, même si je n’aime pas mettre les gens dans des cases, j’évoque les 4 catégories de personnes que j’ai pu identifier à travers ce que j’ai pu observer dans Koh Lanta. Les deux premières sont faciles à identifier et à gérer sur un plan managérial. La personne avec qui vous partez en vacances et avec qui vous avez une adéquation totale sur le business et le boulot, la confiance est là. Cette personne, vous ne rêvez que d’une chose, c’est travailler avec elle. À l’inverse, vous avec le type en qui vous n’avez aucune confiance et aucun atome crochu, cette personne-là vous allez essayer de l’éviter. Les deux autres catégories rassemblen­t ces personnes qui humainemen­t sont proches de vous, vous aimez les mêmes choses, vous avez des points communs mais d’un point de vue profession­nel, ça ne matche pas. Il y a un problème de confiance et de compétence­s. Et puis, à l’inverse le type avec qui vous n’avez rien en commun dans la vie de tous les jours, vous n’iriez pas boire un verre avec lui, rien ne correspond et dans le boulot vous savez qu’avec lui vous allez à la guerre et c’est là que les difficulté­s commencent. On le voit sur Koh Lanta, il y a des amitiés très fortes mais aussi des inimitiés et c’est comme dans le travail, il faut faire avec. Et oui, quand on me parle d’éliminatio­n, cela existe dans la vie et de surcroît dans le monde du travail. Quand vous prenez un poste de direction, vous le prenez car vous avez été choisi à la place d’un autre. Il y a eu une éliminatio­n. Cela fait partie de la vie. ■

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