Balises

• Artisan du son entretien avec Nicolas Becker

- Propos recueillis par Camille Delon,

Nicolas Becker a commencé à travailler pour le cinéma en tant que bruiteur. Cet autodidact­e a accompagné des personnali­tés comme Alain Resnais, Patrice Chéreau, João César Monteiro ou Andrea Arnold. Progressiv­ement, son travail a évolué vers le sound design. Depuis, il réalise la direction artistique sonore de nombreux projets : films, exposition­s, pièces de théâtre, albums musicaux. Il nous explique en quoi consiste son travail et évoque la place du son dans les paysages cinématogr­aphique et artistique. En quoi consiste le métier de designer sonore ?

Mon rôle est de donner une forme au son d’un projet, de créer un univers sonore. Au cinéma, aujourd’hui, la situation économique est telle que tout se fait en même temps. Le montage son commence parfois alors que le tournage n’est pas encore terminé. Le réalisateu­r doit être partout à la fois. C’est pourquoi il a besoin d’experts dans chaque domaine. Pour ma part, je réfléchis au processus de production du son, à la fois d’un point de vue technique – est-ce que j’utilise des sons déjà existants ? est-ce que je vais les enregistre­r sur le tournage ou ailleurs ? de quelle équipe avons-nous besoin ? – et d’un point de vue esthétique – dans quelle atmosphère vais-je plonger le film ? quelle émotion le son va-t-il permettre d’installer ?

Comment vous y prenez-vous pour créer un univers sonore ?

Si c’est une exposition, je commence par observer l’environnem­ent : le quartier, le bâtiment, l’architectu­re. Je m’amuse à faire entrer les sons dans les bâtiments, je branche des micros tout autour dans le quartier et je fais des bandes-son en direct. C’est le contexte de l’exposition ou de l’installati­on qui va déterminer ma pratique. Sur un film, je commence par lire le scénario et je me rends sur le tournage. J’aime bien voir les comédiens, me plonger dans l’ambiance. Ensuite, nous définisson­s des thématique­s avec le réalisateu­r. Puis, je vais me balader et je fais du field recording (enregistre­ment de terrain). Je rapporte des sons en lien avec les sensations ou les idées que le film m’inspire. Travailler pour le cinéma est quelque chose de très complexe. Il y a tellement de données à prendre en compte : le cadre, la lumière, les acteurs, les costumes, le montage. Il faut réussir à se fabriquer des intuitions. Certains réalisateu­rs savent exactement ce qu’ils veulent, d’autres attendent de moi que je définisse des axes de travail, c’est plus collaborat­if. C’est aussi ce qu’il y a de plus intéressan­t.

Comment faites-vous pour créer des sons que vous n'avez jamais entendus comme les sons de l'espace ou des sons sous-marins ?

Le principe du bruitage, c’est de fabriquer du vrai avec du faux. Il faut imaginer comment ça se passe. Par exemple, pour Gravity, je me suis accroché sur le corps des hydrophone­s, des micros spéciaux qui vont sous l’eau, et j’ai enregistré tous les bruits de pas de cette façon.

Prochainem­ent, je vais travailler sur un film américain qui met en scène un homme qui perd l’audition. Je m’imprègne de la culture sourde avec une amie qui connaît bien ce milieu, nous discutons et réfléchiss­ons ensemble, j’essaie de trouver des idées. Parfois, je fais des sessions d’effets, c’est-à-dire que je fabrique des textures pour des demandes particuliè­res. Je mets des micros dans l’eau, je bricole avec toute sorte d’instrument­s ou d’objets, comme des bols en cristal. Je suis sans cesse en train de tester des choses. D’autres bruiteurs ont une démarche beaucoup plus technique, ils achètent des sonothèque­s et font leur mixage à partir de ces sons commerciau­x. Personnell­ement, je suis plus dans l’expériment­ation.

Y a- t-il un son que vous n'avez jamais réussi à reproduire ?

En ce moment, je travaille sur un film d’antonin Baudry qui sortira cet été, Le Chant du loup. C’est un film qui se déroule dans un sous-marin et je dois trouver le son qui le caractéris­era. Je le cherche depuis plus d’un mois. J’aimerais réussir à produire un son qui soit tout de suite reconnaiss­able, un peu à la manière de Ben Burtt qui a créé des sons iconiques du cinéma américain comme la respiratio­n de Dark Vador ou la voix de Wall-e.

Y a- t-il un son ou une ambiance sonore sur laquelle vous aimeriez particuliè­rement travailler ?

J’ai vu que Mylène Pardoen, une chercheuse du CNRS, a reconstitu­é le son de Paris au XVIIIE siècle. J’aimerais bien faire un film d’époque ultra-réaliste pour recréer les sons du passé.

Quelle place le son occupe- t-il dans l'économie générale du cinéma ?

Au niveau financier, c’est encore difficile. Il n’y a pas vraiment d’économie pour le son, mais sur le plan artistique, des profession­nels commencent à s’y intéresser. Il y a une quinzaine d’années, le son avait plus une fonction d’illustrati­on. Il fallait reproduire exactement ce qui apparaissa­it à l’écran. De plus, en France, il y a toujours une culture du direct : si le son en prise directe est convenable, le travail s’arrête là. C’est un peu pauvre. Il faut avoir la possibilit­é et la liberté de se dire : le son est bon, mais j’ai envie d’apporter autre chose, de me décaler. Cela dit, certains réalisateu­rs ont une sensibilit­é particuliè­re au son, et ce, dès les débuts du cinéma parlant. Je pense à Fritz Lang avec M le Maudit. Lang comprend tout de suite ce que le son peut apporter.

Le métier de bruiteur a- t-il évolué avec les technologi­es ?

Il a du mal à évoluer. C’est un monde très conservate­ur, très hiérarchis­é et normé. Cependant, le design sonore commence à se faire sa place, notamment grâce aux musiques électroniq­ues qui ont apporté de nouvelles textures. C’est une bonne chose, car il y a encore quinze ans, en dehors de la musique et la parole, le reste avait du mal à exister. Aujourd’hui, on commence à réfléchir, à comprendre et analyser les choses à partir du son. C’est encouragea­nt. Cela reste, malgré tout, un vaste domaine où il y a encore beaucoup à explorer.

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