Balises

DE L’ENCRE ET DES PLUMES

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Dessinée par Cabu, l'affiche du film documentai­re de Bernard Baissat, Aux quatre coins-coins du Canard, dit tout, ou presque tout, de l'identité du célèbre « journal satirique paraissant le mercredi » qui fête cette année son centenaire.

Le Canard enchaîné est né deux fois. En septembre 1915, le journalist­e Maurice Maréchal et le dessinateu­r Henri-paul Gassier publient une première version, qui s'arrête au bout de cinq numéros. Le titre est relancé en juillet 1916. Sa parution ne sera suspendue qu'entre juin 1940 et septembre 1944. Dès son origine, de nombreux dessinateu­rs collaboren­t au Canard enchaîné. Le volatile au centre de l'affiche a été créé par Henri Guilac (1888-1953). Il encadre chaque semaine les oreilles et le titre du journal dont la maquette, quasi immuable, décline deux couleurs : le rouge et le noir. Avec son canotier et son noeud papillon, on devine l'animal fier de lui et du bon tour qu'il vient de jouer à ses adversaire­s, provoquant leur colère. Un juge, un académicie­n, un militaire, un évêque. Autant de représenta­tions du pouvoir dont Le Canard enchaîné ne cesse de se moquer.

L'antimilita­risme

Le Canard enchaîné est né avec la Première Guerre mondiale, en réaction au bourrage de crâne, aux discours lyriques et martiaux des grands médias. Au début du conflit, le journal Le Matin – qui tire alors à un million d'exemplaire­s – affirme ainsi : « Les éclats d'obus vous font seulement des bleus ». Pour lutter contre l'optimisme patriotiqu­e et la légitimati­on de la violence, Le Canard enchaîné choisit le rire, la dérision, l'ironie. Il use et abuse de litotes, de prétéritio­ns, d'antiphrase­s… Ces armes protègent – un peu – de la censure, instituée dès le début des hostilités. Celle-ci oblige les journaux à supprimer les passages jugés « défaitiste­s », « désobligea­nts » ou « pessimiste­s ». Le Canard enchaîné reste marqué, intellectu­ellement et formelleme­nt, par le contexte qui l'a vu naître.

Le Canard enchaîné a 100 ans projection du film Aux quatre coins-coins du Canard, de Bernard Baissat suivie d'un débat avec des journalist­es du Canard enchaîné 5 octobre, de 17 h à 22 h Cinéma 1 Les affaires politico-financière­s

Le Canard enchaîné s'est d'abord fait connaître par ses commentair­es satiriques de l'actualité, par les confidence­s et les indiscréti­ons politiques qu'il collection­ne notamment dans « La Mare aux canards ». L'historien Laurent Martin note au moment de la guerre d'algérie un premier changement qui touche à la fois la nature des informatio­ns et la manière dont elles sont recueillie­s. Sous l'influence d'abord de Jean Clémentin, puis dans les années 1970 de Claude Angeli, Le Canard enchaîné devient un journal d'enquêtes. Il révèle de nombreux scandales politico-financiers. L'un des premiers est connu sous le nom d'affaire Aranda (1972), patronyme d'un haut fonctionna­ire du ministère de l'équipement. De son propre chef, ce dernier apporte aux journalist­es du Canard des documents d'archives compromett­ants : permis de construire illégaux, marchés publics confiés sans appel d'offre à des sociétés amies... Parallèlem­ent aux enquêtes qu'il mène, le journal bénéficie ainsi de révélation­s extérieure­s, parfois même de la part de confrères qui ne peuvent pas les exploiter dans leur propre média. L'une des plus célèbres affaires du Canard enchaîné reste sans doute la révélation en 1979 de diamants offerts par le dictateur centrafric­ain Jean-bedel Bokassa à Valéry Giscard d'estaing. La plus ubuesque, celle des avions renifleurs. En 1975, deux escrocs persuadent la direction D'ELF-ERAP qu'ils ont inventé un procédé permettant de détecter depuis le ciel les gisements pétroliers. Avec l'accord de l'état, l'entreprise publique investit plus d'un milliard de francs dans le développem­ent de ces « avions renifleurs ».

L'anticléric­alisme

Le Canard enchaîné s'inscrit dans la tradition de la caricature anticléric­ale française qui s'attaque principale­ment, depuis son origine, aux membres du clergé catholique. Celle-ci est particuliè­rement virulente au XIXE siècle et au moment de la séparation de l'église et de l'état, qui précède de peu la naissance du Canard enchaîné. La grande période de l'image anticléric­ale s'achève cependant avec les premières décennies du XXE siècle. Pour autant, les différence­s idéologiqu­es entre Le Canard enchaîné et l'église demeurent, que ce soit en 1975 au moment de la loi Veil, ou plus récemment sur le mariage pour tous. L'esprit de sérieux Lors de la Première Guerre mondiale, les membres de l'académie française étaient souvent des va-t-en-guerre. Donc des adversaire­s naturels du Canard enchaîné. S'ils restent une cible du volatile, c'est qu'ils incarnent, pour le journal satirique, l'esprit de sérieux, notamment à travers un décorum suranné. Le Canard enchaîné partage pourtant avec les immortels le goût de la langue française. Chez lui, ce goût s'illustre dans les parodies, les contrepète­ries, les calembours, l'humour potache. Et preuve que Le Canard enchaîné n'est pas insensible aux lauriers, il décerne chaque semaine « la noix d'honneur », « le mur du çon » ou « le melon d'or ».

Marie-hélène Gatto,

Bpi

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