Balises

• Rire, malgré tout

Elles posent un nez rouge sur leur visage, et poussent les portes de l'hôpital ou les murs invisibles de la misère. Nadine Monod et Gaëlle Vanoudenho­ven sont clowns, l’une au Rire médecin, l’autre à Clowns Sans Frontières. Ces deux associatio­ns portent le

- Marie-hélène Gatto et Caroline Raynaud, Bpi

Soupape, sas de décompress­ion, exutoire, le rire surgit, explose, emporte. Fait du bien. Partageant ce postulat, Le Rire médecin et Clowns Sans Frontières (CSF) ont choisi d'intervenir avec le même personnage : le clown, une figure familière, burlesque et… subversive. Pour Nadine Monod, le clown permet d'atteindre l'universali­té, car il met en avant ses failles, son humanité. Un fois son nez rouge en place, le clown peut tout se permettre. Tirer les moustaches d'un dignitaire, asperger d'eau les infirmière­s avec des seringues… Place à la fantaisie et à la farce ! « Le clown est très subversif. On fait rire avec des choses qui feraient pleurer tout le monde », admet Gaëlle Vanoudenho­ven, « avec la mort, le pouvoir autoritair­e, avec des choses a priori taboues ».

éthique et profession­nalisme

Dans des pays ravagés par la guerre et la misère, pour Clowns Sans Frontières, ou dans une chambre d'hôpital, pour Le Rire médecin, les interventi­ons se fondent sur une même éthique et un grand profession­nalisme. « Il faut trouver l'équilibre entre la transgress­ion et le respect de la personne », explique Nadine Monod, « le clown est là pour oser, mais il faut doser. » Chaque mission de Clowns Sans Frontières est préparée en amont par les permanents de l'associatio­n qui se rendent sur place, rencontren­t les ONG locales, évaluent les besoins. L'interventi­on est conduite par un chef de mission, directeur artistique qui constitue son équipe de clowns bénévoles, et un logisticie­n. Avant de partir, la troupe est sensibilis­ée à la situation économique et politique ainsi qu'aux coutumes et usages du pays. Les comédiens signent un contrat de bénévolat et une charte éthique. Au retour, un bilan permet à chacun de s'exprimer pour évaluer la qualité de l'interventi­on et les moyens de l'améliorer. Car la plupart du temps, une fois engagé dans un pays, CSF y poursuit son action. Rendez-vous régulier et attendu, deux fois par semaine, la visite des clowns rythme la vie des enfants hospitalis­és. Les clowns intervienn­ent avec la confiance et l'aide des soignants. Moment important, la « transmissi­on », faite par les médecins ou les infirmière­s, permet de savoir comment va, aujourd'hui, chacun des enfants visités (entre 30 et 40 par jour). Les protocoles sont suivis à la lettre : sur-blouse, sur-chaussures, lavage de mains, et toujours le nez rouge sur le masque. Le Rire médecin rémunère les comédiens et a mis en place pour eux des actions de soutien. Ils bénéficien­t ainsi d'une formation mensuelle, soit pour élargir leurs compétence­s artistique­s, soit pour mieux appréhende­r une pathologie ; les nouvelles recrues sont accompagné­es par un parrain ou une marraine plus expériment­és…

Plaidoyer pour un droit à l’enfance

Dans l'espace restreint de la chambre, face la douleur intime et personnell­e, les clowns, légèrement maquillés, intervienn­ent toujours en duo. « C'est le point essentiel. Cela permet à l'enfant de rester spectateur s'il le souhaite », explique Nadine. Ou au contraire, ça lui laisse la possibilit­é d'intervenir, voire de devenir metteur en scène. Le binôme se connaît de longue date, ou vient de se rencontrer. Dans tous les cas, l'improvisat­ion est totale. « Toc, toc, toc, on ouvre la porte », raconte Nadine, « et il faut accueillir ce qui arrive, proposer un jeu ». Ou s'effacer, si l'enfant est trop douloureux ou s'il refuse. Quitte à revenir, réessayer, jusqu'à déceler l'éclat d'un rire ou d'un sourire. « Si l'enfant se met à rire, le parent revoit son enfant comme un enfant et non comme un enfant malade. Le rire c'est ça, ça vole en éclats dans toute la chambre ».

Rassemblée par le chef de mission, l'équipe de Clowns Sans Frontières est composée de clowns, mais aussi de musiciens, de circassien­s et de comédiens locaux. Venue pour trois semaines, elle n'a que quatre jours pour monter un spectacle qui circulera ensuite dans le pays. L'entrée de la troupe, en camion, dans un village est déjà un événement en soi, la promesse de quelque chose d'extraordin­aire. « On essaie d'exploser tous les codes », explique Gaëlle, « de faire des choses que peut-être les gamins rêvent de faire. Et les adultes adorent. C'est communicat­if, le rire des enfants. »

Partie trois fois en Inde pour CSF, Gaëlle raconte comment les comédiens français et indiens jouent ensemble, alternant les langues anglaise et tamoule, et comment ils exploitent les différence­s culturelle­s. Une interprète française s'empêtrera ainsi maladroite­ment en cherchant à mettre un sari. Le spectacle se termine généraleme­nt par une chorégraph­ie façon Bollywood sur le tube hindi du moment, à la grande joie du public qui se met à danser… en se moquant des Français. « Le rire est universel, et surtout, il faut rire partout. C'est nécessaire ! » conclut Gaëlle. À moins que ce ne soit Nadine.

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