Cuisine et Vins de France - Hors-Série

Du trio au quintette infernal, trois vignerons dans le Priorat espagnol

Trois vignerons de la vallée du Rhône et pas des moindres : Laurent Combier, Peter Fischer et Jean-Michel Gérin

- TEXTE ET PHOTOS PAR JEAN LUC BARDE

ont quitté une vallée vernie pour couvrir de vignes un coin perdu, quelque part dans le Priorat espagnol, en Catalogne.

« Fox–Hotel-Lima-Mike-Charly buenos dias ! » : ce message adressé à la tour de contrôle de Reus, c’est Laurent Combier, vigneron en crozes-hermitage, qui l’envoie par radio avant de se poser sur la piste de l’aérodrome catalan. À bord, deux autres vignerons, Peter Fischer du château Revelette sur la face nord de la Sainte-Victoire en Provence et Jean-Michel Gérin en côte-rôtie à Ampuis. Deux heures avant, nous quittions la vallée du Rhône par Valence, presque l’Espagne... L’aile sous le vent, le Piper Matrix vire aux ruines de Crussol, aperçoit l’altier Mont-Blanc au nord, le Ventoux en dessous, le palais des Papes, le grand delta, les crinières blanches des troupeaux de Camargue, les amants roses de l’étang de Vaccarès et, tout à coup, la Méditerran­ée et son immense froissemen­t de vagues jusqu’aux èches de la Sagrada Familia de Gaudi, à Barcelone. À 14 000 pieds dans le ciel, le casque à réducteur de bruit sur les oreilles, Laurent au manche surveille les écrans de contrôle aux côtés d’Hervé Muller, l’ami copilote fort de ses heures de vol. Tout en glissant sur le coton des altostratu­s, ils déroulent leur histoire : « C’était en 1997, commence Laurent, nous voulions faire quelque chose ensemble, dans un ailleurs pas trop loin, pour éprouver la joie d’un autre monde. Nous avons cherché cinq ans, poursuit Jean-Michel. Nous sommes allés en Toscane, dans le Piémont, etc. Nous voulions un grand terroir du monde, un endroit où s’asseoir et écouter le silence, parce que dans le Rhône, il y a toujours du bruit, les TGV, l’autoroute… À Torroja, nous avons rencontré Maria grâce à René Barbier du Clos Mogador – pionnier du renouveau du Priorat. » « Maria, c’est la mémoire du village. Elle nous a désigné la montagne, en face, une puissante beauté à conquérir, se souvient Peter en souriant, on a dit, on le fait là ! »

Un château en Espagne

Ils sont revenus plusieurs fois avec leurs femmes pour qu’elles regardent droit dans les yeux le château en Espagne, jusqu’alors seulement visible dans le regard de leurs maris. Elles ont dit oui, il fallait ça. Laurent précise : « Nous étions sur la lancée de nos domaines en France, une dynamique certes, mais il fallait oser entreprend­re ici. Il a fallu être bon des deux côtés. » En 2002, le trio achète 13 hectares de garrigues inextricab­les, un maquis vertical qui s’élève de 250 à 500 mètres dans l’azur, avec tout de même, 6 000 mètres carrés de vieilles vignes, des carignans de 1903. Ils ont commencé à planter en 2003 quelques pieds de cabernet, mais surtout du grenache, de la syrah et du carignan. « Celui-là, c’est le pendant de la syrah du nord », af rme Gérin. À force de les voir faire dans le respect de la montagne, dessiner des chemins en lacets, s’agréger à une culture ancienne – celle du Priorat –, refuser les terrasses, courber l’échine dans la pente, inventer une « côte-rôtie catalane »... les gens du village les baptisèren­t le « trio infernal ». Comme un hommage, les trois

vignerons ont gravé l’expression de l’accueil autochtone sur la montagne, en lettres de buis, reprise sur les étiquettes : L’infer

nal, Combier, Fischer, Gérin, c’est le nom du domaine. Cette parcelle de vertige dessine étrangemen­t la France. Un serpent de chemin mène au coussin de laine parme d’un verger d’amandiers en eurs, puis à un « casot » (cabane vigneronne pour reposer ses reins), les vieux carignans de 1903, la lente montée dans les schistes chocolats et le passage en revue d’une armée d’échalas, qui montent Aguilera (le nid d’aigle) et s’élèvent en bataille rangée jusqu’à la face nord, où se tiennent les ultimes syrahs. De là, s’offre à la vue le monde entier, à commencer par les deux villages Torroja et Gratallops ( en français gratte loup), puis le Montsant, où se cache le monastère d’Escaladei, où les moines du XIIe siècle ont créé le vignoble de Priorat. En redescenda­nt cette audace vertigineu­se, dans un repli, une cave jaune, au-dessus des cuves argentées, de petits bacs pour les parcellair­es de haute couture, un petit pressoir vertical ; en dessous, au frais, des cuves de 400 litres ventrues et Pep Aguilar qui circule avec sa pipette, pleine de jus vermeil et d’un doré. Six cuvées venues des 7 hectares plantés. Riou blanc 2017, macabeu et grenache blanc, pureté des parfums de haie d’un matin de printemps. Riou rouge 2017, tout le coteau assemblé, du raisin frémissant à croquer. Et puis la Collection : El Casot 2017, 100 % grenache, le sourire clair du terroir de schiste brun ; Face Nord 2017, 100 % syrah sur du gneiss, des grès de décomposit­ion, l’expression de la garrigue du génie du lieu ; et Fonsclar 2017, 100 % carignan – « la quintessen­ce de notre présence, précise Gérin, on est venu pour eux » –, éblouissan­t, une rareté ; en n, Aguilera 2017, les vieux carignans seuls, des lézards sucrés, nerveux et mémoriels. Pep sourit, il a tout suivi de l’aventure. C’est l’homme qui les aide à faire le vin, une âme et une science de la culture catalane, il a porté beaucoup. Aujourd’hui, c’est plus léger, car il y a deux jeunes à ses côtés, dans la cave et aux vignes. Ces deux-là, c’est la surprise de L’infernal. Léo Cuisinier et Lucas Chazallet ont appris le métier chez Combier, école exigeante. Sous la protection du trio, ils se sont installés ici et partagent une maison du village. Les trois anciens l’ont voulu et eux aussi. Ils viennent prolonger un songe à trois : « Nos enfants accaparés par nos domaines en France n’auraient pas repris. Nous ne voulions pas vendre, alors on a “adopté“deux enfants de plus. Les enfants spirituels de notre histoire, on pourrait appeler ça une transmissi­on élargie. On les accompagne, un jour on lâchera », glisse Laurent. Léo et Lucas ajoutent : « Ce sont nos papas du vin, leur expérience est un diamant, nous somme ers de leur con ance, nous voulons la reconnaiss­ance de notre pays, laCatalogn­e. »

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1 Face Nord; point de vue sur Montsant. 2 Lucas Chazallet, Marc Combier, Leo Cuisinier et Jean-Michel Gérin. 3 Le vignoble. du Trio infernal.
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L’Infernal, DOC Priorat, El Casot 2012. Toute la fraîcheur du schiste brun pour ce 100 % grenache. L’Infernal, DOC Priorat, Fons clar, 2012. Un cépage carignan issu de vieilles vignes, tout en nesse et profondeur.L’Infernal, DOC Priorat, Face nord 2012 Une vini cation traditionn­elle en petit bacs pour ce monocépage carignan élevé sur un sol de schiste pourpre. 3
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