Cuisine et Vins de France - Hors-Série

Déjeuner au château Haut-Brion

- TEXTE KARINE VALENTIN

Jean-Philippe Delmas le directeur du Château Haut-Brion nous reçoit dans la salle à manger intime attenante à la cuisine du château. C’est Sophie Menut-Yovanovitc­h, la rédactrice en chef de Cuisine et Vins de France qui, ce jour-là, est au piano…

Dans le verre gravé aux deux initiales HB, l’éclat doré d’un 2014 s’épanche sans en faire trop, éclatant dans sa parure de sauvignon sémillon, expressif mais timide et dans le bruissemen­t de la conversati­on commence à livrer quelques bribes de cette réserve déguisée derrière une profonde et savoureuse élégance ponctuée d’une nale qui fuse en apostrophe au-dessus du calice. Nous ne boudons pas notre plaisir en apprenant, que seules 6 000 bouteilles de Haut-Brion blanc sont produites sur 2,5 hectares nichés au coeur du vignoble. Sophie Menut pose délicateme­nt une petite feuille de basilic frais sur la salade d’avocat qui accompagne la sole de l’entrée, touche nale comme un trait d’union entre l’assiette et le verre. Le déjeuner dans les communs de la cuisine du château Haut-Brion commence alors, commémoran­t l’union du château et de la table des siècles plus tard. Car si le terroir est réputé depuis des lustres, c’est dans une auberge de Londres et sous la plume d’un très british journalist­e que l’expansion du domaine se fera. En effet, en 1666, François-Auguste de Pontac, ls d’Arnaud III de Pontac, premier président au parlement de Bordeaux et propriétai­re du domaine, ouvre la taverne L’Enseigne de Pontac où le « New French Claret » bu à l’envi n’est autre que le vin du domaine Ho-Bryan, ainsi affublé d’un nouveau patronyme sous la plume enivrée de Samuel Pepys, in uent chroniqueu­r de la Tamise. Si le rouge du château voyage si bien, si loin de sa banlieue bordelaise, c’est qu’Arnaud de Pontac est un viti- culteur attentif qui met au point la technique de l’ouillage et du soutirage autorisant ainsi à ses vins à vieillir et courir le monde.

Une lignée princière attentive au cru

L’histoire du cru sera enrichie par une succession de familles soucieuses de préserver ce terroir formé d’un tapis de graves grasses et maigres étalées sur une topographi­e de collines douces assurant en sous-sol un drainage parfait. Parmi ses illustres dépositair­es, le ministre des Affaires étrangères de Napoléon Ier, le duc au pied-bot, ce « diable boîteux », le raf né Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent, séjourna peu en son château, mais t de son vin une arme diplomatiq­ue redoutable entre les mains de Carême, son célèbre et cher cuisinier qui célébra de son talent la grandeur du cru. Sophie, notre chef d’un jour, lui brûle la politesse et pour souligner le pro l soyeux au velouté unique des tanins d’un Haut-Brion 2008 nous propose de tendres côtelettes d’agneau sur un coulis de poivron. Attenante à la cuisine, la petite pièce bordée de vaisselier­s où Jean-Philippe Delmas nous reçoit est celle de ses repas en compagnie du prince Robert de Luxembourg, président de Clarence Dillon SAS, propriétai­re du Premier Cru Classé depuis 1935. Clarence Dillon, nancier new-yorkais rêvait d’un château à Bordeaux. Alors qu’il devait visiter le château Cheval Blanc, un brouillard ouaté, l’empêche

de sillonner la rive droite. Il se rend alors sur un cru plus proche… L’histoire d’Haut-Brion croise l’Amérique. Joan, sa lle restée en France, épousera Son Altesse Royale le prince Charles de Luxembourg, prince de Bourbon, descendant direct d’Henri IV. Remariée après le décès du Prince et devenue duchesse de Mouchy, elle assurera la présidence de Clarence Dillon SAS avant de passer le ambeau à son ls Son Altesse Royale Robert de Luxembourg. En inscrivant de la sorte le cru dans la succession des génération­s, l’entreprise Clarence Dillon assure la pérennité d’une institutio­n, jusqu’à imaginer à Paris une nouvelle taverne, plus chic que celle de Londres, mais tout aussi courue, Le Clarence, établissem­ent étoilé du 8 e arrondisse­ment ouvert en 2015.

La pérennité dans l’excellence

La constance toujours, jusque dans la lignée de directeurs qui se succèdent au château : notre hôte Jean-Philippe a reçu les clefs des mains de son père Jean-Bernard, qui les tenait lui-même de son propre père Georges Delmas. L’excellence dans la continuité, Haut-Brion ne peut faillir ; seul graves parmi les cinq Premiers Crus du Médoc Classés en 1855, adoubé à nouveau en 1973 lors de l’unique modi cation du classement qui t accéder Mouton Rothschild au rang de Premier. Et ce n’est pas la retenue feinte de ce 2008 au chatoiemen­t rubis qui fera mentir le classement, superbe de velouté sur une acidité personni ée et transparen­te, qui laisse parler un fruit resplendis­sant et facilite la relation avec la recette de notre amphitryon du jour. Tout en parfaite maîtrise, ce 2008 met un formidable coup de projecteur sur les innovation­s qui ont jalonné l’histoire du Premier Cru de la banlieue bordelaise. Déjà cette proximité avec la cité qui facilite la notoriété. Haut-Brion fut un modèle tout au long de son histoire, les premières cuves en inox voient le jour ici en 1961 et le vignoble s’enrichit au l des ans d’individus particulie­rs pour diversi er le végétal. Toutes ces minirévolu­tions seront à la gloire du grand vin qu’il nous faut abandonner dans son verre, car sur le dessert de Sophie – des fraises à la chantilly zestée de citron vert –, c’est le second, celui qui sert son maître, le Clarence 2012, qui s’offre au sucre. À y revenir en douce, le 2008 a du panache même sur le dessert. Le verre bu, il tire sa révérence sur une dernière pirouette et c’est lui qui reste longtemps en bouche… Lui et son souvenir.

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 ??  ?? 2. Un millésime Haut-Brion prêt à la dégustatio­n.
2. Un millésime Haut-Brion prêt à la dégustatio­n.
 ??  ?? 1. Alignées comme à la messe, les rangs de vignes du Grand Cru 1985.
1. Alignées comme à la messe, les rangs de vignes du Grand Cru 1985.
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3. Dans le parc du château, un conservato­ire des cépages.
 ??  ?? Le Château Haut-Brion est situé dans l’aire d’appellatio­n du pessac-léognan.
Le Château Haut-Brion est situé dans l’aire d’appellatio­n du pessac-léognan.
 ??  ?? Ci-contre, le trio gourmand Jean-Philippe Delmas, Karine Valentin et Sophie Menut-Yovanovoit­ch..
Ci-contre, le trio gourmand Jean-Philippe Delmas, Karine Valentin et Sophie Menut-Yovanovoit­ch..
 ??  ?? Ci-contre, Sophie Menut-Yovanovoit­ch aux fourneaux.
Ci-contre, Sophie Menut-Yovanovoit­ch aux fourneaux.
 ??  ?? Pessac Léognan, Le Clarence de Haut-Brion 2007. Pessac Léognan, Château Haut-Brion 2014.
Pessac Léognan, Le Clarence de Haut-Brion 2007. Pessac Léognan, Château Haut-Brion 2014.

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