Detours en France Hors-série

UN ITINÉRAIRE LITTORAL

DE SAINT-MALO AU CAP DE LA HAGUE

- PAR PHILIPPE BOURGET

DE LA BRETAGNE NORD AU COTENTIN, L A CÔTE DU LITTORAL EST SCANDÉE DE JOYAUX PATRIMONIA­UX. ILS ONT POUR NOM SAINT- MALO, CANCALE, LE MONT- SAINT- MICHEL, AVRANCHES, GRANVILLE… AUTANT DE HALTES SUR CE PARCOURS QU’EMPRUNTERO­NT EN PARTIE LES COUREURS DU TOUR DE FRANCE, AU DÉPART DE L’ÉDITION 2016, LES 2 ET 3 JUILLET. EN CAMPING- CAR OU À VÉLO, L’ITINÉRAIRE S’ANNONCE SPORTIF !

Saint- Malo et ses remparts, par grand beau temps.

Saint-malo, jour de tempête. Bienheureu­x remparts, qui protègent la ville de l’humeur de la mer. Hors l’enceinte, la Chaussée du Sillon est moins chanceuse, balayée par la violence inouïe des vagues percutant la digue en béton. déchaînée, la Manche transforme Saint-malo et son granit sombre en citadelle outragée. En venant un tel jour de furie, vous en ressentire­z les effets au plus profond de votre cabine, secouée de hoquets sous la cavalcade des rafales. Intra-muros, ce chaos n’empêche pas les visiteurs d’être dehors, au contraire ! Cirés sur le dos, ils arpentent courbés et ruisselant­s la cité corsaire, celle-là même qui fut république au xiie siècle et fit fortune grâce à ses armateurs et ses marins, adoubés par le roi pour attaquer les navires anglais, espagnols et hollandais.

DE SAINT-MALO AUX ÎLES DE PETIT-BÉ ET DE GRAND BÉ

Un « métier » d’aventurier, dont Surcouf fut l’un des illustres représenta­nts. Même battus par les flots, les tours et bastions confèrent à la ville close et ses commerces un air de vaisseau assiégé. Le plaisir est alors de se réfugier dans la chaleur d’une crêperie ou d’un bar bretonnant, après avoir acheté dans une vieille librairie aux rayonnages foutraques, une oeuvre de Châteaubri­and, l’enfant du pays. Par temps calme et à marée basse, il est possible de rallier à pied les îles de Petit-bé et de Grand-bé (où se trouve le tombeau de Châteaubri­and). On peut aussi marcher, le long de la digue, au pied des belles villas balnéaires de Paramé. Pensez également à profiter des thermes marins, voire du casino, sans oublier une visite au grand aquarium de Saint-malo (comptez 1 h 30 à 2 heures).

DE CANCALE À GRANVILLE

Depuis l’aire d’accueil des îlots où vous serez probableme­nt garés, à Rothéneuf, notre itinéraire file à l’est en direction de Cancale, à 22 kilomètres par la côte. Voici les premiers paysages littoraux, succession de pentes herbeuses et de falaises qui dévalent courageuse­ment vers l’estran. La D201, panoramiqu­e, vous conduit devant le château de Lupin (xviie siècle) à Saint- Coulomb. Plus loin, dans un creux, la chapelle Notre-dame-du-verger et ses superbes ex-voto témoignent de la reconnaiss­ance des familles de marins à la providence. La pointe du Grouin se profile (accès à pied facile depuis le parking) et offre son panorama grand angle sur la côte d’émeraude, depuis le cap Fréhel jusqu’à Granville. Cette vigie rocheuse incorrupti­ble

surveille tous les quatre ans les

bateaux de la Route du Rhum, dont elle constitue la ligne de départ. Voilà Cancale, une des capitales de l’ostréicult­ure française. Il y a beaucoup à faire dans ce port. Par exemple, fureter dans les venelles au pied de la falaise de la Houle, à l’arrière des quais. Dans cet ancien quartier de marins aujourd’hui résidentie­l, les maisons basses à rideaux brodés cachent de petits potagers, de vieux puits à margelle, une ou deux têtes de saint Michel placées dans l’encoignure de façades… Le contraste est saisissant avec la ville haute et ses maisons cossues, à l’image de la mairie. En terrasse du café du Hock, les clients portent volontiers des cirés jaunes estampillé­s Armor-lux, la marque bretonne en vogue. Le meilleur souvenir à conserver de Cancale est sans doute celui de la dégustatio­n de « plates » aux cabanes d’ostréicult­eurs, rassemblée­s sur le quai face aux parcs à huîtres. Un instant gastronome « sur le pouce » délicieux, le regard tourné vers le large où se dessinent le triangle noir du Mont Saint-michel et la tache blanche du port de Granville.

CAP SUR LA BAIE DU MONT-SAINT-MICHEL

Ce n’est pas que l’on s’ennuie mais la route est longue ! Par la D76 puis la D797, l’itinéraire met cap sur la Merveille, située à 45 kilomètres. Depuis votre poste de conduite surélevé, vous appréciere­z ce parcours plat le long de la baie, tracé entre les habitation­s de Saint- Benoît- des- Ondes, Hirel, Le Vivier-sur- Mer, Cherrueix et l’immensité des parcs à bouchots, méthodique­ment alignés, à gauche, sur les étendues sableuses découverte­s à marée basse. Entre les chenaux – les criches, en langage local – vous apercevrez des moutons, sur les prés-salés. À Pontorson, une fois le Couesnon franchi (frontière symbolique entre la Bretagne et la Normandie), il faudra obliquer à gauche par la D976,

jusqu’au Mont. Inutile de revenir ici sur les aménagemen­ts réalisés autour du rocher. Retenons que depuis l’inaugurati­on du pont-passerelle, en 2015, la mer contourne à nouveau le Mont à marée haute, lui rendant son caractère insulaire. Côté parking, vous n’aurez pas le choix : seul vous attend celui réservé aux camping-cars, la « poche P8 » (stationnem­ent autorisé la nuit mais ni eau, ni électricit­é). Que dire de ce site, parmi les plus célèbres de France ? Sa vocation religieuse n’a jamais failli depuis le viiie siècle et la création du premier sanctuaire, après que l’archange saint Michel fut apparu en songe à l’évêque d’avranches. Lieu de pèlerinage et de vie monastique, le caillou de granit et son abbaye fascinent autant par leur dimension sacrée que par le cadre naturel. « Les jours de brouillard ou de tempête, l’abbaye flotte au-dessus de l’eau. On se croirait au temps de la Genèse », nous avait un jour avoué le père André Fournier, recteur du Sanctuaire.

EN DIRECTION D’AVRANCHES

Le meilleur conseil que nous puissions donner est d’y rester tard le soir, après le reflux de la marée… touristiqu­e. Là, dans la pénombre des ruelles-escaliers et de l’église Saint-pierre sur le point de fermer, au-dessus de la baie noire rendue à ses ébats nocturnes, la magie du Mont se révèle dans un monde de silence et de recueillem­ent. Cette baie offre encore de belles surprises et le meilleur moyen d’en profiter est de la suivre au plus près de son contour. Par la petite D75, via les hameaux de la Rive et des Bas- Courtils, la vue sur le Mont, précédé d’immenses étendues herbeuses au vert soutenu, est d’une photogénie sans égal. N’hésitez pas à vous poser au bord d’un chemin, pour admirer ce paysage unique. La RN175 rejoint Avranches (23 km à l’est du Mont-saintMiche­l), une ville perchée où et il est d’usage de faire étape, ne serait-ce que pour visiter sa basilique Saint-gervais, phare de la Manche sud avec ses 74 mètres de clocher et, surtout,

le Scriptoria­l. Ce musée contempora­in raconte l’histoire du Mont-saint-michel et ses liens avec Avranches, présentant, c’est le clou de la visite, des manuscrits du ixe au xve siècles réalisés par les moines du Mont et d’ailleurs. En sortant, vous pourrez aussi vous balader dans la vieille ville médiévale et contempler de belles maisons à colombages et à encorbelle­ments. Les coureurs du Tour de France l’empruntero­nt le 2 juillet mais il n’est pas sûr qu’ils aient le temps d’apprécier le paysage. Pourtant, la D911 d’avranches à Granville (33 km) est un pur bonheur de parcours côtier, avec ses villages pieds dans la baie. Toujours sur fond de Mont SaintMiche­l, précédé ici de l’îlot de Tombelaine, vous découvrire­z le Grouin du sud et sa vue splendide, l’ancien prieuré de Saint-léonard, le port de Genêts et ses maisons de schiste et de grès, le bec d’andaine point de départ de la traversée pédestre vers le Mont-saint-michel par la baie (à marée basse d’équinoxe), le château de Brion, les plages dunaires de Dragey où l’on entraîne encore des pur-sang, Saint-jeanle-thomas et ses villas balnéaires xixe siècle, les falaises de Champeaux et leurs cabanes Vauban, Carolles et ses cabines de bains colorées, Jullouvill­e et sa grande plage… Il y a là de quoi passer la journée.

DE REGNÉVILLE-SUR-MER À COUTANCES

Granville « la blanche » clôt ce passage remarquabl­e. Stationné rue du Roc, sur le parking réservé aux camping-cars, vous devrez consentir une autre journée pour profiter pleinement de ce port, actif depuis le xve siècle. Il règne ici une belle atmosphère marine, mélange d’activité portuaire – une gare maritime dessert les îles anglo-normandes – et de fréquentat­ion touristiqu­e. Ville haute, dominant la mer, vous appréciere­z la sobriété noble des demeures d’armateurs en granit, les ruelles étroites, les boutiques de galeristes… Ville basse, vous flânerez le long des quais et de la plage, cherchant la plus engageante devanture de crêperie pour une halte déjeuner. La suite est affaire de flair et d’un peu d’improvisat­ion. Par la D971 puis la D20, vous rejoindrez au nord Regnéville­sur-mer (à 24 km de Granville) et l’embouchure de la Sienne, à travers un splendide paysage de bocage. Le parcours s’effectue sur fond de flèches de la cathédrale de Coutances.

Rien ne vous empêche toutefois de quitter un moment ces deux départemen­tales pour respirer l’air d’hérenguerv­ille, de Lingrevill­e, d’hauteville-sur- Mer, villages à portée de volant de la route principale qui reflètent le caractère rural et préservé du pays de Coutances. Regnéville possède le charme des ports figés dans leur histoire et pas encore dévoyés par la marée humaine. Un gros donjon carré, une église du xiie siècle, des maisons cossues et la pointe naturelle d’agon rappellent le rôle passé de ce port – baie d’échouage dans l’industrie et le commerce de la chaux.

DE BARNEVILLE-CARTERET À LA HAGUE

La couleur blanc- beige du sable domine au long des 57 kilomètres qui séparent Regnéville-sur- Mer de Barneville- Carteret, au nord. Une côte « pleine nature », jalonnée de plages et de dunes à n’en plus finir, à peine interrompu­es par de rares stations balnéaires un brin désuètes. Agon- Coutainvil­le et Blainville-sur- Mer en sont les exemples, figées dans leur vernis classique mais agréables pour leur calme et leurs plages au grand air. La D650 et ses mille occasions d’arrêts file ainsi le long du Cotentin, dépassant des espaces dunaires et lacustres protégés, flirtant avec le port de pêche à crustacés de Pirou et son étonnant château médiéval, glissant autour de la méconnue embouchure de l’ay, avant de rejoindre le havre de Port- Bail. Vous y visiterez l’église d’allure fortifiée Notre- Dame et effectuere­z avec bonheur la balade

de 8 kilomètres (aller-retour) conduisant à la mer et aux dunes de Lindbergh, côté opposé de l’estuaire. Il reste encore une étape avant d’affronter le cap de La Hague. Elle se nomme Barneville- Carteret, station balnéaire très animée et ancienne (1840), reliée comme Granville par ferries aux îles anglo-normandes. L’ambiance est un brin vieillotte dans cette cité familiale, avec son front de mer scandé d’hôtels xixe siècle et années 1950 au charme désuet. Elle marque en tout cas l’ultime arrêt avant la « terre des confins », ce cap de La Hague aux paysages spectacula­ires d’océan, de falaises et de prairies. Au volant de votre camping- car, la prudence est de mise : les routes étroites plongent et grimpent comme la houle océane. Mais quels panoramas ! Avec sa lande battue par les vents, son bocage vert et fauve cerné de murets de pierre, les connaisseu­rs de l’irlande ne seront pas dépaysés.

CONQUÉRANT NEZ DE JOBOURG ET REDOUTABLE RAZ BLANCHARD

Depuis le village de Siouville et ses maisons blanches défiant la mer, 27 kilomètres au nord de Barneville­Carteret, l’itinéraire saute de hameaux calfeutrés en dunes malmenées, de belvédères spectacula­ires (le Grand Thot) en pieds de falaises isolés. Héauville, Biville, Vauville… les maisons de granit et de schistes se tassent et font le gros dos au suroît. Sous la pluie, la lande ruisselant­e livre les fulgurance­s mauves de sa bruyère. En conduisant, vous ne serez pas lassés par ce paysage flamboyant. Pourtant il faudra s’arrêter, histoire de prendre une leçon de grand vent et d’embruns. Comme au Nez de Jobourg, falaise conquérant­e face à la tâche lointaine de l’île d’aurigny. Ou dans la baie d’ecalgrain, plage éden par temps calme, « zone de combat » par tempête. En filant toujours plus au nord, entre les champs-rectangles clos de murets, vous finirez par atteindre le hameau Goury, face au redoutable Raz Blanchard. Un port courbe, de rares maisons, le dôme rassurant de la station de sauvetage en mer et un phare au large : Goury signe l’ultime présence de l’homme au cap, le dernier village à résister aux assauts atlantique­s. Une belle fin pour cet itinéraire hors du commun. ẞ

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