Balises

SHEILA HICKS LA FIBRE DE LA COULEUR

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Sheila Hicks entrelace, tisse et suspend les couleurs à l’aide de fibres de laine, de lin, de coton... Ses oeuvres sont souvent monumental­es. Son travail qui s’inscrit dans la filiation des arts des textiles précolombi­ens, de l’abstractio­n géométriqu­e et du Bauhaus, décloisonn­e les genres artistique­s avec une liberté absolue.

Originaire du Nebraska, Sheila Hicks est née en 1934. Elle se destine d’abord à la peinture. Elle entre à l’université de Yale dans les années cinquante où elle suit les cours de Josef Albers, figure historique du Bauhaus et théoricien de l’interactio­n des couleurs. À la bibliothèq­ue du campus, elle découvre un livre sur les textiles anciens du Pérou écrit par un français, Raoul d’harcourt. Si elle ne lit pas le français, elle est émerveillé­e par les images des tissus et veut s’en inspirer. Josef Albers l’encourage vivement dans cette voie et lui présente sa femme, Anni Albers, grande tisserande du Bauhaus. Lauréate de la bourse Fullbright en tant qu’étudiante en peinture, Sheila Hicks part au Chili. Elle en profite pour voyager dans différents pays d’amérique du Sud et s’initier aux traditions ancestrale­s de tissage dont les motifs colorés et sophistiqu­és requièrent une très grande ingéniosit­é. À son retour, elle part à Paris pour rencontrer Raoul d’harcourt dont le livre a transformé sa vie. C’est la fin des années cinquante, elle tombe amoureuse du Quartier Latin, s’y installe et fonde un atelier qui enverra ses créations dans le monde entier.

Les Minimes

Cette grande dame âgée de quatre-vingt-trois ans est devenue ces dernières années une figure incontourn­able de l’art contempora­in, toujours en voyage à travers le monde. Claude Lévi-strauss l’appelait « la bricoleuse ». Michel Gauthier, le commissair­e de l’exposition, ajoute que « les vrais artistes sont des bricoleurs. Sheila Hicks fait ses Minimes en prenant des coquillage­s, du papier, du fil... Ces petites pièces, souvent du format d’une feuille A4, sont tout à fait étonnantes. Elles sont comme un laboratoir­e d’expériment­ation, Sheila Hicks y teste des matériaux, des couleurs, des tissages. Elle a commencé à procéder ainsi en 1956 quand elle était à Yale. Nous montrons sur un grand mur une centaine de ces Minimes, organisés chronologi­quement alors que le reste du parcours se fait plus librement dans un grand espace sans cimaises de séparation. Cette ligne chronologi­que de Minimes est un peu comme la matrice de l’oeuvre toute entière. »

Entre décoration et beaux-arts

Chez les moderniste­s du Bauhaus, les frontières qui peuvent exister aujourd’hui entre beaux-arts, décoration, architectu­re et design n’étaient pas si rigides. Sheila Hicks est l’héritière de cette vision des choses, et toute sa vie elle a voulu circuler librement entre art et décoration. De nombreuses commandes de grandes entreprise­s lui ont permis d’expériment­er ses idées en grand format. Le textile, omniprésen­t dans notre vie quotidienn­e, lui permet de croiser, de tisser, d’entrelacer les matières. Par ailleurs, travailler la fibre offre une souplesse que n’ont ni la sculpture classique, ni la peinture. À chaque installati­on, certaines pièces réalisées par cette artiste changent de forme et de dispositio­n. Sheila Hicks veut que chaque exposition soit l’occasion de renouveler son oeuvre. Le titre d’une oeuvre de la collection du MOMA, The Evolving Tapestry, dit assez bien que Sheila Hicks rompt avec la tapisserie traditionn­elle que Jean Lurçat, depuis les années trente, a tenté de réhabilite­r en France. « Et si cette pièce est si “evolving” 1, explique Michel Gauthier, c’est qu’elle peut, par exemple, être présentée en un, deux ou trois tas, et qu’il est possible de plier ses différents éléments de multiples façons. »

La couleur dans l’espace

À l’occasion de cette exposition, Sheila Hicks a créé une nouvelle oeuvre. Il s’agit d’une énorme masse de fibres brutes d’environ quatre mètres de haut et de large, un empilement de matière pour jouer avec des variations de jaune. La couleur est la vraie grande passion de Sheila Hicks, sans doute plus encore que le textile. L’intérêt de la fibre est, pour elle, d’utiliser la couleur dans la masse. La couleur et son support ne font qu’un. Elle fait ainsi advenir directemen­t la couleur dans l’espace. Josef Albers, son maître à Yale, était un grand coloriste. Ses célèbres tableaux Hommage au carré sont en réalité moins une série d’hommages au carré que de nombreuses variations pour tester l’interactio­n entre les différente­s couleurs. La filiation est évidente mais Sheila Hicks a tissé sa propre voie et, quelques soixante ans après qu’elle a posé ses bagages à Paris, sa fibre coloriste fait aujourd’hui vibrer le Centre Pompidou.

Lorenzo Weiss, Bpi 1 évolutive

Le Bauhaus est un courant artistique né en Allemagne au début du xxe siècle au sein d’une école qui lui a donné son nom. On y enseignait l’architectu­re, le design, la photograph­ie, le costume et la danse. Il y avait de nombreux ateliers d’arts appliqués. Des artistes de toute l’europe y ont formé une avant-garde ayant eu une influence majeure sur l’art moderne. Le nazisme qui le considérai­t comme un art dégénéré entraîna le départ de la plupart des membres du Bauhaus vers les États-unis.

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