Balises

• Le son, un lien social par Jean-françois Augoyard

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Comment le son nous relie- t-il aux autres ? Les nouvelles pratiques auditives développen­t-elles de nouvelles formes de sociabilit­é ? Philosophe, urbaniste, musicien, et pionnier des recherches sur le son en France, Jean-françois Augoyard apporte ici quelques réponses.

Deux approches sont possibles pour envisager le son dans la société. La première, qui a fait l’objet de nombreuses enquêtes sociologiq­ues et ethnograph­iques, consiste à s’interroger sur la manière dont les bruits sont définis et comment ils qualifient des rapports d’échange, de communicat­ion, de discrimina­tion. La seconde est moins connue. Il s’agit de savoir comment le sonore modèle à sa manière les formes de sociabilit­é.

Un espace sonore personnel ?

Une première difficulté réside dans la représenta­tion d’un espace sonore personnel. Dans nos sociétés, la prédominan­ce de la vue et du toucher empêche de comprendre la nature d’une limite audible. Chacun sait d’expérience que les phénomènes sonores transgress­ent facilement le domaine privé. Une moto, une musique festive peuvent me réveiller, ces sons peuvent traverser mon corps et me mettre « hors de moi ». Confrontée au sonore, « l’enveloppe du soi » devient poreuse et la clôture individuel­le s’effiloche. Mieux que la notion statique de limite, celle de variation dynamique rend compte de la nature du son, qui est d’abord faite de temps et d’une succession d’intensités.

Nouvelles sociabilit­és

L’évolution de l’environnem­ent sonore a fait apparaître de nouvelles attitudes, celles-ci incitent à repenser la typologie des relations interperso­nnelles. Ainsi, les diverses pratiques d’écoute collective, les réseaux d’échange de produits sonores, la téléphonie mobile, l’écoute par casque font apparaître des relations sociales qui brouillent la stricte triade : individu/communauté/ société. L’immédiatet­é, la force émotionnel­le du son, sa plasticité n’en font-elles pas l’instrument parfait d’une sociabilit­é de « connivence » : discrète, polymorphe, souvent éphémère ?

Du bruit

Comme le montre l’histoire des sociétés, le bruit, au sens général, est une expression privilégié­e de l’évolution des groupement­s humains à toutes les échelles et selon un processus à trois temps : créer, maintenir, détruire. Ainsi, la plainte pour bruit gênant provoque d’abord l’émergence de relations conflictue­lles qui peuvent évoluer positiveme­nt avec la rencontre du voisin ou l’associatio­n avec d’autres plaignants. Autre exemple, s’il perturbe parfois la clarté de la communicat­ion, le bruit de fond assure aussi le maintien du contact social : rassurante bande-son du quotidien, rumeur des milieux de travail, échanges criés des enfants et des adolescent­s qui s’affirment. Plus encore, le fonds tonitruant vient matérialis­er et cimenter nombre de solidarité­s collective­s où se perdent les identités singulière­s : manifestat­ions politiques, foules événementi­elles, concerts rock. L’important est alors de faire du bruit ensemble, au risque du chaos.

Jean-françois Augoyard, directeur de recherche honoraire au CNRS, fondateur du Centre de recherche sur l’espace sonore & l’environnem­ent urbain (CRESSON) à Grenoble

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