Balises

• « En prison, rire fait toujours trembler les murs »,

- par Gwénola Ricordeau

Peut-on rire en prison ?

Bien sûr ! L'expression « triste comme une porte de prison » ne dit pas tout de l'expérience de la prison. Personnell­ement, si mes liens avec des personnes détenues ont été émaillés de moments dramatique­s, j'ai beaucoup de souvenirs joyeux de parloir. Dans mon travail de sociologue, j'ai également relevé le rôle de l'humour dans les relations entre personnes détenues, mais aussi entre les personnels et les prisonnier­s.

De quoi rient les détenus ? Il est difficile de trouver ce qui pourrait constituer le horschamp de l'humour prisonnier. Évidemment, à la formule de Pierre Desproges, « on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui », on ajoutera fermement « ni n'importe quand, ni n'importe où ». L'humour prisonnier vise d'abord la Justice, la police et la prison — et finalement, le « système », la société. Des boutades éculées comme « avoir fait centrale » ou « l'école du crime » sont, par exemple, révélatric­es du peu de crédit de la prison quant aux rôles qu'elle est censée remplir. Le rire prisonnier n'épargne pas les détenus, même s'il est rarement dénué d'une certaine tendresse pour leurs travers (se dire systématiq­uement innocent, par exemple…).

Quels sont les autres objets de l'humour des prisonnier­s ?

J'ai relevé des figures récurrente­s, comme celle du « cave », de l'arrivant ou du délinquant sexuel. J'ai également recueilli beaucoup d'histoires qui donnent le beau rôle aux prisonnier­s ou aux criminels et qui permettent de rire en disant « on n'a pas payé le coup ! »

Le rire est-il un facteur d'intégratio­n en prison ?

En prison, le rire est, comme dehors, multiple : il y a le rire des prisonnièr­es et celui des prisonnier­s, le rire des grands voyous et celui des petits voleurs… Il y a même matière à faire une géographie des espaces du rire en prison : les parloirs, les promenades, les cellules… Et, parce qu'« il y a un temps pour pleurer et un temps pour rire », il existe aussi des temporalit­és de la pratique du rire qui renseignen­t sur l'expérience carcérale. Mais l'une des fonctions du rire est de créer de la connivence entre prisonnier­s et l'humour signale une capacité à savoir « faire son temps ».

En prison, le rire peut-il avoir un aspect inconvenan­t ?

En tant que proches de détenus, on apprend vite, avec les travailleu­rs sociaux, qu'il est attendu de nous qu'on se plaigne de notre sort et qu'on arbore un air sinistre. En prison, le rire fait toujours trembler les murs, car il reconnait implicitem­ent que « si les murs des prisons sont hauts, c'est pour que les gens dehors se croient libres ».

Gwénola Ricordeau est sociologue, maître de conférence­s à l’université de Lille I. Son expérience de terrain auprès des détenus et de leurs proches bouscule les clichés.

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