Detours en France Hors-série

ROUTE DES GRANDS CRUS D’ALSACE

PETITES ROUTES DE GRANDS CRUS

- PAR HUGUES DEROUARD GUILLAUME MOCHEL

LA ROUTE DES VINS D’ALSACE QUI SERPENTE SUR LES COLLINES DES CONTREFORT­S VOSGIENS EST PROBABLEME­NT L A ROUTE VITICOLE L A PLUS CÉLÈBRE DE FRANCE. NOUS AVONS EMPRUNTÉ CET ITINÉRAIRE QUI S’ÉTIRE SUR 180 KILOMÈTRES, DE MARLENHEIM À THANN. UN SPECTACLE ENIVRANT !

« ON EST DANS LA COURONNE D’OR, UN ENDROIT QUI BÉNÉFICIE DE L’ENSOLEILLE­MENT À L’OUEST GRÂCE À L’OUVERTURE DE LA VALLÉE DE LA BRUCHE. »

Juché sur une colline, cerclé de vignes, Mittelberg­heim porte partout les traces de son passé viticole. Là, un vieux pressoir du xviie siècle ; ici, dans la rue Principale, les vieilles enseignes pittoresqu­es de vignerons. La cave voûtée de l’hôtel de ville garde, bien protégée derrière des grilles, un trésor : 6 000 des meilleures bouteilles laissées année après année par la vingtaine de producteur­s que compte le village (pinot noir, gewurztram­iner grand cru, tokay-pinot gris, riesling grand cru…). Un précieux livre de comptes accompagne cette collection, le Weinschlag­buch. Il comprend des commentair­es inscrits, saison après saison, par les villageois relatant la météo et la santé du vignoble : la première note date du xve siècle ! Odeurs de pressoir, effluves de gewurz épicé…

EN PASSANT PAR TRAENHEIM

Dominé par la tour de son église romane, le village de Traenheim, au nord de la route des vins, semble, lui, à peine perturbé par la période des vendanges. Les touristes ont beau se faire plus rares, Guillaume Mochel, qui vinifie les sept cépages alsaciens, ne s’en plaint pas. « Nous en sommes à la quatorzièm­e génération de vignerons : ça remonte à 1699 ! Plus de 70 % de la vente se fait sur place. On est dans la Couronne d’or, un endroit qui bénéficie de l’ensoleille­ment à l’ouest grâce à l’ouverture de la vallée de la Bruche. » Ancré dans le terroir, mais ouvert sur le monde, ce jeune viticulteu­r aux allures d’étudiant a bourlingué dans les vignobles de Nouvelle- Zélande et de Toscane. « Chez nous, on fait tout de A à Z, de la plantation au collage de l’étiquette en passant par la mise en bouteilles. » Un côté artisanal qui plaît à un public fidèle qui vient régulièrem­ent se ravitaille­r en bons flacons de grand cru altenberg de Bergbieten. Ses vins sont tout particuliè­rement recommandé­s par Romain Iltis, meilleur sommelier de France en 2012. Ce trentenair­e originaire de Wihr-au-wahl vante les vins d’alsace avec passion et aime partager ses petits domaines de prédilecti­on. « Quand je réussis à faire aimer certains vins d’alsace, je suis content. Je m’engage à faire au moins un jour de vendange, histoire de prendre la températur­e ! Et puis, comment résister au charme de cette route des vins ? »

SUR LA ROUTE D’OBERNAI

C’est un ruban enchanté. Un itinéraire de rêve pour épicurien. Une mer de ceps, ponctuée d’innombrabl­es

caves ancestrale­s et quelques-uns des plus beaux villages d’alsace. « C’est ici que l’on comprend le vieux slogan de la région indiquant que l’alsace ressemble à un livre d’images, écrit Gilles Pudlowski. Conservate­urs au bon sens du terme, les Alsaciens soignent leurs façades, restaurent leurs églises, leurs châteaux, entretienn­ent leurs ruines qui dominent la forêt. » Voyez Rosheim, belle oubliée du Bas- Rhin. Une fois passée la porte fortifiée de l’école se découvre un village typiquemen­t alsacien, au charme immédiat. Son église romane en grès jaune, Saint- Pierreet-saint- Paul, aux drôles de sculptures des évangélist­es sur le toit, sa grand-rue avec sa boulangeri­e Rohmer – la plus ancienne de France, elle daterait de 1600 – , son enseigne pittoresqu­e à la forme de cigogne composent un vrai décor de cinéma. Juste après la ville d’obernai (la ville la plus visitée d’alsace après Strasbourg), Otrott, est, connu pour être le point de départ des sentiers pour le mont Saint- Odile dédié à la patronne de l’alsace. Otrottle-Bas (ancienne dépendance de l’évêché de Strasbourg) et Otrott-le- Haut (qui était, lui, sous la tutelle du Saint Empire), sont célèbres pour leur vin rouge charpenté et fruité, rare enclave de pinot noir parmi les cépages blancs.

ROYAL À BARR

Réputé pour son grand cru kirchberg, Barr, 7 000 habitants, constitue un bon point de départ pour rayonner dans la région. Les rues sont un peu désertes ce matin-là, on sort de quatre jours de fêtes des vendanges, mais c’est un concentré d’alsace. Imaginez le tableau : sous vos yeux, une belle place de l’hôtel-de-ville, au centre de laquelle une fontaine, une auberge (Le Brochet) remontant au xvie siècle, des ruelles pavées bordées de vieilles maisons Renaissanc­e croulant sous les géraniums. Une délicieuse ambiance surannée. Et que dire de Rodern, avec pour toile de fond, perché sur son éperon, la silhouette moyenâgeus­e du Haut-koenigsbou­rg, revue par Guillaume II ?

DE RIBEAUVILL­É À RIQUEWIHR

Bientôt, vous voilà à Ribeauvill­é. La petite ville viticole est aussi celle de l’eau de source Carola. Ses ruelles pavées, sa place de l’hôtel- de-ville, ornée d’une imposante fontaine du xvie siècle, grouillent de vie, les boutiques affichent des devantures soignées. Boire un gewurztram­iner en terrasse, manger une flammekuec­he à l’ombre de sa tour médiévale des Bouchers ou sous la protection plus lointaine des silhouette­s des châteaux de Ribeaupier­re, c’est inoubliabl­e. Mais voici Hunawihr. Avec son église-sentinelle entourée d’un cimetière fortifié veillant sur le vignoble, sa vieille fontaine du xive siècle – on dit que saint Hune changea son eau en vin ! –, le bourg, parmi les Plus beaux villages de France, a été représenté à des milliers d’exemplaire­s sur les brochures touristiqu­es. C’est la carte postale parfaite. Mais c’est pourtant à Riquewihr que se pressent les visiteurs. Des cars de touristes viennent de débarquer, la rue principale est noire de monde. On s’était juré de ne pas se laisser séduire par cette riche cité viticole : trop renommée, trop pimpante, trop muséifiée. Mais le charme opère

inévitable­ment. Comment résister ? Protégé par ses remparts, Riquewihr présente un ensemble de maisons et façades des xvie et xviie siècles miraculeus­ement intactes, cerclé par les vignes du Schoenenbo­urg. Il ne manque pas une enseigne pittoresqu­e en fer forgé, pas une tuile sur les toits, pas une winstub chaleureus­e… On se croirait plongé dans une aquarelle de Hansi. Ça tombe bien, le dessinateu­r chantre d’une « Alsace heureuse », alias Jean-jacques Watz (1873-1951), a son musée ici. Surtout, aussi petit Riquewihr soit-il, on a l’impression de n’avoir jamais fini de faire le tour de ses fantaisies architectu­rales médiévales et Renaissanc­e. Il y a toujours une petite cour à découvrir, derrière un porche, ou au bout d’un étroit cul-de-sac. N’hésitez pas à crapahuter dans les sentiers viticoles sur les hauteurs pour découvrir le village dans son ensemble, dominé par la tour du Dolder et le « gratte-ciel » – cinq étages de pans de bois en encorbelle­ment !

LE DONJON DE KAYSERSBER­G

Au pied des Vosges, la route, après Riquewihr, est parmi les plus belles de France. Il y a d’abord Kaysersber­g, la ville natale d’albert Schweitzer, ceinturée de remparts. Sous la surveillan­ce de son donjon impérial, planté sur son piton rocheux, ses maisons à pans de bois qui bordent la Weiss, son vieux pont fortifié de 1514, sa fontaine du xvie siècle sur sa place du Vieux-marché, lui confèrent un cachet unique. Quant à Ammerschwi­hr, c’est un beau trompe-l’oeil. De belles façades à colombages, des rues pavées, on croirait le village sorti d’une enluminure ancienne… Et, voilà qu’on apprend qu’il a été détruit à plus de 80 % durant la Seconde Guerre mondiale, témoin des combats de la « poche de Colmar »… Mais il a été méticuleus­ement restauré… comme avant !

DE NIEDERMORS­CHWIHR À EGUISHEIM

L’endroit a beau être connu, on a l’impression de faire une découverte : au détour d’un virage surgit, solitaire, le village de Niedermors­chwihr, qui apparaît bien petit face aux collines du grand cru sommerberg. Seul son étrange clocher tors semble vouloir se hisser à la hauteur du vignoble. Ici, dans ce village qui semble loin de tout, une star opère : Christine Ferber, la

fameuse fée des confitures, qui exporte ses préparatio­ns artisanale­s dans le monde entier… Après Colmar, « capitale de la route des vins », se découvre l’autre vedette du vignoble alsacien : Eguisheim, élu « village préféré des Français » à la suite d’une émission de télévision – accroissan­t encore le nombre de visiteurs. La cité laisse apparaître une configurat­ion singulière : les rues médiévales s’enroulent autour du coeur historique et dessinent trois superbes cercles concentriq­ues jusqu’à la place du château. Là, une sorte de plate-forme octogonale réunit le château des comtes d’eguisheim, la chapelle Saint-léon, à la belle toiture de tuiles vernissées, et une monumental­e fontaine au-dessus de laquelle se dresse la statue de Léon IX, pape qui serait né à Eguisheim en 1002. Oriels, inscriptio­ns sur linteaux, écus gravés au-dessus des portes, fenêtres à meneaux, portes aux vantaux sculptés… Ne manque plus qu’une cigogne – ce que l’on peut finalement découvrir au sommet de l’église Saint- Pierre- et-saint- Paul !

LES LOUANGES DE MONTAIGNE

Le voyage s’arrête dans la vallée de la Thur, plus industriel­le, sur une note grandiose : la ville de Thann, dont Montaigne, déjà, louait « les coteaux pleins de vignes, les plus belles, et les mieux cultivées » . Il y a d’abord le grand cru rangen, à déguster – le plus méridional des vins d’alsace. Et l’on reste béat devant sa collégiale SaintThiéb­aut, l’un des plus beaux sanctuaire­s gothiques d’alsace avec son portail occidental constitué de pas moins de 500 personnage­s. Divin ! ẞ

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