Les gens sont fatigués
Je ne sais si vous le constatez : nombre de personnes sont fatiguées. Certaines le disent. D’autres en portent les signes. Leur entourage les alerte avec bienveillance. Notre bloc-notes n’est pas une chronique médicale ou sociologique. Contentons-nous de quelques approches : de même que l’itinéraire de chaque être est spécifique.
II y a plusieurs fatigues. Rien de comparable entre celle qui est saine et celle qui est écrasante. Une fatigue résultante de la joie d’être et d’agir sera suivie de la bienfaisante réparation du repos. En revanche, une autre lassitude peut requérir le discernement. Est-ce l’environnement de la personne ? Estce la pénibilité du travail ? Les facteurs peuvent être inhérents aux conditions extérieures à l’individu et éroder la personnalité de l’intérieur. À l’évidence, le climat anxiogène de l’actualité, fait pression sur l’absence de lâcher-prise. Il n’est pas anodin que les fatigues psychiques soient davantage recensées. Les personnels soignants ne manquent pas de dire l’explosion de consultations devant lesquelles le système de santé reste très en deçà de la réponse. Il faudrait analyser avec finesse les conditions de vie.
Là où des éléments de confort se sont répandus, d’autres aspects stressants se sont emparés du psychisme. À quoi sert, par exemple, d’être au lit, si l’écran numérisé poursuit nuitamment sa sournoise intrusion ? À quoi sert un cadre paradisiaque, si la solitude oppressive n’y est traitée ?
La France en 2024 connaît un paradoxe : les ponts sont à l’agenda, mais le repos estil effectif ? En clair, notre société procure-t-elle le repos, ou engendre-t-elle plutôt la fuite de soi ? Il faudrait aussi parler de ce que Soeur Catherine Aubin appelle « la morne langueur ». Ici l’on dépasse le phénomène de fatigue physiologique ; même si, bien sûr, nous sommes un tout. La morne langueur devient fatigue de soi, perte de goût social, désaffection d’un lien à Dieu.
Les Pères et Mères du désert avaient discerné, dès les premiers siècles, ce qu’ils appelaient l’acédie. Le terme semble technique. Il ne faut pas l’employer pour faire docte. Gardons-nous d’enfermer quelqu’un dans un diagnostic hâtif. Dans l’acédie, se conjuguent le relâchement de l’âme, la compensation du vide existentiel par le multiple, ou au contraire une étrange procrastination agressive. Il est significatif que le jeune dominicain Adrien Candiard consacre même… une pièce de théâtre sur ce sujet.
Comprenons-nous bien. Si la fatigue est un état multiforme, on ne doit pas la prendre seulement par un bout. Il serait tout autant irresponsable de se contenter d’une posologie énergétique que d’user de pieuses paroles pour estomper la morne langueur. On ne change pas « comme ça » l’obsédante actualité, ou un trait de sa personnalité. Une réactivité est-elle possible ? Si notre âme se désole au sens biblique, elle a aussi soif du Dieu vivant (Psaume 41). Outre le fait que les humains ne sont pas égaux devant les conditions de fatigabilité, la langueur de l’âme mérite grandement qu’on s’y attarde.
Dans l’actualité brûlante par exemple, des élus veulent vite, très vite, « boucler la fin de vie » par un vote. Comme si ce sujet n’appelait une infinie humilité ! Les soignants du psychisme tirent la sonnette de ce qui adviendra en soi, et en autrui. L’être humain est, à la fois, une merveille et une complexité. La langueur ambiante repérable doit nous interpeller. Une frénésie étrange nous anime. Par de multiples aspects scientifiques, nous voici devenus démiurges de nous-mêmes.
Plus un propos de table ne se vit aujourd’hui sans partager sur l’intelligence artificielle. Le double écueil serait soit de mépriser ce réel dans l’obscurantisme. Soit d’être grisé par lui. Aucune de ces deux attitudes ne reposera le corps, le psychisme et l’âme.
Si la fatigue est multiforme, la morne langueur de l’âme doit nous interpeller