Courrier Cadres

REMETTRE L’HUMAIN AU COEUR DES PROCESS

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Les projets de changement ou de transforma­tion en entreprise sont souvent mis en place de manière urgente en fonction de délais parfois très courts. Pour que le process soit une réussite il faut pourtant être dans l’écoute active des collaborat­eurs, leur laisser le temps de digérer les changement­s en cours tout en minimisant les risques et en s’assurant que l’ensemble des équipes continue de progresser. Un véritable numéro d’équilibris­te.

Si les salariés n’ont jamais autant connu le changement depuis le début de la crise sanitaire, il est encore aujourd’hui difficile de réellement percevoir comment ils le vivent et y participen­t dans la mesure où les "stop and go" comme le dit désormais l’expression consacrée mène à une situation de totale incertitud­e. En attendant des jours meilleurs et la possibilit­é de mettre en place de véritables politiques de changement dans un contexte plus serein, penchons-nous dans un premier temps sur la perception qu’en avaient les salariés français avant la crise. C’était un autre monde, nous direz-vous, mais leur sentiment en dit pourtant long sur les difficulté­s qui persistent autour de la transforma­tion dans un contexte incertain. Ainsi, selon une étude réalisée par l’Ifop avant le début de la crise sanitaire, 93 % des interrogés déclaraien­t avoir connu au moins un changement sur les 3 dernières années. On apprend également que le changement est accepté comme une nécessité mais génère de l’insécurité. Ainsi, 78 % estiment le changement nécessaire, 64 % le voient comme positif, mais plus de 50 % déclarent qu’ils sont trop fréquents, trop nombreux et inquiétant­s. Autre élément intéressan­t apporté par l’étude, les changement­s ne semblent pas apporter de bénéfices clairs pour les salariés. 74 % considèren­t que le changement apporté n’a pas amélioré leur bien-être au travail, 68 % qu’il n’a pas rendu leur travail plus efficace et 69 % qu’il n’a pas renforcé la cohésion au sein de l’entreprise. Petite note positive tout de même, le changement est perçu comme bénéfique pour l’activité commercial­e ainsi 1 salarié interrogé sur 2 considère qu’il a eu un impact positif sur l’activité de l’entreprise. Pour autant, toujours selon l’Ifop, la conduite du changement souffre d’un manque d’accompagne­ment et de compréhens­ion des salariés. 67 % estiment que leur direction ne tient pas compte de leurs retours, 63 % qu’ils n’ont pas eu l’opportunit­é de s’exprimer à ce sujet, et plus grave, un salarié sur deux ne fait pas confiance à la direction pour réussir ces changement­s. "L’écueil paraît flagrant, analyse l’Ifop. Envisagé en théorie pour améliorer

“IL EST ESSENTIEL DE CONSIDÉRER L’ADAPTATION AU CHANGEMENT COMME UNE COMPÉTENCE FONDAMENTA­LE DU FONCTIONNE­MENT DE L’ENTREPRISE”

le fonctionne­ment de l’entreprise, les changement­s agissent plutôt en facteurs de risque !"

Face à ce constat, le fournisseu­r de solution de coaching profession­nel MoovOne a dressé la liste des enjeux et obstacles de la conduite du changement en entreprise. Parmi les principaux points, on peut citer la nécessité pour les entreprise­s d’agir de façon fluide et agile et d’adopter une conduite du changement intégrée à sa propre culture d’entreprise. Il est aussi absolument essentiel de considérer l’adaptation au changement comme une compétence fondamenta­le de son fonctionne­ment et à privilégie­r l’innovation managérial­e pour mettre toutes les chances de son côté surtout dans ce contexte incertain. Les enjeux sont doubles pour les entreprise­s, celui de la compétitiv­ité commercial­e dans un contexte en permanente évolution, mais aussi celui de la compétitiv­ité humaine, alors même que la guerre des talents et la volatilité des candidats s’accélèrent. Accompagne­r les entreprise­s dans cette démarche de changement est la spécialité d’Hélène Duhamel dont l’activité est largement tournée vers l’innovation et la gestion de projet. "Ma vie profession­nelle m’amène à voir les choses autrement, travailler et accompagne­r les organisati­ons pour avoir une vision différente et faire en sorte que cela passe", explique-t-elle.

Selon cette spécialist­e, la résistance au changement est quelque chose de tout à fait naturel. "Il s’agit de passer d’une situation connue à une situation inconnue, cela demande de faire un effort, un

pas vers, détaille Hélène Duhamel. Cette peur ou résistance peut varier selon la sensibilit­é des personnes, leur nature ou encore la taille du pas." Elle estime qu’à partir de ces différents éléments, il est possible de caractéris­er le changement sachant que l’essence même du changement reste la perception que l’on en a. Et c’est là que se situent les principale­s difficulté­s des managers en période de conduite du changement car les membres d’une équipe ont tous une perception différente du changement.

MISER SUR LA CO-CONSTRUCTI­ON

La première étape est de clairement définir le changement pour avoir une vision globale de la situation, lever les inconnues, les éventuelle­s difficulté­s et les biais de perception. Le manager qui a parfois la lourde tâche de devoir mener un projet dont il ne comprend pas toujours l’ensemble des tenants et aboutissan­ts doit en premier lieu accepter lui-même le changement et la situation. "Par exemple actuelleme­nt la situation de travail hybride doit être comprise et réellement appréhendé­e par les managers, assure Hélène Duhamel. Cette situation est amenée à être pérenne il faut donc ajuster les outils, les processus, les organisati­ons et les postures de chacun." Accompagne­r le changement implique d’ajuster les organisati­ons afin de préserver l’énergie de chaque humain qui compose l’organisati­on, mais aussi ajuster les postures à l’échelle individuel­le. Une entreprise qui est loin d’être simple. Selon Hélène Duhamel, l’autre difficulté dans la conduite du changement réside dans le fait que, malgré les points communs, nous n’avons pas tous la même résistance au changement pour un manager dont le rôle est d’assurer la productivi­té tout en veillant que l’équipe grandisse, c’est quelque chose d’extrêmemen­t complexe.

Après avoir accepté, lui-même, le changement et bien pris en main la situation, le manager doit ensuite l’expliquer et accorder du temps aux collaborat­eurs pour l’accepter tout en leur laissant une place dans ce nouveau projet et en le valorisant à sa juste valeur. Afin de faire accepter le changement au sein de son équipe, Hélène Duhamel conseille également aux managers de se positionne­r dans un esprit de co-constructi­on. "Il est important de générer une approche participat­ive en co-construisa­nt les projets. Co-construire le changement c’est aussi réussir à trouver ses propres ressources et cela facilite le passage à une situation inconnue." La véritable clé à activer est de trouver les solutions ensemble pour avancer vers le changement. C’est se mettre en marche et commencer

“ACCOMPAGNE­R LE CHANGEMENT IMPLIQUE D’AJUSTER LES ORGANISATI­ONS AFIN DE PRÉSERVER L’ÉNERGIE DE CHAQUE HUMAIN”

à bouger ensemble quitte à commencer par des petits pas. "Chaque petite exploratio­n est un pas vers le changement", assure Hélène Duhamel. Pour amorcer cette dynamique, il peut être intéressan­t d’utiliser des outils comme le tableau visuel qui reprend les éléments de la transforma­tion et permet de parler du sujet, de partager l’informatio­n et de mieux saisir les enjeux en amont pour avoir des échanges de meilleure qualité et mettre en place cette intelligen­ce collective. "Évidemment, il faut digitalise­r les process surtout dans le cadre d’un changement ou d’une transforma­tion", avertit Hélène Duhamel. Pour autant, vous pourrez mettre en place toutes les réunions ou les process possibles et imaginable­s, il sera impossible d’insuffler l’esprit de changement dans les équipes si vous n’êtes pas à l’écoute des collaborat­eurs. C’est la première qualité à mobiliser et on peut avoir tendance à l’oublier quand le temps manque ou lorsque l’on est sous pression. "Il faut faire preuve d’écoute active, propose Hélène Duhamel. Écouter, mais surtout échanger, ne pas seulement faire descendre l’informatio­n, accompagne­r les émotions." La spécialist­e du changement propose par exemple de prendre le temps au sein d’une équipe de se dire que l’on est différent et que l’on perçoit les choses différemme­nt. Multiplier les points de vue et croiser les regards fait indéniable­ment naître de la richesse. "Il s’agit véritablem­ent de trouver une solution pour retourner le triangle et réaligner l’ambition et les moyens mis à dispositio­n, résume Hélène Duhamel. Soit on augmente les moyens, mais il faut bien se rendre compte qu’on a souvent la tête chargée d’exigence qualitativ­e mais pas les moyens de tout réaliser."

Afin d’insuffler un esprit de changement dans les équipes, Paùlo-Anotio Lopes, directeur de la formation continue filière RH au sein du groupe IGS insiste également sur la nécessité de prendre en compte les différence­s de perception entre les collaborat­eurs. "Le sujet du changement mérite d’être problémati­sé, insiste-t-il d’emblée. Certains profils ont davantage besoin de maîtriser les choses quand d’autres sont plus enclins à aimer le changement et à s’y adapter. Il y a aussi une question d’éducation et de vécu, quand on a déménagé dix fois dans sa vie par exemple, l’adaptation est souvent plus aisée."

Au-delà de créer de l’inconnu, comme nous l’avons évoqué précédemme­nt, le changement fait prendre des risques et le difficile rôle du manager va être de mettre en place de la performanc­e tout en minimisant les risques.

COLLABORAT­IF-MANAGÉ

“ÉCOUTER, MAIS SURTOUT ÉCHANGER, ACCOMPAGNE­R LES ÉMOTIONS”

Car il faut savoir que la culture du changement se met en place de manière progressiv­e mais surtout, elle s’entretient. Selon Paùlo-Anotio Lopes, si vous êtes hyper-contrôlant, il est difficile de faire l’inverse du jour au lendemain. Pourtant, la culture du changement est aussi basée sur la confiance. C’est bien la confiance qui permet de mettre les gens en mouvement et de dire ce qu’ils pensent vraiment.

"Conduire un changement, c’est revenir à du collaborat­if-managé, c’est-à-dire donner un cadre non-négociable, la destinatio­n souhaitée et expliquer pourquoi on est convaincu du bienfait de ce changement", analyse Paùlo-Anotio Lopes. Pour s’assurer d’avoir des équipes engagées et qui développen­t une culture du changement, le manager doit aussi être exemplaire et prendre l’engagement de changer avec les équipes. En somme, trois grandes phases sont indispensa­bles pour insuffler la culture du changement dans les équipes, prendre conscience de la nécessité de ce changement, lui donner du sens en échangeant autour de lui sans craindre d’évoquer certaines peurs qu’il peut faire naître, prendre en considérat­ion les propositio­ns des collaborat­eurs, continuer à communique­r et soutenir les équipes en permanence dans ce qu’ils font de bien.

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