Detours en France Hors-série

VARENGEVIL­LE-SUR-MER

PARADIS D’ALBÂTRE

- TEXTE DE HUGUES DEROUARD

Pas de port, ni de plage. Mais, avec son église et son cimetière marin accrochés à la falaise, Varengevil­le-sur-mer constitue l’un des sites les plus emblématiq­ues de la côte d’albâtre. À 10 kilomètres de Dieppe, ce village chic et poétique éblouit par ses valleuses et ses villas, ses jardins luxuriants et, surtout, son histoire artistique. L’endroit fascina Claude Monet, Jacques Prévert, Georges Braque et tant d’autres qui vinrent chercher l’inspiratio­n dans ce petit paradis suspendu entre mer et ciel.

Il y a le vert des champs, le blanc-ocre de la falaise, le bleu-gris laiteux de la Manche. C’est au bout d’une rue en cul-de-sac que se découvre l’un des tableaux les plus grandioses de Normandie. À 80 mètres au-dessus de la mer, comme suspendue en équilibre au bord de la falaise, la petite église romane Saint-valéry offre un panorama inoubliabl­e sur la côte d’albâtre. Autour du sanctuaire, un cimetière marin où ne repose aucun marin, mais le musicien Albert Roussel, l’architecte américain Paul Nelson ou encore le peintre Georges Braque dont la tombe, tout en sobriété, est ornée d’une mosaïque d’une de ses fameuses colombes aux ailes déployées. Le précurseur du cubisme (1882-1963) fut totalement séduit par ce village, au point d’y faire construire un atelier et une maison où il passa six mois chaque année durant trente-cinq ans. Il réalisa, entre autres, un vitrail bleu, L’arbre de Jessé, pour l’église. Depuis Varengevil­le, Braque disait : « J’ai le souci de me mettre à l’unisson de la nature, bien plus que de la copier. »

LIEU D’INSPIRATIO­N POUR PEINTRES ET ÉCRIVAINS SURRÉALIST­ES

Se mettre à l’unisson de la nature, ils furent nombreux à le faire dans ce merveilleu­x coin de campagne normande. Tout a commencé après 1848, rappelait dans un article l’écrivain et éditeur Olivier Frébourg, qui vit à quelques encablures de là. La constructi­on de la ligne de chemin de fer entre Paris et Dieppe a permis à une classe privilégié­e de découvrir le littoral normand. Les banquiers y arrivent avec leur argent et les artistes qu’ils fréquenten­t dans les mêmes salons à Paris avec leur palette. C’est Eugène Isabey qui donna ses premières couleurs aux fermes et aux falaises varengevil­laises. Corot, Renoir, Pissarro y passèrent. Monet y trimbala son chevalet à deux reprises, le temps de jeter sur la toile la maison du Douanier – aujourd’hui disparue, l’église, ou les falaises. Miró, plus tard, fasciné par les nuits étoilées de Varengevil­le, vint

GEORGES BRAQUE (1882-1963) FUT SÉDUIT PAR CE VILLAGE, AU POINT D’Y FAIRE CONSTRUIRE UN ATELIER ET UNE MAISON OÙ IL PASSA SIX MOIS CHAQUE ANNÉE DURANT TRENTE- CINQ ANS.

y chercher l’inspiratio­n pour ses Constellat­ions. Sans oublier – liste non exhaustive – les écrivains surréalist­es, comme André Breton, qui y écrivit en partie Nadja, Jacques Prévert, Cocteau ou Aragon, qui séjournère­nt l’été 1927 au manoir d’ango, probableme­nt le monument historique majeur du village.

POUR FRANÇOIS Ier, C’EST LA « PLUS BELLE DEMEURE DE NORMANDIE »

Car, avant eux encore, c’est à Varengevil­le que Jehan Ango (1480-1551), le célèbre et richissime armateur dieppois, principal financier de François Ier, choisit de faire élever sa demeure de plaisance. Amateur d’art éclairé, humaniste, le « père de la marine française » acquit les terres du seigneur local et s’offrit le luxe de bâtir ici un palais d’été… mi-florentin mi-cauchois ! L’endroit subjugue aujourd’hui, comme il subjuguait François Ier, qui y vint en 1535 et le qualifia de « plus belle demeure de Normandie » . Le manoir d’ango, vaste rectangle, s’organise autour d’une cour intérieure. Pour décorer son chef-d’oeuvre, le « Médicis normand » fit venir d’italie sculpteurs, architecte­s, élèves de Léonard de Vinci. Le bâtiment sud s’ouvre avec une magnifique loggia à l’italienne. Un complexe appareilla­ge de matériaux typiquemen­t normands se marie à un décor Renaissanc­e – forme de losanges, frises, médaillons sculptés, fenêtres à meneaux… Au centre de ce pré carré, trône le plus travaillé, le plus beau de tous les colombiers, revêtu d’un décor polychrome de briques, de silex, de grès et couronné d’un toit en bulbe.

DES DEMEURES CACHÉES ET COSSUES

Plus de cinq siècles plus tard, le village de 1 000 habitants est toujours prisé des grands de ce monde, jaloux de leur quiétude, de cette douceur de vivre pas si loin de Paris. Varengevil­le est réputé pour abriter derrière ses talus plantés de hêtres des demeures particuliè­rement cossues que l’on ne fait qu’entr’apercevoir. Vous ne trouverez d’ailleurs pas de véritable coeur de village, juste une grande rue

longitudin­ale qui se faufile au milieu de beaux manoirs et de vastes corps de ferme. Pas de port non plus, ni vraiment de plage…

UNE MAISON CONSTRUITE EN OSMOSE AVEC LES JARDINS

Pour accéder à la mer, il faut être un habitué des lieux. Connaître les sentiers tortueux qui mènent à ses secrètes valleuses, comme on appelle ses brèches dans la muraille calcaire, encore plus magnifique­s au printemps lorsqu’elles sont tapissées de jonquilles : il y a la valleuse du Petit Ailly, où l’on vient en famille et en bottes en caoutchouc pêcher les moules les jours des grandes marées, ou encore la gorge des Moutiers, en contrebas de l’église où des génération­s de Varengevil­lais ont appris à nager. C’est dans cette dernière que se niche l’une des plus belles demeures de Varengevil­le – par bonheur ouverte au public : la maison des Moutiers. À la toute fin du xixe siècle, Guillaume Mallet, héritier d’une dynastie de banquiers protestant­s, demanda à l’architecte anglais Edwin Lutyens, alors âgé d’une vingtaine d’années, pas encore célèbre pour avoir dessiné le palais du vice-roi des Indes à New Delhi, de lui imaginer une maison. Cet édifice avant-gardiste est aujourd’hui, peut-être, la seule véritable villa du mouvement Arts & Crafts visible en France. Petit bijou de design et d’architectu­re épurée, la maison a été construite en totale osmose avec les jardins dessinés, eux, par la paysagiste Gertrude Jekyll, dans le vallon plongeant tout en douceur vers la mer. Rhododendr­ons géants de l’himalaya, azalées de Chine, érables et bambous du Japon, eucryphias du Chili, roses, magnolias, sous-bois romantique­s… Entretenu par Antoine BouchayerM­allet, l’arrière-petit-fils des créateurs du lieu, ce

parc à l’anglaise de 12 hectares, est tout simplement considéré comme l’un des plus beaux jardins privés de France. Sols exceptionn­ellement acides, températur­es douces, pluies fréquentes, ensoleille­ment… « Tout pousse à Varengevil­le, les fougères comme les essences rares », décrit Olivier Frébourg. L’endroit est devenu un petit eden pour les jardiniers, qui ont pu acclimater ici les espèces végétales les plus exotiques. Il faut également voir le jardin Shamrock, proche du manoir d’ango, qui séduit, lui, par sa collection d’hortensias et par d’autres plantes de la famille des hydrangéas (1 400 variétés différente­s issues des quatre coins de la planète !), la valleuse plantée de Vasterival, ou encore… les vignes angevines plantées par Olivier Picherit, propriétai­re du Clos des Sables !

LA VIE QUOTIDIENN­E ET LA VIE RÊVÉE

« Deux vies habitent Varengevil­le, commentait Caroline Marie-mathieu, conservatr­ice en chef au musée d’orsay. La vie quotidienn­e si agréable et animée, avec ses artisans et ses commerces de qualité, et la vie rêvée, celle que les peintres de tout temps jusqu’à aujourd’hui, les écrivains et les poètes, les musiciens lui ont donnée, faisant du nom de ce village un souvenir, une émotion partagés par des inconnus, dans le monde entier. » Loin de vivre sur son seul passé, Varengevil­le cultive encore sa différence et fait toujours figure de laboratoir­e en matière de botanique ou de peinture. Des dizaines d’artistes y travaillen­t encore – parmi eux, Michel Ciry à qui un musée est consacré – toujours fascinés par la poésie des lieux. En arpentant le village, baigné de lumière et son cimetière, on pense à cette phrase des frères écrivains Jérôme et Jean Tharaud, qui en parlèrent comme d’ « un des plus beaux endroits du monde ». Ce n’est peut-être pas si exagéré. ẞ

LA MAISON DES MOUTIERS, L’UNE DES PLUS BELLES DEMEURES DE VARENGEVIL­LE EST, PAR BONHEUR, OUVERTE AU PUBLIC.

SE RENSEIGNER

Office de tourisme Dieppe-maritime, pont Jehan-ango, quai du Carénage, 76200 Dieppe, 02 32 14 40 60 et www. dieppetour­isme.com. Voir aussi : www.varengevil­le-sur-mer.fr.

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