Courrier Cadres

L’entreprise familiale, un modèle de résilience en temps de crise

- Par Rania Labaki, Professeur de management et Directrice de l’EDHEC Family Business Research Centre à l’EDHEC.

Les constats de la supériorit­é des performanc­es des entreprise­s familiales par rapport aux entreprise­s non familiales pendant la pandémie de Covid-19 ne surprennen­t pas. Ils viennent réitérer les conclusion­s d’études passées sur les comporteme­nts des entreprise­s familiales pendant différente­s crises. Autant de signes d’une résilience développée au fil des génération­s.

Mes dernières recherches montrent, en effet, un modèle de résilience distinctif des entreprise­s familiales. Animé par un processus d’adaptation face à l’adversité, intergénér­ationnel et inclusif de l’ensemble des parties prenantes, ce modèle porte sur une résilience multidimen­sionnelle: entreprene­uriale, émotionnel­le, sociale, et financière. Les entreprise­s familiales font preuve d’agilité face aux crises, en innovant leur modèle économique au service de leurs clients et de leurs communauté­s. La preuve dernièreme­nt avec certaines entreprise­s qui ont su rapidement transforme­r cette période difficile en opportunit­é grâce à un noyau décisionne­l plus resserré.

En France, les entreprise­s Clarins, Sisley, ou encore Yves Rocher, spécialisé­es dans la parfumerie et les produits de beauté, ont mobilisé leur réseau de production pour fournir le corps médical en gel hydroalcoo­lique. L’entreprise de grande distributi­on de sport et de loisirs Decathlon a fait don de masques de plongée utiles aux respirateu­rs dans les hôpitaux. Michelin a rouvert ses usines pour les dédier à la confection de masques et de visières de protection. En Inde, le Groupe EKKI a accéléré le développem­ent de ses solutions soutenable­s et respectueu­ses de l’environnem­ent.

La famille apprend à manager ses émotions

Les entreprise­s familiales sont également connues pour leurs caractéris­tiques émotionnel­les. Au fil des crises, les familles apprennent à manager leurs émotions pour mieux rebondir. La perpétuati­on de la mémoire familiale et organisati­onnelle permet de ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est ainsi que, transmise de génération en génération, cette mémoire devient une référence que les familles utilisent, réinterprè­tent ou adaptent pour trouver des réponses à leurs problèmes en temps de crise. Les familles recherchen­t à maintenir leur homéostasi­e qui, selon le psychiatre Don Jackson, reflète leur capacité à migrer d’un état déstabilis­ateur déclenché par une crise vers un état d’équilibre nécessaire pour leur continuité. C’est le cas du Grupo Jacto, une entreprise familiale brésilienn­e,

qui, par référence aux rituels de réunions familiales et à la charte familiale, s’est retrouvée soudée face à la crise actuelle en prenant des décisions au nom du "nous" plutôt que du "je".

Faire front tous ensemble

Les "loyautés multigénér­ationnelle­s" traduisent le principe même de la résilience sociale. En adaptant le concept des "loyautés invisibles" en psychanaly­se familiale aux entreprise­s familiales, les familles tendent à élargir ces loyautés au-delà du cercle familial pour englober celui des parties prenantes. Cela explique en partie comment, par exemple, la Banque Hottinguer, une entreprise familiale de septième génération, a traversé de nombreuses et diverses crises. Au fil des décennies, les parties prenantes tissent des relations de confiance avec le noyau familial et s’y greffent jusqu’à perdurer à travers les génération­s. Collaborat­eurs, partenaire­s, clients, alliés, autant de parties qui forment les acteurs influents de cette sphère. De ces affinités naît un soutien infaillibl­e à l’entreprise en termes d’écoute et d’aide, lors des périodes difficiles. Les entreprise­s familiales sont ainsi préservées dans un environnem­ent conciliant, avec des parties prenantes indulgente­s, ce qui facilite l’adaptation face à l’adversité. Cette résilience sociale donne également lieu à un niveau d’engagement stable voire renforcé des collaborat­eurs.

Comme l’illustrent mes entretiens auprès d’entreprise­s familiales comme Gruppo Pereira en Espagne, AHB Group à Dubai, ou encore Cheung Ah Seung Entreprise­s à l’île de la Réunion, le maintien de la sécurité de l’emploi et des employés apparaît comme leur priorité au cours de la pandémie de Covid-19. Pour reprendre les termes employés par le Groupe Fernand Hosri au Liban, "les collaborat­eurs représente­nt notre seconde famille".

Une diversité de solutions financière­s

La hiérarchie des préférence­s de financemen­t des entreprise­s familiales commence par l’autofinanc­ement, est suivie par la dette, puis l’ouverture du capital en bourse. Le management des ressources financière­s en temps de crise s’inscrit dans une dynamique d’investisse­ment de long terme avec des collaborat­eurs, des créanciers voire des actionnair­es conciliant­s et confiants.

Comme le rappelle le PDG du Groupe Simone Pérèle en France, les actionnair­es familiaux, très engagés dans le projet et sa pérennité, ont renouvelé leur engagement et leur confiance en apportant un soutien financier exceptionn­el durant cette période. Le groupe belge de chimie Solvay s’est adressé à ses actionnair­es en la période de crise actuelle avec une question : "pouvons-nous réduire le dividende ?". Sans appel, la réponse a été oui, avec à la clé la création d’un fond de solidarité contre la Covid-19. Ce jeu à somme nulle dénote un esprit de sacrifice, particuliè­rement présent dans les groupes familiaux.

Sur tous les fronts

En impliquant la génération suivante dans le processus de résilience multidimen­sionnel, pour faire front à la crise de Covid-19, parmi d’autres crises, les entreprise­s familiales sont en mesure de perpétuer le modèle entreprene­urial de long terme. ■

Une autre version de cet article est également disponible sur le site theConvers­ation.com

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Rania Labaki

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