L’HISTOIRE DU JARDIN
En général, un architecte travaille d’abord sur plan, dans les limites du cadre. Moi, je n’ai pas de limites, si ce n’est celles de mon imagination! Je ne cadre que plus tard, en fonction de l’environnement et des envies du propriétaire, bien sûr.
Comment expliquez-vous votre façon de travailler ? Et comment la définiriez-vous ?
Mon rapport au jardin a toujours été empirique car j’ai passé mon enfance dans le Périgord vert. C’était mon environnement, mon terrain de jeu, au gré des saisons. Je me suis un peu «perdue» ensuite, je suis devenue préparatrice en pharmacie, mais j’ai toujours eu un jardin. Et puis le naturel est revenu au galop, un peu sur le tard. J’ai ressenti un appel, qui s’est d’abord traduit par une envie de connaître le labeur de la terre. Puis par une soif de connaître plus académiquement les plantes, les fleurs, les arbres.
Quant à la définir… J’ai lu beaucoup, observé encore plus. Et je me suis toujours inspirée de gens comme Gilles Clément, Jean Mus et Pierre Rabhi pour intégrer le respect de la nature dans la conception du jardin.
Pas toujours facile quand, comme ici par exemple, elle est si foisonnante sur un terrain au relief difficile.
C’est peut-être ça le plus grand défi. Mais aussi le plus intéressant. Il ne faut pas s’opposer à la nature, ni envisager de la contraindre – on n’y parviendra pas, de toute façon! Il faut la comprendre, l’écouter, dans ses caprices mais aussi dans sa fragilité. C’est possible, à condition de respecter le cycle des saisons et d’essayer de retrouver les gestes de nos ancêtres, qui s’effectuaient dans l’harmonie et la bienveillance, jamais dans l’opposition. Quand on y arrive, la nature vous offre alors un cadeau merveilleux en «acceptant» votre jardin en son sein.
Ce jardin, dont le chantier a duré de mars à août 2016, est surtout l’expression finale d’une rencontre.
« Le propriétaire voulait un endroit sauvage et respectueux de l’environnement, se souvient Anne-Marie Bébot. Et qui lui permette d’en profiter, sans ostentation. J’ai traduit ça par “Un Robinson Crusoé chic”. Car pour moi, dans un jardin, on est censés pouvoir vivre libre et nu ! »
Plus sérieusement, ici, on ne trouve aucun végétal qui vienne de loin. C’est le jardin qui se plie aux exigences de son milieu, pas l’inverse. Par exemple, les mimosas, que d’aucuns trouvent invasifs, sont laissés en place et utilisés tant pour leur capacité à être employés en haie que pour leurs qualités graphiques (couleurs, formes) et leur odeur. Ce jardin, c’est aussi une adaptation à un relief difficile (une pente prononcée qui plonge sur le bassin d’Arcachon) et une zone restreinte à aménager. « L’espace, petit ou grand, ne me fait pas peur, affirme Anne-Marie. La clé, c’est d’optimiser l’existant, en s’affranchissant de l’ici et maintenant, pour se projeter dans ce à quoi l’endroit ressemblera deux ou trois ans plus tard. »
Ma récompense? Quand le propriétaire se reconnaît dans ce que j’ai imaginé.
J’exploite tous mes rêves dans les jardins que je conçois.
1. Ici, pas de piscine démesurée, forcément anti-écologique. Le couloir de nage (1) ne veut pas se tenir à l’écart de la nature mais l’accueillir pour mieux en profiter. Comme cet Arbutus unedo (2), un arbousier qui poussait ici avant les aménagements, les cordylines (3), et leur petit air de palmier, ou les Pittosporum tobira (4), avec leur feuillage vert persistant et leur parfum d’oranger.
2. En accédant au rivage du bassin et ses vieux parcs à huîtres, on remarque que le lieu est protégé par une végétation exubérante. Tout le le travail d’Anne-Marie Bébot a été d’avoir su comprendre cette nature pour s’y fondre sans lui faire perdre ses qualités initiales d’abri de la biodiversité et de garante de l’anonymat voulu par le propriétaire.