SHAKESPEARE, CERVANTÈS ET LE RÉEL
Shakespeare et Cervantès seraient morts tous les deux le 23 avril 1616. Cette coïncidence n’est pas réelle.
L'angleterre, réticente aux innovations du continent,
vivait encore avec le calendrier julien tandis que l’espagne
avait adopté depuis longtemps le calendrier grégorien. Mais 400 ans après la mort de ces deux auteurs, l'occasion de les célébrer ensemble est trop belle pour s'arrêter à ce détail. Jacques Jouet nous propose de revisiter ces classiques, si modernes. Cervantès et Shakespeare… Il n'y a pas de match AngleterreEspagne. Il n'y a pour cela ni ring, ni concurrence, ni compétition. La littérature n'est pas un sport olympique, n'est pas une affaire de stars. Si l'on pouvait se sortir un peu du palmarès généralisé ! Il n'y a pas, même, de rencontre au sommet de ces deux grands auteurs, fût-ce au moment de leurs morts physiques respectives pourtant quasi simultanées. C'est dans nos bibliothèques que se rencontrent leurs ouvrages, ça oui ! Deux titres, par exemple, se touchent, se croisent, se heurtent, qui leur sont respectivement attribués (l'un plus sûrement que l'autre). L'un est une tragédie, l'autre un roman.
Où il est question d'erreur
Le roman s'intitule L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Il ne vient pas de nulle part. Il naît des romans de chevalerie et met en chapitres la réponse du réel à la perception magique. Don Quichotte se caractérise par l'erreur (qui est humaine, pourrait dire Sancho avec ses dictons) : les moulins, il ne les reconnaît pas comme tels, pas plus que les marionnettes de maître Pierre dans lesquelles il voit, non de petits bonshommes de carton-pâte, mais de vrais Maures hostiles. Il les défait le plus facilement du monde, mais cela n'est
© Ricardo Mosner
pas sans conséquences, car maître Pierre lui présente l'addition de ses actes. C'est ainsi que le réel s'insurge, implacable, ce qu'il ne s'autorisait pas à faire devant l'épée de Lancelot. Le conte de fées ou de chevalerie se trouve alors accompagné par un nouvel art, le roman, qui ne veut pas le remplacer, qui ne veut pas le concurrencer, mais s'ajouter à lui. L'arrivée du roman que marque le Quichotte n'est en aucune façon située dans une dynamique de progrès. C'est une muse de plus. On peut bien accabler la sottise de Don Quichotte, mais ce n'est qu'une part de la capacité d'erreur généralisée du personnage. Il y a aussi chez lui une ténacité quasi révolutionnaire venue trop tôt (c'est le propre de l'utopie).
Une histoire de vengeance
La Tragique histoire d’hamlet, prince du Danemark est une histoire de vengeance. Le lieu commun de l'histoire de vengeance est simple : tu as tué mon père, je te tue. C'est l'histoire d'électre et d'oreste. Au même moment que le Quichotte, Hamlet traite une version contestatrice du lieu commun de la vengeance, comme si les choses se compliquaient. Il n'est pas certain que la vengeance soit tout simplement possible, souhaitable, simple, propre. Le réel s'insurge lui aussi devant le théâtre, dans le théâtre.