ANGERS
LES TOURS NOIRES DE LA REINE BLANCHE
La forteresse d’angers est bâtie pour impressionner. Un office qu’elle remplit parfaitement, depuis bientôt huit siècles. L’effet de son périmètre hermétique, de ses murailles de schiste austères et sombres, de son côtelage serré de dixsept tours vigoureuses annelées de calcaire blond, sur environ un kilomètre, est presque aussi intimidant aujourd’hui pour le conducteur filant au ras des remparts par la voie express qu’il l’était pour le soldat qui les approchait au xiiie siècle. Entre défense et apparat, pourtant, Angers a toujours oscillé, depuis qu’au temps des invasions barbares les premiers réfugiés gallo-romains sur ce promontoire ont déployé leurs remparts et bâti un temple, pour être évincé peu après par l’évêché. Au ixe siècle, le danger vient des raids bretons et normands. Le comte a son quartier général en bas, près de l’actuelle
cathédrale. À la veille d’une attaque, il troque avec l’évêque. Les bases du premier château sont jetées. Sans donjon : on pacifie aussi vite qu’on construit, et au final c’est d’une aula – une grande salle de cérémonie entourée de divers bâtiments d’usage – qu’hérite Henri II Plantagenêt, avant d’accéder au trône d’angleterre en 1154.
UNE MENACE POUR LA COURONNE Angers, florissante, devient la capitale d’un véritable empire. Une menace pour la Couronne ; Philippe Auguste tranche, et confisque. C’est de cette façon qu’angers reviendra au jeune Louis IX. En son nom, et en rasant un bon quart de l’ancienne cité, sa mère Blanche de Castille entreprend de dresser en dix ans, à partir de 1230, la citadelle de quelque 25 000 mètres carrés qui nous est parvenue presque inchangée, fermée de deux portes à double herse et pont- levis. Réputé invincible, le château bascule à nouveau du côté « civil » : les transformations des xive et xve siècles en font une
RÉPUTÉ INVINCIBLE, LE CHÂTEAU BASCULE DU CÔTÉ « CIVIL » : LES TRANSFORMATIONS DES XIVE ET XVE SIÈCLES EN FONT UNE RÉSIDENCE D’AGRÉMENT, SIÈGE D’UNE COUR RAFFINÉE
résidence d’agrément et le siège d’une cour raffinée. De Louis Ier de Naples au roi René s’ajoutent tour à tour un élégant châtelet à tourelles, frontière entre haute et basse-cour, une chapelle neuve, une grande galerie longeant le logis, des jardins fleuris (reconstitués dans les années 1950), des vignes, un jardin de simples… À la Renaissance, la cour royale ne dédaignera pas ce séjour de charme. Côté militaire, l’histoire du château s’est toujours jouée sur la dissuasion : ni siège ni prise
retentissants… La place n’est tombée qu’une fois, de manière aussi brève que ridicule, en 1585. Profitant de l’absence du gouverneur de Brissac, deux de ses capitaines insatisfaits et un aventurier
huguenot se sont emparés de la place par ruse, avec une maigre poignée de soldats. Le nouveau gouverneur, Pierre Donadieu de Puycharic, a ordre de tout raser. Il fait traîner habilement les travaux, n’ôte aux tours que quelques mètres et leurs toits en poivrière, puis double les courtines de larges terrasses d’artillerie. Sa statue funéraire trône dans la chapelle, signe que la ville l’en remercie. Les artilleurs allemands qui eurent le bon goût, en 1944, d’évacuer en toute hâte, avant l’arrivée des bombes alliées, les énormes réserves d’explosifs entreposées au château, n’ont pas droit à tant de reconnaissance. Ils étaient sans doute moins désintéressés. |