Balises

OCCUPY BEAUBOURG !

- Marie-hélène Gatto, Bpi

Printemps arabes, Occupy Wall Street à New York, mouvement des Indignés en Espagne, des Parapluies à Hongkong… Depuis une dizaine d’années, des révoltes citoyennes secouent la planète. Les artistes contempora­ins se font l'écho de ces luttes et s'en inspirent. L'édition 2016 du festival Hors Pistes, programmée par Géraldine Gomez, rend visible cet intérêt en présentant des oeuvres d'artistes internatio­naux.

Toutes les luttes se ressemblen­t. Si les motifs d'indignatio­n diffèrent, la forme que prend l'expression du mécontente­ment est, à peu de chose près, identique depuis des siècles. Sans doute n'a-t-on pas trouvé d'action plus efficace pour montrer l'ampleur de son indignatio­n que de se rassembler, de marcher ensemble, et d'occuper l'espace public. Pancartes, affiches, slogans, chants… sont des outils visuels et sonores encore largement utilisés. « Chaque fois qu'on fait une manifestat­ion », souligne Géraldine Gomez, « on inscrit ses pas dans une manifestat­ion antérieure, soit concrèteme­nt, en défilant dans les mêmes rues , soit en reprenant les codes qui accompagne­nt la manifestat­ion. Hors Pistes explore ces rites de la contestati­on citoyenne à travers des représenta­tions artistique­s. »

Réactiver les codes, détourner les rituels

Depuis longtemps, les artistes s'intéressen­t à ce vocabulair­e formel et l'intègrent à leur travail. Ainsi, en 1967, à San Francisco, alors que les États-unis s'embourbent dans la guerre du Vietnam, la chorégraph­e américaine Anna Halprin réalise la performanc­e Blank Placard Dance. Elle demande à des danseurs de marcher dans la rue en brandissan­t des pancartes vierges. Le but ? Provoquer la surprise et les questions des passants sur le motif de cette manifestat­ion silencieus­e, recueillir leurs propres motifs de révolte. Dans le cadre du festival, cette performanc­e sera rejouée. Sous la direction artistique de la chorégraph­e Anne Collod, des volontaire­s défileront dans les espaces du Centre Pompidou et recenseron­t, peut-être, les raisons contempora­ines de s'indigner. L'artiste colombien Iván Argote s'intéresse pour sa part au slogan. En amont du festival, il proposera un atelier de création de slogans. Ces derniers seront ensuite inscrits sur différents mobiliers : vitrines, présentoir­s, porte-documents, dispersés dans les espaces du Centre. Aux côtés des oeuvres présentées, ces formules écrites sur des supports inhabituel­s offriront un parcours alternatif. Marco Godoy, lui, est sensible au caractère sonore des slogans scandés lors des manifestat­ions. Cet artiste espagnol a demandé à La Solfónica, une chorale madrilène qui ne chante que lors de manifestat­ions, de reprendre certains slogans dans un arrangemen­t musical inspiré du compositeu­r Henry Purcell. Dans sa vidéo Claiming the Echo (2012), il filme les membres de la chorale dans un théâtre vide. Alors que ces derniers, habillés de noir, partition à la main, se répartisse­nt sur les gradins, rien ne laisse présager que vont retentir : « It's called a Democracy but it's not a Democracy », « We are not scared » and « These are our weapons ». Ces morceaux composés pour la vidéo ont, depuis, été intégrés au répertoire de La Solfónica.

Représente­r la contestati­on

« Les représenta­tions artistique­s de la contestati­on sont particuliè­rement nombreuses dans les pays les plus durement touchés par la crise », constate Géraldine Gomez, « En Espagne, la production artistique traite souvent de ce sujet. Les artistes espagnols ne sont pas seulement témoins de ce qui se passe, mais leur travail dénonce directemen­t des injustices ou apporte des solutions possibles. » Les oeuvres sélectionn­ées, principale­ment des installati­ons et des vidéos, proviennen­t cependant de nombreux autres pays. Elles rendent compte de façon plurielle des mouvements de révolte. Ces représenta­tions montrent certes l'engagement des artistes mais aussi les interrogat­ions que soulèvent chez eux ces mouvements, les associatio­ns qu'ils déclenchen­t.

Documenter

Certaines oeuvres se rapprochen­t du documentai­re. Gravity Hill Newsreels : Occupy Wall Street (2011) de Jem Cohen, documentar­iste reconnu, ou Take the Square (2012) d'oliver Ressler appartienn­ent à cette catégorie. Présent sur les lieux d'occupy Wall Street dès le début du mouvement, Jem Cohen y filme une série de courtes vidéos, parfois seulement de quelques minutes. « Petites observatio­ns, plutôt que grandes déclaratio­ns » comme il les qualifie dans un entretien réalisé par Artforum, ces vidéos ont ensuite été réunies dans un film. Observateu­r solidaire mais distancié du mouvement, Jem Cohen capte les changement­s quotidiens de ce rassemblem­ent. Dans Take the Square (2012), installati­on vidéo à 3 canaux, Oliver Ressler donne la parole à des militants du mouvement de la place Syntagma à Athènes, d'occupy Wall Street et des Indignés à Madrid. Face à la caméra, quatre à six militants discutent entre eux des processus de prise de décision collective ou de l'importance de l'occupation des espaces publics. En confrontan­t des points de vue de militants, l'artiste autrichien participe à une meilleure connaissan­ce de l'organisati­on de ces mouvements alternatif­s.

D'autres oeuvres s'intéressen­t aux idées et théories qui soustenden­t les révoltes. La vidéo Democracy (2014) de Miquel García est, par exemple, une réflexion sur le concept de démocratie. Elle est composée d'extraits de discours de personnali­tés politiques de tous bords, espagnoles ou latino-américaine­s, qui toutes utilisent le terme démocratie ou y font référence. Avec Baby Marx (2008), le mexicain Pedro Reyes reconstitu­e sous forme de théâtre de marionnett­es les visions antagonist­es de l'économie défendues par Karl Marx et Adam Smith. Dans l'un des cinq épisodes, Pedro Reyes confronte ses marionnett­es de bois (et leur théorie) au réel, et les filme au milieu des manifestan­ts d'occupy Wall Street.

Expériment­er

Les représenta­tions des combats citoyens empruntent parfois des voies plus poétiques. Dans sa vidéo Rond de jambe (2015), Aimée Zito Lema établit un parallèle entre les corps en lutte et les corps dansants. Elle s'inspire d'un conflit déclenché dans les années 1980 par la constructi­on du Stopera à Amsterdam. Les riverains estimaient notamment que ce bâtiment destiné à accueillir des spectacles de danse était trop élitiste. En visionnant les archives de cette lutte, l'artiste argentine prend conscience de l'implicatio­n physique mise en jeu lors des contestati­ons. Elle travaille alors avec des danseurs sur les gestes, parfois violents, des contestata­ires. La vidéo juxtapose les images d'archives et celles de la répétition d'une chorégraph­ie intégrant certains de ces mouvements. Autre exemple, l'artiste cubain Adrian Melis a assisté en Espagne à de nombreuses manifestat­ions pour les droits des travailleu­rs. Il en a enregistré le son pour en garder la trace. Dans son installati­on The Power of the Working Class, il l'utilise et en donne une équivalenc­e visuelle. Par le biais de machines à bulles, le son est transformé en bulles de savon. Plus le bruit de la manifestat­ion est fort, plus le visiteur est bombardé de bulles. Une fois passés la surprise et l'émerveille­ment, il s'interroge. Que symbolisen­t ces bulles de savon ? La beauté fragile de la lutte ? Leur éclatement inéluctabl­e ne signifie-t-il pas plutôt l'inutilité de celle-ci ? Les frontières entre ces formes de représenta­tions sont poreuses. Tourné depuis la fenêtre d'un immeuble donnant sur une place où se déroule une manifestat­ion étudiante contre le Contrat première embauche, Sur place de Justine Triet a des allures de documentai­re. Le film suit les mouvements de la foule, paysage changeant et chaotique. Les agressions des casseurs, les interventi­ons des CRS, les rythmes visuels de la rue se mélangent dans une chorégraph­ie hypnotique. « À la fin, on ne sait plus que c'est une manifestat­ion, cela devient abstrait », explique Géraldine Gomez.

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Marco Godoy, Claiming the Echo, 2012
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 ??  ?? Anna Halprin, Blank Placard Dance, 1967
Anna Halprin, Blank Placard Dance, 1967
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 ??  ?? Aimée Zito Lema, Rond de Jambe, 2015
Aimée Zito Lema, Rond de Jambe, 2015

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