Cuisine et Vins de France - Hors-Série
DES ÎLES sous le vin
Deux îlots de la côte varoise mettent l’exotisme de leur insularité au service du vin de Provence.
Les îles françaises, qu’elles soient du bout du monde, de l’Atlantique ou de la Méditerranée, possèdent un climat où la vigne s’installe plus ou moins facilement. C’est dans le cirque de Cilaos que les Réunionnais produisent 50 000 bouteilles sur un sol volcanique à partir de pinot, malbec et chenin. Sur l’atoll de Rangiroa, un homme d’affaires français vendange deux fois par an, en raison du cycle végétatif, pour produire le vin de Tahiti. En regardant du côté de l’Atlantique, les îles d’Oléron et de Ré ont une production non négligeable, et chaque vigneron adhère à la cave coopérative de son ile. La Méditerranée, berceau de la vigne, a plus de chance avec la culture viticole de ses îles. Et pour cause, le climat y est beaucoup plus plaisant. La Corse abrite certains des vignobles les plus intéressants du sud de la France. Sur l’île Saint-Honorat, juste en face de Cannes, le vin rime même avec religion. Outre les plaisanciers qui viennent la journée profiter des criques, ses habitants exclusifs sont les moines de l’abbaye de Lérins. Ils cultivent un vignoble de 8 hectares et produisent un vin trouvant grâce sur le continent et à l’export.
LA PASSION À PORQUEROLLES
En naviguant plus à l’est, on ne peut éviter l’île de Porquerolles et ses trois domaines intimement liés par leur insularité. En 1912, François-Joseph Fournier, ayant fait fortune dans les mines d’argent au Mexique, achète l’île aux enchères pour l’offrir en cadeau de mariage à sa jeune épouse de 23 ans. Traumatisé par un incendie qui la ravagea en 1897, il plante 170 hectares de vignes au coeur de Porquerolles pour servir de coupe-feu. En 1935, vingt-deux ans après sa mort, l’île est partagée en quatre plaines cultivées. En 1942, occupée par les Allemands, Porquerolles est vidée de ses habitants, le vignoble est abandonné. C’est Lélia Le Ber, née Fournier et mère de Sébastien, actuel propriétaire du domaine de L’Île – le plus à l’est –, qui replante la vigne. Pour protéger cette terre insulaire, elle va se battre contre Trigano, le magnat du tourisme de masse, désireux d’y implanter quatre villages de 2 000 lits. Aidée par son amie Claude Pompidou, Lélia contribue ainsi à la création du Conservatoire du littoral en 1971. Porquerolles est sauve ! Le domaine aussi, la famille Le Ber reste propriétaire de 20 hectares. Le reste est racheté par le Conservatoire du littoral, un parc national y est créé. Ce dernier loue désormais les terres. Aujourd’hui, Sébastien Le Ber vit sur le domaine et produit l’un des vins parmi les plus exotiques de Provence. Les 35 hectares sont en bio, la vendange est manuelle, les cuves sont en béton, les vinifications se font sans malo ni bois, tout est d’un classicisme « barbant » et, pourtant, le vin qui en sort est d’une formidable originalité : le rosé possède une robe soutenue et des parfums authentiques ; le blanc sent le fenouil et les fleurs. PASSION CONTAGIEUSE Plus de soixante-dix ans après sa découverte par Fournier, un aristocrate russe, Alexis Perzinsky, traverse la mer depuis Bandol pour planter avec son frère Cyrille un domaine au centre de l’îlot, encouragé par le parc national qui leur consent un bail
emphytéotique. Les vignes cernées par les essences provençales, cades, myrthes et cystes, puisent leur énergie dans le sous-sol où l’eau rare vient des pluies qui ruissellent vers les plaines le long du relief en fer à cheval. Comme les deux autres familles de vignerons, Édouard Carmigniac, un homme d’affaires parisien passionné d’art et de polo, a de grandes ambitions. Il croit au potentiel du domaine La Courtade qu’il a racheté en 2014 et dont le blanc figurait, il y a encore dix ans, parmi les meilleurs de Provence, avant d’être négligé. Une fois la demeure entièrement retapée pour servir d’écrin à une fondation d’art contemporain, l’aventure peut commencer grâce à son brillant directeur, Florent Audibert. Le vignoble en bio se retape doucement, entre les arrachages, les jachères et les replantations. Le millésime 2016, première récolte du renouveau, permet d’entrevoir le potentiel du terroir (schistes et quartz sur les coteaux, sablonneux dans la plaine), sous deux étiquettes : Les Terrasses et La Courtade habillée d’un visuel reprenant une oeuvre de l’artiste majorquin Miquel Barceló.
PANACHE D’ANTAN RETROUVÉ
Un autre passionné de vin et de chevaux – et de corrida –, a investi la côte varoise bien avant Carmigniac. En 1958, Paul Ricard achète un petit paradis de verdure dédié à la nature et à l’écologie, et doté d’un vignoble, l’île des Embiez. Ricard est un bâtisseur, il ouvre son minuscule bout de paradis aux touristes, construit un port de plaisance, deux hôtels et un musée océanographique. Le vignoble n’est pas une priorité pour le grand patron : durant des années, le vin n’est vendu que sur l’île. C’est n’est qu’en 2016 que le vignoble de 11 hectares et les petites parcelles disséminées dans la pinède retrouvent leur panache pour produire les trois couleurs : en IGP (rosé, blanc, rouge) et AOP (rosé). Au-dessus d’une crique à l’eau claire, les cigales jacassent dans les pins bordant une terre de calcaire actif où les vignes d’une vingtaine d’années se nourrissent du joyeux babillage d’enfants venus découvrir la flore. Le vent délicat soulève les pampres printaniers. Le sel laisse des traces sur les feuilles, il est comme le vin, l’un des ingrédients du terroir, le grain indispensable au rosé des Embiez.