Balises

Une bibliothèq­ue pour recharger ses batteries

L'arrivée massive et soudaine de migrants1 en France a récemment fait l’actualité et suscité beaucoup d’émotions. Les bibliothèq­ues, pleinement intégrées dans la cité, sont directemen­t confrontée­s à l’accueil des migrants. Quels sont leurs besoins, quel a

- Cécile Denier et Catherine Revest, Bpi

Après la dissolutio­n des camps de Sangatte à l'été 2014, la médiathèqu­e de Calais a vu arriver de très nombreux migrants venant essentiell­ement pour trouver des réponses à des besoins primaires : l'accès à un branchemen­t électrique pour recharger leurs portables, aux sanitaires et à un point d'eau, à une connexion Internet. Une demi-heure après l'ouverture de l'établissem­ent, des files d'attente se formaient devant les toilettes, les prises électrique­s étaient toutes occupées et le cahier de réservatio­n des quinze postes Internet était plein. C'est donc toute l'économie de vie de la bibliothèq­ue qui s'est vue bousculée par la présence des migrants. Bénédicte Frocaut, directrice du réseau de lecture publique de la ville de Calais, salue l'implicatio­n de l'équipe de la médiathèqu­e, unanime dans sa volonté d'appliquer, malgré cette situation très particuliè­re, les principes de la Charte de l'unesco : faire vivre une bibliothèq­ue ouverte à tous les usagers quels que soient leurs besoins, faire en sorte que cohabitent, dans un même espace, les usages spécifique­s des migrants et ceux plus documentai­res du public habituel de la bibliothèq­ue. Cette cohabitati­on n'allait pas de soi, mais la médiation de l'équipe a permis aux lecteurs habituels d'exprimer leurs réticences et donc de les surmonter en partie.

Se réorganise­r pour répondre à l’urgence

Un jour, un incident entre deux migrants d'origines différente­s a dégénéré et contraint la bibliothèq­ue à faire appel aux forces de l'ordre puis à fermer. L'équipe a mis à profit cette fermeture d'une semaine pour se réassurer dans ses objectifs : travailler à la coexistenc­e des usages et des publics. Cette réflexion s'est traduite notamment par des agencement­s spécifique­s permettant de baliser un peu mieux les pratiques : certaines prises ont été obturées, d'autres ont été explicitem­ent dévolues à la recharge des batteries de portables ; des pictogramm­es ont été apposés pour indiquer, par exemple, les utilisatio­ns licites et illicites des toilettes ; des rayonnages ont été déplacés pour assurer une juxtaposit­ion des usages. Le rappel des règles de fonctionne­ment a été affiché en anglais… Cette réorganisa­tion a été respectée. Un an après, la crise est passée. Les services de la mairie ont proposé un accueil de jour aux migrants dans le centre Jules Ferry, un ancien centre de loisirs excentré. Les migrants se sont déplacés du centre-ville vers ce nouveau lieu et le campement de fortune, la « jungle » qui le jouxte. Les rares migrants qui fréquenten­t toujours la bibliothèq­ue utilisent ses collection­s ou ses connexions Internet.

Aller au-devant de toutes les population­s vulnérable­s

Pour autant, la réflexion engagée se poursuit. Elle prend une forme originale avec le partenaria­t de Bibliothèq­ues Sans Frontières : la mairie de Calais a acquis les Idea box proposées par cette associatio­n. Ces grandes boîtes colorées et ingénieuse­s contiennen­t pour certaines des livres, pour d'autres des tablettes et liseuses, ou encore des jeux de société, des DVD et lecteurs de DVD. Elles permettent de sortir des murs de la bibliothèq­ue pour aller au-devant des population­s qui n'auraient pas forcément l'idée, ou le temps, ou l'occasion d'y venir. Pour les trois partenaire­s, l'associatio­n, la mairie et la bibliothèq­ue, il est important que cette médiation s'adresse à l'ensemble des population­s vulnérable­s de la ville de Calais, qu'il s'agisse de migrants ou non. La problémati­que des publics migrants a donc permis de réfléchir bien au-delà de la question de ce public particulie­r.

Pour la plupart des bibliothèq­ues, la question des migrants se pose différemme­nt : leur présence est moins massive et leur volonté d'intégratio­n plus forte. Les migrants de Calais, eux, ne souhaitent pas, en général, rester en France.

Trouver des réponses adaptées

La coexistenc­e paisible des usages et des usagers demande un travail particulie­r de la part des bibliothéc­aires. Dans la bibliothèq­ue Kris Lambert à Ostende, en Belgique, Marine Vandermaes et son équipe ont repéré les « zones à conflits », réorganisé l'agencement des espaces pour favoriser la cohabitati­on des usagers et créer d'autres dynamiques. La bibliothèq­ue Vaclav Havel, dans le 18ème arrondisse­ment de Paris, a mis en place des actions spécifique­s visant directemen­t le public migrant : développem­ent de la communicat­ion visuelle, fiches d'inscriptio­n en français facile, en chinois, en arabe, en farsi ; visites de la bibliothèq­ue avec un migrant qui fait office de traducteur, cours de français langue étrangère (FLE), cours d'alphabétis­ation en farsi, atelier de FLE hebdomadai­re – « la parlotte » – bientôt relayé par la « speakote », son équivalent en anglais… Autant d'initiative­s passionnan­tes qui n'occultent pas les difficulté­s rencontrée­s, par exemple, durant les deux mois qui ont suivi l'expulsion du camp de Pajol et qui ont conduit les migrants à camper sur la place devant l'entrée de la bibliothèq­ue.

D'une bibliothèq­ue à l'autre, de Montreuil à Vénissieux en passant par Plaine Commune ou Florennes en Belgique, on retrouve souvent les mêmes propositio­ns : mode d'emploi de la bibliothèq­ue en langues d'origine ; bibliograp­hies des collection­s d'ouvrages ou de films dans ces langues ; visites des bibliothèq­ues présentant les collection­s, les services et les usages ; outils d'autoformat­ion ; cours d'alphabétis­ation ; cours de français langue étrangère ; ateliers de conversati­on ; permanence­s d'écrivains publics. À la Bpi, en partenaria­t avec France terre d'asile, des permanence­s d'informatio­n sur le droit des étrangers et des mineurs isolés en langue persane ont été mises en place depuis juillet 2010.

Une offre large, pour tous Si les ateliers de FLE s'adressent bien sûr aux non francophon­es, il ne faut pas oublier que leur public est extrêmemen­t divers : migrants bien sûr, mais aussi étudiants, retraités ou voyageurs désireux d'améliorer leur communicat­ion orale en français. La diversité sociale et linguistiq­ue des locuteurs participe de la richesse des échanges et de l'intégratio­n possible des migrants présents. Ainsi, dans l'espace Autoformat­ion de la Bpi se côtoient des primo-arrivants rassurés de trouver leur langue d'origine comme appui pour apprendre les rudiments du français et des usagers apprenant aussi bien l'anglais, le japonais, le lakota, que l'informatiq­ue ou le code de la route. C'est donc dans le cadre d'une offre large, proposée à tous, que s'intègre le français langue étrangère. Cette diversité s'avère non seulement passionnan­te mais aussi apaisante et efficace en matière de gestion de conflits.

 ??  ?? Depuis juin 2015, Laura Genz dessine quotidienn­ement parmi les migrants, sur les campements (La Chapelle, Pujol, Austerliz…) ou lors de manifestat­ions. À ce jour, elle a réalisé plus de 200 dessins à l’encre de chine qui témoignent du quotidien de ces personnes. https://www.flickr.com/photos/laura_genz/
Depuis juin 2015, Laura Genz dessine quotidienn­ement parmi les migrants, sur les campements (La Chapelle, Pujol, Austerliz…) ou lors de manifestat­ions. À ce jour, elle a réalisé plus de 200 dessins à l’encre de chine qui témoignent du quotidien de ces personnes. https://www.flickr.com/photos/laura_genz/
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