“LA PEUR DU CHANGEMENT EST UNE PEUR D’ANTICIPATION”
La peur du changement ne vient pas de nulle part. Pourtant, il s’agit la plupart du temps d’une peur d’anticipation face à une situation inconnue. L’accompagnement des équipes, mais aussi du management intermédiaire est donc nécessaire en amont de tout changement. Le point avec Vanessa Lauraire, psychologue du travail. À quel niveau intervenez-vous dans l’accompagnement du changement en entreprise ?
En tant que psychologue du travail, je travaille avec les entreprises autour des dynamiques organisationnelles et notamment pour accompagner un changement effectif. J’interviens auprès des équipes qui craignent le changement par exemple autour de la gestion des risques psycho-sociaux. J’ai également une activité libérale au service de situations de santé et de sens au travail.
Dans ce contexte, d’où vient la peur du changement ?
Tout d’abord, il est important de parler de qualité du travail et non de qualité de vie au travail. C’est d’ailleurs la perte de cette qualité du travail que l’on peut craindre à la veille d’un changement. On le voit bien, ce n’est pas parce que l’entreprise proposera un baby-foot à ses équipes que tout ira bien. En tant que psychologue, lorsqu’il y a une difficulté, j’essaye de voir comment mettre en place une coopération et une dynamique de reconnaissance qui s’instaure entre les équipes horizontales et verticales. Je travaille également sur les questions de management responsable. Avec la loi Pacte, la raison d’être des entreprises est devenue centrale et, dans ce contexte, le management a été redéfini comme une technologie dont la fonction principale était d’organiser le travail. Pourtant il s’agit aussi de gérer les énergies entre les gens, d’être à l’écoute au travers des soft skills. Un collectif, ce sont avant tout des qualités humaines, un collectif d’individus et de travail.
Les managers sont donc en première ligne lorsqu’il y a un changement à mettre en place ?
J’ai toujours l’habitude de dire que c’est un ensemble qui amène à une situation difficile. Quand un collaborateur va mal au travail, c’est aussi une personne qui rencontre un contexte. De la même manière dans un contexte de changement. Ce n’est pas la peur du changement, mais la peur de la peur du changement qui peut effrayer. Car, au final, le changement, on ne le connaît pas. C’est de la peur d’anticipation. Notre cerveau est en mode survie. Il a besoin de s’assurer qu’il est en sécurité.
Comment faire alors pour préparer au mieux les équipes ?
“IL EST IMPORTANT DE PARLER DE QUALITÉ DU TRAVAIL ET NON DE QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL”
Il faut savoir que le changement est vécu comme une source anxiogène car les personnes peuvent vivre cette situation comme quelque chose de stressant. Cela arrive souvent quand l’organisation du travail ne leur permet pas d’avoir les ressources nécessaires pour faire face à cette nouvelle situation. Il faut donc avant tout chan
gement, bien s’assurer que toutes les ressources humaines, matérielles, temporelles sont mises en place notamment au niveau de la formation pour l’accompagner au mieux. Si je vous mets à un nouveau poste pour lequel vous n’êtes pas préparé, pas formé et propulsé devant des tâches que vous ne savez pas effectuer, on peut comprendre que c’est anxiogène. Il faut également savoir que le stress, ce n’est que de la projection. Concrètement, à la veille d’un changement en entreprise, personne n’est réellement en danger, pour autant, les risques psycho-sociaux existent.
D’où viennent ces risques psycho-sociaux justement ?
Je trouve étonnant et très paradoxal que depuis 50 ans, on travaille beaucoup moins, mais on est de plus en plus épuisés au travail. C’est bien que quelque chose ne va pas dans l’organisation. Nous sommes globalement dans un système on l’on en demande toujours plus.
Si l’on revient à la question du changement, ce n’est ni un bien ni un mal, il faut juste bien voir de quel changement il s’agit. En France, lorsque l’on parle de réorganisation, c’est assez connoté. Cela veut dire que l’on va faire des coupées franches et donc demander plus de travail avec les mêmes ressources.
Que peuvent faire les managers pour atténuer ces craintes ?
L’essentiel est d’être clair sur les missions, les tâches, le périmètre de travail, les territoires de management et les ressources en face. La technicienne de surface dans une entreprise a son périmètre de management. Elle doit pouvoir accéder aux poubelles à telle heure pour bien faire son travail. Cela doit être pareil pour toutes les équipes. Chacun doit connaître son territoire et les ressources associées, il ne faut pas être dans le flou organisationnel qui empêche le collectif de travail de se constituer. Il faut donc en premier lieu bien déterminer de quel changement il s’agit, comment il est cadré dans le temps, dans quel bureau, les contours des tâches de chacun avec éventuellement les nouvelles fiches de poste. C’est à ce niveau que se situe tout l’accompagnement.
Il est aussi nécessaire d’accompagner les managers à la veille d’un changement…
Dans ce contexte, le management intermédiaire est une population à haut risque psycho-sociaux. L’enjeu pour eux, dans la mesure du possible est de se préserver au maximum, d’avoir un maximum d’informations sur les tenants et les aboutissants du changement en question afin de pouvoir communiquer auprès des équipes, garder cette dimension collective et le pouvoir d’agir de chacun. Pour que chacun puisse justement s’approprier le changement, il est intéressant d’ouvrir des espaces de discussion, des séances de travail en co-construction pour favoriser la co-création et la dimension d’intelligence collective. Les personnes parties prenantes doivent être associées en amont. Il ne s’agit pas seulement d’une dynamique top and down. Il faut que les personnes se sentent réellement actrices du changement et non dans des pensées d’anticipation qui peuvent être néfastes.
“IL FAUT SAVOIR QUE LE STRESS, CE N’EST QUE DE LA PROJECTION”